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Une récompense pour les passeurs de science
En 2021, la médaille de la médiation récompense Audrey Dussutour, éthologiste, Jean-Michel Courty, physicien, le Festival international Jean Rouch, festival de cinéma documentaire en sciences humaines et sociales, et le collectif ClimaTicTac pour son jeu de stratégie écoresponsable collaboratif. Mathieu Vidard, journaliste scientifique, se voit quant à lui décerner une médaille particulière : le prix spécial de la médiation scientifique. Ces médailles leur seront remises le 29 septembre à l’issue du Forum des Nouvelles initiatives en médiation scientifique à Paris.
Audrey Dussutour, éthologiste spécialiste du blob
D’autant qu’elle se souvienne, Audrey Dussutour a toujours été fascinée par les sciences : la physique, l’astrophysique, la biologie mais surtout, l’éthologie. L’opportunité d’étudier les animaux sans trop les perturber. Durant ses études à Toulouse, elle découvre l’intelligence collective dont sont capables les insectes sociaux – fourmis, abeilles ou chenilles processionnaires. Éthologue de formation, elle entre au CNRS en 2009 au Centre de recherches sur la cognition animale1. Elle y rencontre alors le « blob », ou Physarum polycephalum, un organisme unicellulaire aux capacités remarquables : ni animal, ni végétal, ni champignon, sans cerveau, c’est un champion de la cicatrisation qui peut apprendre, voire transmettre des informations en fusionnant avec ses congénères. Il n’a qu’une seule cellule mais 720 types sexuels. Dépourvu d’organes, il est également capable de réguler ses apports alimentaires lorsqu’il fait face à des défis nutritionnels complexes.
Audrey Dussutour met sa pratique expérimentale et ses savoirs de chercheuse reconnus internationalement au profit d’actions de médiation – plus de 200 au cours de sa carrière – qui portent sur le comportement des fourmis et du blob. En 2017, elle publie son premier ouvrage, Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blob sans jamais oser le demander, une autobiographie croisée entre son quotidien de chercheuse et celui du blob, récompensé par le prix du livre Sciences pour tous en 2018. Entré au zoo de Paris en 2019, le blob a également rejoint Thomas Pesquet dans l’ISS en juillet, où le spationaute procédera à différentes expériences qui seront aussi réalisées sur Terre par près de 5 000 élèves en octobre, avec le concours du Cnes et du CNRS, pour le projet #Élèvetonblob.
Mais l’aventure qui lie la chercheuse, le blob et le grand public ne s’arrêtera pas là. En 2022, pour l’Année de la biologie, Audrey Dussutour compte bien élargir le projet au-delà des scolaires en impliquant les Ehpad ou encore les prisons. Il s’agira d’étudier les effets du réchauffement climatique sur cet intrigant organisme unicellulaire mais surtout de sensibiliser le public à la rigoureuse démarche scientifique. Audrey Dussutour est parvenue, en articulation avec ses travaux de recherche fondamentale, à faire du blob un fascinant outil de vulgarisation. ♦
Jean-Michel Courty, physicien tout terrain
Tout au long de sa carrière, Jean-Michel Courty, professeur de physique à Sorbonne Université, s’est attaché à explorer les multiples facettes du métier d’enseignant-chercheur : produire de nouvelles connaissances, transmettre le savoir, participer à l’organisation des activités universitaires et diffuser largement les connaissances scientifiques. Normalien, il entre au CNRS en 1990 au laboratoire Kastler Brossel2 où l’essentiel de ses recherches porte sur le domaine de l’optique quantique et l’étude des fluctuations quantiques de la lumière.
Depuis janvier 2001, il tient avec Édouard Kierlik la chronique mensuelle « Idées de Physique » dans la revue Pour la Science ; les deux physiciens y dévoilent les lois de la physique à travers des phénomènes simples que l’on peut observer ou reproduire avec des objets du quotidien. Leurs objectifs : répondre aux questions que chacun peut se poser en se positionnant comme « experts des questions sans experts », contribuer à la rénovation de l’enseignement de la physique, renouveler les sujets et sortir des sentiers battus pour la vulgarisation, promouvoir une physique de proximité. Dans la lutte contre le Covid-19, Jean-Michel Courty s’est par ailleurs illustré par plusieurs chroniques sur le fonctionnement des masques ou la question cruciale de l’aération et des capteurs CO2 pour prévenir l'épidémie en permettant une estimation de la qualité de l'air d'une pièce.
De 2007 à 2021, il s'est investi dans la communication scientifique à l’échelle de l’Institut de physique (INP) du CNRS – et plus largement de l’organisme. Là, en tant que physicien connaissant les pratiques et les acteurs de la communication, il a pu mettre ses compétences au service de la valorisation des résultats scientifiques obtenus par les chercheurs et les enseignants-chercheurs de l’INP. Si Jean-Michel Courty agit dans un cadre professionnel et institutionnel, au sein de son université et du CNRS, il agit également dans un cadre personnel. Lors du premier confinement, il lance avec sa femme Cécile sa propre chaîne YouTube, Merci la physique. Ni mode d’emploi fastidieux, ni leçon de physique, il y présente et explique des expériences reproductibles à la maison avec ce que l’on a sous la main. De fait, l’activité de médiation scientifique de Jean-Michel Courty s’inscrit dans la durée ; elle se poursuit, se cherche et se réinvente encore aujourd’hui pour demain et pour tous. ♦
Le Festival international Jean Rouch, l'anthropologie visuelle
Fondé en 1982 par l’ethnologue-cinéaste Jean Rouch (1917-2004), scientifique novateur et père de l’anthropologie visuelle, le Festival international Jean Rouch est le rendez-vous des cinéastes et des chercheurs en SHS. Depuis près de 40 ans, le festival fait ainsi découvrir ou redécouvrir à tous les publics des filmographies, des chercheurs-cinéastes, des courants, et des tendances en SHS à travers les films documentaires actuels et du patrimoine ethnographique, issus notamment du fonds de CNRS Images. S’inscrivant dans l’héritage de son fondateur, l’objectif du festival organisé chaque année à Paris par le Comité du film ethnographique est de rendre compte de la diversité et de l’originalité des genres et des écritures cinématographiques sans contrainte de sujet, de durée, ou de forme. Plus de 70 films documentaires y sont programmés en compétition internationale ou en séances thématiques ; huit prix sont aussi décernés aux documentaires retenus pour l’originalité de leur thématique scientifique et de leur démarche innovante.
Depuis plusieurs années, le comité de sélection attache un intérêt particulier aux films abordant les relations entre les hommes et l’environnement, la musique, et le patrimoine immatériel. Le festival est ainsi l’occasion d’inviter tous les publics à débattre des grands enjeux de société autour de la diversité, de l’altérité, de l’interculturalité ou encore de la biodiversité, tels qu’ils sont étudiés dans le cadre des travaux des chercheurs en SHS. Chaque projection est suivie d’un temps de discussion et de médiation, animé par des scientifiques, des cinéastes et les organisateurs de la manifestation. Le festival programme aussi tous les ans des rencontres professionnelles et des master class dans le but de transmettre et partager les expériences et les pratiques cinématographiques de chercheurs ou de cinéastes à destination des scientifiques, des étudiants et du grand public. Il se poursuit également tout au long de l’année sur le territoire français et à l’étranger avec des projections « hors les murs » afin de partir à la rencontre de nouveaux publics. Historiquement basé au musée de l'Homme, le festival est désormais hébergé par le musée du quai Branly – Jacques Chirac avec lequel il noue un partenariat ambitieux. À travers l’ensemble de ces activités, le festival accueillera un auditoire plus large, les jeunes générations en premier, et en portant une attention toute particulière aux publics empêchés. ♦
ClimaTicTac, jeu écoresponsable de stratégie collaboratif
Inspiré par l’Accord de Paris sur le climat, ClimaTicTac a été imaginé par un collectif d’une quinzaine de chercheurs, de doctorants et de médiateurs scientifiques de l’Institut Pierre-Simon Laplace3 et de l’Association Science Technologie Société. À l’initiative de deux climatologues du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement4, Valérie Masson-Delmotte et Gilles Ramstein, le collectif s’est attaché à développer un outil de médiation ludique et non anxiogène sur le changement climatique, reflétant l’état des connaissances, ses causes, ses manifestations, ses impacts, les efforts d’adaptation et d’atténuation nécessaires, et les échelles de temps impliquées. S’appuyant sur de nouvelles formes de médiation scientifique sur le thème du climat, il vise en particulier le jeune public et les jeunes générations dont la vie sera indéniablement marquée par le dérèglement climatique.
Jeu coopératif de plateau autour d’une unité de lieu, la Terre, d’une unité de temps, le XXIe siècle, et d’une unité d’action, la lutte contre le réchauffement climatique, ClimaTicTac permet de faire prendre conscience du caractère global et collectif du problème et de sa gestion à court et long termes. Les aléas et les leviers d’actions sont donnés aléatoirement par des cartes et des défis ludiques affectant l’efficacité des actions. Le déploiement du jeu permet au médiateur d’aborder la problématique des gaz à effet de serre ainsi que diverses conséquences du changement climatique basées sur des cas concrets d’impacts sur l’alimentation, la santé ou les infrastructures. Les joueurs sont ainsi appelés à se concerter pour optimiser leurs actions et leurs chances de gagner la partie ; sans coopération pour maîtriser les rejets de gaz à effet de serre, ils sont collectivement perdants et découvrent les conséquences en cascade des risques climatiques. Le jeu est accompagné d’un glossaire et d’un livret pédagogique.
Diffusé dans un premier temps au sein d’établissements scolaires franciliens, ClimaTicTac a pu également être mis en avant à de nombreuses occasions comme la Fête de la Science ou le Forum Météo-Climat. Le collectif s’attache désormais à le déployer sur l’ensemble du pays et pour tous. S’inspirant de la version pédagogique du jeu, l’éditeur de jeux Bioviva a créé Climat Tic-Tac qui sera mis en vente à la rentrée 2021 - à partir de 10 ans et quel que soit le niveau de formation scientifique. ♦
Mathieu Vidard, journaliste passionné
En 2007, un an tout juste après le lancement de son émission La Tête au carré, Mathieu Vidard reçoit Albert Fert, chercheur au CNRS, père de la spintronique et lauréat du Nobel de physique la même année pour ses travaux sur la magnétorésistance géante. C’est pour le journaliste une confirmation : la radio est le vecteur idéal pour engager le dialogue et créer des liens entre scientifiques et auditeurs. Littéraire de formation, Mathieu Vidard est arrivé à la médiation scientifique par passion, avec un peu de culot mais surtout par hasard. À la rentrée 2006, France Inter fait le pari de consacrer une émission quotidienne à l’actualité de toutes les sciences et c’est à lui que revient la charge de l’animer. Au-delà du défi, c’est un véritable succès. Pendant 13 ans, La Tête au carré donnera chaque jour la parole aux chercheurs, écoutée par près de 800 000 auditeurs. Son luxe, c’est le temps : une partie de l’émission est consacrée aux actualités scientifiques ; l’autre aborde plus en profondeur la thématique du jour, des sciences fondamentales aux sciences humaines et sociales. Le meilleur conseil qu’on lui ait donné : pour rendre accessible la science, il faut se mettre du côté du grand public et des néophytes, poser aux scientifiques les questions qu’ils se posent, et admettre qu’on peut ne pas tout comprendre.
Infatigable passeur de science, Mathieu Vidard multiplie alors les supports de médiation : à la radio, dans ses ouvrages et puis… à la télévision. À partir de 2010, il présente sur France 2 J’ai marché sur la Terre, série documentaire qu’il a créée avec Aline Richard, directrice du magazine La Recherche. Là, il part à la rencontre de scientifiques à travers le monde. En 2017, c’est la Science grand format sur France 5. Sous forme d'enquêtes scientifiques, il décrypte grâce aux chercheurs les dernières grandes découvertes. En 2019, Mathieu Vidard passe de la Tête à la Terre. Son émission quotidienne prend un virage écologique. Toujours avec éclectisme et pédagogie, La Terre au carré se consacre désormais au climat et à l’écologie, loin de discours parfois perçus comme moralisateurs par le grand public. À la rentrée 2020, il lance avec Lucie Sarfaty et Romain Weber un tout nouveau podcast à destination du jeune public, Olma, une machine imaginaire qui se nourrit de toutes les connaissances du monde. Mathieu Vidard a réussi à faire de ses émissions un carrefour où les idées circulent. Et sont entendues. ♦
- 1. Unité CNRS/Université Toulouse III Paul Sabatier.
- 2. Unité CNRS/Sorbonne Université/ENS Paris/Collège de France.
- 3. Unité CNRS/École Polytechnique/Université Versailles Saint-Quentin/CEA/Sorbonne Université/IRD/École des ponts ParisTech/Université Paris-Saclay
- 4. Unité CNRS/Université Versailles Saint-Quentin/CEA.
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Auteur
Anne-Sophie Boutaud est journaliste à CNRS Le journal.