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Une nouvelle vitrine pour la sono mondiale

Échapper à la vision statique des instruments, prendre en compte le caractère dynamique et évolutif des cultures musicales, décloisonner les patrimoines musicaux des différentes régions du monde : c’est l’objectif de la nouvelle présentation des collections du Musée de la musique1, qui compte environ 9000 instruments et œuvres d’art. C’est en 1864 qu’est d’abord ouvert au public le Musée instrumental du conservatoire de musique de Paris, qui, dès ses origines, conserve un fonds d’instruments d’Asie, d’Afrique, d’Océanie et des Amériques, impressionnant par la richesse et l’ancienneté des pièces qui le composent. Mise en sommeil pendant tout le XXe siècle, cette collection connaît un nouveau développement et s’est encore enrichie à partir de l’ouverture du Musée de la musique, héritier du Musée instrumental, en 1997.
Mettre en évidence les passerelles historiques
« Mais la présentation de ces collections, dans un espace dédié aux “musiques du monde“ isolé en fin de parcours, est aujourd’hui dépassée, relève Alexandre Girard-Muscagorry, conservateur et membre de l’équipe en charge de la réorganisation de la présentation des collections au Musée de la musique. Il y a 30 ans, l’objectif était de rendre compte de la spécificité culturelle des objets présentés, en les contextualisant à travers des regroupements géographiques cohérents. Or cette présentation, quelque peu statique, fut faite au détriment des contextes historiques, artistiques, sociopolitiques et des nombreuses circulations entre les cultures, notamment européennes et non européennes, dans lesquelles s’inscrivent les instruments. »
Pourtant, aucun instrument ne peut être considéré comme s’il avait évolué en vase clos. À l’occasion des 30 ans de la Cité de la musique, le musée inaugure donc un nouveau parcours, proposant une approche globale et connectée de la musique, attentive à mettre en évidence les connexions et passerelles historiques et contemporaines entre mondes musicaux.
« Nous présenterons, par exemple, les relations entre l’oud arabe, introduit en Europe entre les IXe et XIIIe siècles par l’Espagne musulmane et le sud de l’Italie, et le luth occidental qui en est issu (et qui en diffère légèrement par l’ajout de frettes, dont l’oud est dépourvu, Ndlr) », explique Alexandre Girard-Muscagorry.
Le violon, de la noblesse à la rue
Le public pourra voir comment le violon, inventé dans l’Italie du XVe siècle, dérivé de plusieurs instruments à cordes d’origines diverses (le ravanastron indien, le rebec d’origine arabe, la viole du Moyen Âge), s’est diffusé comme instrument de rue populaire alors qu’il était aussi apprécié de la noblesse, et de quelle manière il fut joué dans différents pays, donnant lieu à des répertoires, des techniques de jeu et des gestes de factures extrêmement variées.

Dans les pays nordiques, en Finlande ou en Norvège, le violon apparaît avec les musiques à danser, mais il est aussi adopté au Maghreb et intégré aux ensembles takhts jouant la musique savante arabo-andalouse dès le XIXe siècle. Il se joue également en Indonésie ou encore au Mexique ou à Madagascar ! Et, dans la musique indienne, il est tenu à l’envers, la tête reposant sur la cheville du musicien assis en tailleur. Il fut même adopté par des musiciens esclaves, qui le firent résonner dans les théâtres des colonies ou les salons européens.
De même, l’accordéon, instrument « totem » de la France et de l’Europe, vient du sheng, un orgue à bouche chinois à 17 tuyaux de bambou. Le sheng partage avec l’accordéon ou l’harmonica le principe de l’anche libre, soit une fine lamelle métallique qui vibre lorsque l’air est soufflé ou aspiré à travers elle.
L’histoire du piano, instrument que l’on identifie de façon quasi automatique aux seules musiques européennes, est en réalité également bien plus complexe. C’est en travaillant à partir d’archives des fabricants français de pianos, que la chercheuse Anaïs Fléchet2, qui a passé un an en résidence au Musée de la musique, a pu montrer comment cet instrument avait conquis le monde, en le reliant à une histoire internationale, coloniale d’abord, sociale et politique ensuite – au gré des allers-retours de l’instrument, depuis les salons bourgeois européens jusqu’aux domaines des exploitations coloniales d’Amérique du Sud, en passant par les saloons des petites villes américaines…
Le nouveau parcours invite ainsi à penser un « tout-monde » des musiques, d’après le concept du penseur martiniquais Édouard Glissant : un enchevêtrement vivant de cultures, de sons et d’imaginaires, en perpétuel mouvement, où les musiques et les instruments s’enrichissent mutuellement sans se départir de leur singularité. ♦
À visiter
Le Musée de la musique de la Cité de la musique-Philharmonie de Paris ouvre son nouvel espace d’exposition le 14 mai 2025 : https://bit.ly/musee-musique
À consulter
La musique ouvre sur tous les univers de culture
Piano : l’interprétation musicale décryptée (vidéo)
- 1. À la Cité de la musique-Philharmonie de Paris : https://philharmoniedeparis.fr/fr/musee-de-la-musique
- 2. Anaïs Fléchet est chercheuse au Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles (LinCS, unité CNRS/Université de Strasbourg) et professeure d’histoire contemporaine à Sciences-Po Strasbourg).