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Les nouveaux matériaux inspirés du graphène

Dossier
Paru le 16.10.2017
2017, année de science
Point de vue

Les nouveaux matériaux inspirés du graphène

20.04.2017, par
Plaquette de substrat de saphir portant une couche épaisse de molybdène, produite par des chercheurs de l’université de Southampton. Le disulfure de molybdène possède des propriétés similaires à celles du graphène.
Premier matériau de l’épaisseur d’un seul atome, le graphène a ouvert la voie à de nombreux autres matériaux ultrafins. Ces derniers, qui commencent à être fabriqués et étudiés dans les laboratoires, pourraient trouver de multiples applications en électronique et en optique.

Ultraflexible, ultraléger, remarquablement transparent, plus résistant que l’acier et plus conducteur d’électricité que le cuivre... La liste des qualités du graphène, feuillet constitué d’une unique couche d’atomes de carbone disposés en nid-d’abeilles, est impressionnante. À peine ce matériau dit bidimensionnel (ou 2D) – le premier représentant de cette catégorie – était-il isolé en 2004 qu’on lui promettait une foule d’applications. Il devait notamment révolutionner l’électronique. Malheureusement, dans ce domaine, le graphène n’a pour l’instant pas tenu ses promesses. Mais loin d’être découragés, les chercheurs tentent aujourd’hui de développer de nouveaux matériaux cousins du graphène, car bidimensionnels comme lui, qui pourraient donner l’essor à l’électronique de demain.

Des matériaux semi-conducteurs

Bien qu’il soit imbattable pour transporter rapidement les électrons, le graphène souffre d’un handicap : contrairement aux matériaux dont sont faits les transistors de nos ordinateurs, il n’est pas semi-conducteur. De tels matériaux semi-conducteurs conduisent l’électricité dès qu’on apporte aux électrons qui les composent une certaine quantité d’énergie sous forme de chaleur, de lumière ou d’un champ électrique. Cette quantité d’énergie est connue sous le nom de « bande interdite ». C’est elle qui permet « d’éteindre » et « d’allumer » à volonté les composants électroniques et de créer ainsi les 0 et les 1 du monde digital. Or, le graphène ne possède pas de bande interdite et les efforts pour en créer une ne se sont pas révélés concluants jusqu’ici. Résultat : « Aujourd’hui, très peu de monde croit encore à l’avènement d’une nouvelle électronique basée sur le graphène », estime Guy Le Lay, du laboratoire Physique des interactions ioniques et moléculaires1, à Marseille.

Modélisation numérique du graphène.
Modélisation numérique du graphène.

C’est cette impasse qui a poussé les chercheurs à partir en quête de nouveaux matériaux qui soient aussi fins que le graphène mais qui, en outre, soient semi-conducteurs. L’enjeu est de taille : avec ces matériaux 2D, on pourrait affiner jusqu’aux dimensions de l’atome (ou presque) les canaux par lesquels, dans les transistors en particulier, transitent les électrons. Et donc repousser d’autant les limites de la miniaturisation, qui sont aujourd’hui sur le point d’être atteintes.

Le silicène, base des futurs transistors ?

Dans cette course, un premier matériau a sorti son épingle du jeu : le silicène. Comme son nom l’indique, celui-ci est au silicium ce que le graphène est au carbone : c’est un feuillet d’une seule épaisseur d’atomes de silicium, organisés eux aussi en nid-d’abeilles. « Mais à la différence du graphène, où tous les atomes sont dans le même plan, le réseau cristallin du silicène est légèrement ondulé. C’est cette caractéristique qui permet de le rendre semi-conducteur », explique Guy Le Lay. S’ajoute à cela que dans le silicène, tout comme pour le graphène, les électrons sont extrêmement mobiles. Autre avantage, et pas des moindres : en tant que dérivé du silicium, le silicène pourrait s’intégrer naturellement à l’industrie électronique existante, qui repose essentiellement sur le silicium.

Tout comme le graphène, le silicène présente une structure en nid-d’abeilles (image 3D en microscopie à effet tunnel).
Tout comme le graphène, le silicène présente une structure en nid-d’abeilles (image 3D en microscopie à effet tunnel).

Reste que le silicène n’est pas dépourvu de défauts. À commencer par sa fabrication, qui est bien plus compliquée que celle du graphène. Pour obtenir du graphène, il suffit en effet de peler, à l’aide d’un simple ruban adhésif, du graphite, un matériau naturel – dont est faite la mine d’un crayon – composé d’un empilement de feuillets d’atomes de carbone. Mais le silicium ne présente pas à l’état naturel de structure identique à celle du graphite. La synthèse du silicène doit donc se faire de façon artificielle.

Pour cela, il faut recourir à un procédé appelé épitaxie : il consiste à faire s’évaporer, dans une enceinte sous ultravide, du silicium pur en le bombardant avec un faisceau d’électrons. Les atomes de silicium ainsi arrachés au bloc de matière viennent se déposer sur un substrat dont la structure cristalline les contraint à s’agencer selon le réseau en nid-d’abeilles. Tout est dans le choix du substrat. L’équipe de Guy Le Lay, qui fut l’une des premières à synthétiser du silicène en 2012, a choisi l’argent. Problème : l’argent est un métal et donc un conducteur d’électricité. Il viendrait donc immanquablement court-circuiter les circuits électroniques auxquels est destiné le silicène, le rendant de facto inutile.

Appareil servant à synthétiser le silicène, selon le procédé appelé «épitaxie». Les échantillons ainsi élaborés servent à réaliser des dispositifs pour l'électronique et la photonique.
Appareil servant à synthétiser le silicène, selon le procédé appelé «épitaxie». Les échantillons ainsi élaborés servent à réaliser des dispositifs pour l'électronique et la photonique.

Mais les recherches sur le silicène avancent à pas de géant. Et ce verrou a sauté dès 2015 : une équipe a trouvé un moyen de se débarrasser du substrat d’argent et a fabriqué le premier transistor à base de silicène. De leurs côtés, d’autres groupes tentent de fabriquer du silicène, sur des substrats non métalliques cette fois.
C’est le cas de l’équipe d’Isabelle Berbezier, de l’Institut des matériaux, de microélectronique et des nanosciences de Provence2, à Marseille. Avec ses collègues, la chercheuse est parvenue cette année pour la première fois à synthétiser du silicène à la surface de graphène. Pourquoi du graphène ? « L’idée est de mettre à profit la facilité de transférer du graphène sur d’autres matériaux, explique-t-elle. De cette façon, on pourra plus facilement intégrer le silicène dans les transistors de nouvelle génération. »
 

En 2015, une équipe a fabriqué le premier transistor à base de silicène.

Avant qu’un transistor à base de silicène apparaisse dans nos ordinateurs, il faudra toutefois que les chercheurs surmontent un autre obstacle : extrêmement réactif, ce matériau s’oxyde très rapidement à l’air libre. Ainsi, le premier transistor mis au point en 2015 n’a survécu que deux minutes. Mais là encore, les chercheurs redoublent d’efforts pour prolonger la durée de vie du silicène. Avec de bons résultats. Plusieurs équipes ont ainsi montré qu’en superposant plusieurs couches de silicène, on pouvait protéger les couches inférieures pendant plus de 24 heures. Et d’autres stratégies sont en cours d’expérimentation.

Sur la piste d’autres matériaux 2D

S’il est vu aujourd’hui comme le fer de lance pour supplanter un jour le silicium des transistors, le silicène n’est pas le seul sur la liste. D’autres matériaux ont été synthétisés et sont eux aussi à l’étude. Parmi eux, le germanène, composé d’atomes de germanium, le stanène (fait d’étain), ou encore le phosphorène (fait de phosphore). Difficile encore aujourd’hui de dire lequel d’entre eux s’imposera.

Autres matériaux pleins de promesses pour l’électronique de demain : les dichalcogénures de métaux de transition (ou DMT). De l’épaisseur de trois atomes, un feuillet de DMT est constitué d’atomes d’un métal de transition (comme le molybdène ou le tungstène) pris en sandwich entre des atomes de soufre ou encore de sélénium. La fabrication de ces matériaux est simple et identique à celle utilisée pour le graphène : elle consiste à détacher, avec un ruban adhésif, un feuillet à la surface d’un matériau naturel fait d’un empilement de couches.

Modèle de monocouche de dichalcogénure de métal de transition (DMT). Semi-conducteurs, les DMT intéressent les chercheurs pour leurs propriétés microélectroniques et chimiques.
Modèle de monocouche de dichalcogénure de métal de transition (DMT). Semi-conducteurs, les DMT intéressent les chercheurs pour leurs propriétés microélectroniques et chimiques.

Cela explique en partie pourquoi ces semi-conducteurs ont pris une petite longueur d’avance sur d’autres matériaux 2D comme le silicène. En 2011, une équipe annonçait ainsi avoir mis au point le premier transistor à base de ces matériaux, en l’occurrence avec du disulfure de molybdène (MoS2). Malheureusement, les DMT ont un point faible : contrairement au silicène, ils transportent mal les électrons. Si bien qu’aujourd’hui, très peu misent sur ces matériaux pour la conception des futurs transistors.

Les promesses de l’optoélectronique

Dans un autre domaine de l’électronique, l’optoélectronique, qui s’intéresse aux dispositifs capables d’émettre ou d’absorber de la lumière, les DMT promettent en revanche de nombreuses applications. Car non seulement ces matériaux sont semi-conducteurs, mais qui plus est, ils interagissent avec la lumière de façon extrêmement efficace. « Un seul feuillet de MoS2 est capable d’absorber 15 % de la lumière qu’il reçoit. C’est dix fois plus que ce dont sont capables les matériaux actuels comme l’arséniure de gallium, qui sont pourtant dix fois plus épais », note Xavier Marie, du Laboratoire de physique et chimie des nano-objets3, à Toulouse. Avec son équipe, il travaille actuellement à caractériser finement les propriétés optiques de plusieurs DMT.

L’extraordinaire capacité de ces nouveaux matériaux peut ensuite être utilisée pour leur faire convertir la lumière en électricité. Quand un photon frappe les atomes présents dans le cristal, son énergie est transférée à un électron qui peut alors franchir la bande interdite. Résultat : un courant électrique est créé. Réciproquement, on peut transformer de l’électricité en lumière en injectant des électrons dans le feuillet de DMT.

Au Laboratoire de physique et chimie des nano-objets, à Toulouse, les chercheurs essaient de caractériser les propriétés optiques de plusieurs DMT (ici, un échantillon de séléniure de tungstène sur un substrat de dioxyde de silicium sur silicium).
Au Laboratoire de physique et chimie des nano-objets, à Toulouse, les chercheurs essaient de caractériser les propriétés optiques de plusieurs DMT (ici, un échantillon de séléniure de tungstène sur un substrat de dioxyde de silicium sur silicium).

Grâce à cette fantastique habileté à convertir la lumière en électricité et vice versa, les DMT sont promis à un brillant avenir. Ils pourraient permettre la réalisation de cellules photovoltaïques plus sensibles, de sources de lumière miniaturisées (LED, laser), ainsi que de photodétecteurs plus petits, pour les télécommunications par fibres optiques notamment. Ultraflexibles comme le graphène, ils pourraient également constituer les systèmes d’affichage de futurs écrans souples. Déjà, de nombreux prototypes ont été fabriqués et testés.
 

En mariant plusieurs matériaux, on pourra tirer parti des propriétés uniques de chacun d’entre eux. Voire créer des matériaux aux propriétés complètement nouvelles.

Alors que dans les laboratoires, les physiciens continuent encore à mettre au jour de nouveaux matériaux 2D et cherchent à mieux comprendre leurs propriétés, certains ont franchi un pas supplémentaire et tentent de combiner entre eux plusieurs de ces matériaux en les empilant les uns sur les autres. « L’idée est qu’en mariant plusieurs matériaux, on pourra tirer parti des propriétés uniques de chacun d’entre eux. Voire créer des matériaux aux propriétés complètement nouvelles », se réjouit Annick Loiseau, du Laboratoire d’étude des microstructures4, à Châtillon.

Déjà, le succès est au rendez-vous. Ainsi, par exemple, une équipe a combiné du MoS2 et du graphène pour créer les jonctions au cœur des cellules photovoltaïques et des photodétecteurs, exploitant l’habileté du semi-conducteur à absorber la lumière et l’aptitude du graphène à transporter les électrons. Le concept a ensuite été repris dans l’autre sens pour créer, cette fois, une diode électroluminescente avec du MoS2 pris entre deux électrodes de graphène. Et bien d’autres idées fleurissent encore.

Reste qu’actuellement, tous les dispositifs faisant appel à des matériaux 2D sont encore cantonnés aux laboratoires. Pour les en faire sortir, les chercheurs devront faire sauter un verrou, celui de leur production à grande échelle. « Aujourd’hui, la fabrication de tous ces nouveaux matériaux bidimensionnels ressemble plutôt à de la haute couture, souligne Annick Loiseau. On n’est pas encore capable de les produire ni de les manipuler sur de grandes surfaces, un impératif pour qu’ils puissent trouver un jour des applications en électronique. » Les chercheurs l’ont bien compris et ils travaillent d’arrache-pied pour y parvenir. Les successeurs du graphène n’ont pas fini de faire parler d’eux.

Notes
  • 1. Unité CNRS/Université d’Aix-Marseille.
  • 2. Unité CNRS/Université d’Aix-Marseille/Université de Toulon/ ISEN de Toulon/Polytech' Marseille.
  • 3. Unité CNRS/INSA Toulouse/Université Toulouse 3.
  • 4. Unité CNRS/Onera.
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Auteur

Julien Bourdet

Julien Bourdet, né en 1980, est journaliste scientifique indépendant. Il a notamment travaillé pour Le Figaro et pour le magazine d’astronomie Ciel et Espace. Il collabore également régulièrement avec le magazine La Recherche.

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