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Spencer, le robot qui vous guide dans la foule
En retard pour votre correspondance au milieu d’un aéroport bondé, vous scrutez les destinations qui défilent interminablement sur l’écran à la recherche de votre porte d’embarquement. C’est alors qu’un robot avec une tête de « ET » vous aborde et vous invite à lui passer votre carte d’embarquement sur le torse pour la scanner. Il vous invite ensuite à le suivre avec votre famille et vous guide depuis le hall de l’aérogare jusqu’à la porte que vous cherchiez.
Vous venez de faire connaissance avec Spencer, le résultat de trois ans de recherches menée par un consortium financé par l’Union européenne1 et regroupant le CNRS et des partenaires allemands, suédois, suisse et néerlandais 2. L’objectif principal du projet Spencer est de concevoir un robot capable de faciliter les correspondances des passagers en transit. Deux industriels ont participé au projet : BlueBotics, un concepteur de robots guides, et la compagnie aérienne KLM, qui vient de tester le robot au milieu de vrais passagers dans l’aéroport Schipol d’Amsterdam qui, avec 58 millions de voyageurs en 2015, est le 5e aéroport le plus fréquenté d’Europe.
Un partenariat européen
Chaque partenaire du consortium s’est vu confier le développement de techniques spécifiques au projet. BlueBotics a ainsi dû mettre au point un robot satisfaisant de nombreuses contraintes – notamment d’autonomie, sachant que la distance entre deux portes peut dépasser 800 mètres. Les chercheurs de l’université de Freiburg, à qui a été confiée la coordination du projet, se sont eux concentrés sur la façon dont le robot pouvait repérer les individus – voire détecter les groupes – à l’aide de lasers et de caméras Kinect. L’équipe de l’université d’Örebro a, quant à elle, travaillé sur le logiciel de navigation, ce qui constitue un vrai défi dans un environnement dynamique où les gens se déplacent en permanence, reconfigurant constamment l’espace dans lequel doit évoluer le robot.
avec les humains
a constitué un défi
inédit. Vous ne
contournez pas
une personne
comme un
objet inanimé.
Le CNRS était pour sa part chargé de concevoir le processus de prise de décision et de déplacement, le logiciel « superviseur » qui contrôle le robot dans son ensemble. « Ce processus de décision est essentiel pour éviter les obstacles, explique Rachid Alami, coordinateur du projet au sein du Laas-CNRS3, en collaboration avec Raja Chatila et Mohamed Chetouani, de l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (Isir)4. L’interaction avec les humains a constitué un défi inédit. Vous ne contournez pas une personne comme vous contourneriez un objet inanimé tel une poubelle. » Pour y parvenir, l’équipe a développé une technique qui permet au robot de détecter les individus et de comprendre dans quelle direction ils vont ou regardent, afin qu’il puisse s’en approcher tout en restant à bonne distance.
« C’est ce que nous avons appelé le Human Aware Motion Planning. Quand nous nous approchons de quelqu’un, nous voulons être certains qu’il nous voit arriver, sinon, nous risquons de le surprendre ou de l’effrayer », explique Rachid Alami. Spencer s’efforce donc de garder ses distances et, s’il doit s’approcher de quelqu’un, il le fait lentement en tentant de se placer dans son champ visuel et d’y rester. Les chercheurs ont ainsi conçu un planificateur de déplacement qui ne se contente pas d’optimiser la distance parcourue ou l’énergie dépensée par le robot, mais qui cherche avant tout à ce que le robot dérange le moins possible les personnes qui l’entourent.
Tout est dans le détail
« Notre autre grande innovation a été de rendre le robot capable d’adapter sa vitesse à celle des gens qu’il guide – qu’il s’agisse de ralentir ou d’accélérer », note Rachid Alami, insistant sur le fait que, si Spencer sait que l’embarquement est déjà en cours, il va légèrement augmenter sa vitesse afin d’inciter ceux qu’il conduit à faire de même. Mais la plus grande surprise demeure la façon dont Spencer oriente son regard. « Comme cela se passe pour les humains, nous avons utilisé les mouvements de tête du robot pour transmettre de l’information. » Non seulement Spencer tourne la tête juste avant de changer lui-même de direction, à la manière d’un clignotant de voiture, mais il regarde également « droit dans les yeux » les gens proches de lui ou qui se dirigent vers lui afin de leur indiquer qu’il les a bien vus. « Le robot est équipé de tant de caméras qu’il n’a pas besoin de tourner la tête pour voir : il ne le fait que pour nous, humains, pour nous faire savoir qu’il nous a repérés et qu’il va soit nous éviter, soit s’arrêter… », ajoute Rachid Alami.
Apprendre par l’exemple
L’équipe CNRS s’est également appuyée sur le savoir-faire de l’Isir afin d’apprendre au robot comment approcher un groupe d’individus. « Ce qui est facile à mettre en œuvre pour un individu devient assez complexe dès qu’il s’agit d’un groupe. Où commence le groupe, comment le distinguer au milieu d’une foule ? Comment puis-je interagir avec lui, comment m’y insérer physiquement et m’y joindre ? », explique Mohamed Chetouani, qui a participé à la collecte des données et la modélisation des interactions entre humains pour que le robot puisse les apprendre automatiquement. « Celles-ci sont bien trop complexes pour être décrites par de simples règles fixées une fois pour toutes par un programmeur, le robot doit donc être en mesure les apprendre par lui-même »
L’autre défi d’un projet de cette taille était de parvenir à intégrer chacune des briques technologiques spécifiques apportées par chaque partenaire. Cette intégration a été assurée par le Laas à Toulouse. Une salle d’expérimentation a été créée au sein du laboratoire afin de recevoir les différents partenaires, leur donnant ainsi l’occasion d’interagir physiquement et de vérifier comment les modules conçus par les uns et les autres s’intégraient et fonctionnaient ensemble. « À la fin, vous avez besoin de tester l’intelligence du système dans sa globalité. Or, au Laas, nous disposions des outils et de l’expertise pour mener à bien l’intégration des différents modules logiciels du robot », conclut Rachid Alami.
Embarquement immédiat
L’industrie du tourisme s’intéressant de plus en plus aux robots, Spencer ne devrait pas être seul quand – dès que les responsables du projet auront donné leur feu vert à sa commercialisation – il évoluera dans les aéroports, les gares ou dans votre supermarché préféré.
- 1. Le projet FP7 a reçu un financement de 4 millions d’euros : www.spencer.eu
- 2. Albert-Ludwigs-Universität Freiburg, Technische Universität München, Rheinisch-Westfälische Technische Hochschule Aachen (Allemagne) ; Örebro University (Suède), CNRS (France) ; KLM Royal Dutch Airlines, Universiteit Twente Enschede (Pays-Bas) ; BlueBotics SA (Suisse).
- 3. Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes.
- 4. Unité CNRS/UPMC.