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Les robots ont-ils le sens de l’humour ?
Le rire est le propre de l’homme, mais pour combien de temps encore ? Depuis quelques années, les robots qui nous ressemblent se multiplient. Robots humanoïdes, robots dotés d’intelligence artificielle (IA), robots émotifs. Et si ces machines devenaient même capables de rigoler ? Olivier Pietquin, membre de l’Institut universitaire de France et professeur au LIFL1, travaille sur le projet Ilhaire2, un projet dont l’objectif est de faire rire de manière convaincante des avatars, c’est-à-dire des personnages animés par ordinateur. Une technologie qui pourra ensuite être appliquée aux robots.
Reconstruire le rire
Pour s’esclaffer, avatars et robots n’ont pas besoin de cordes vocales. « Comme pour la voix, il y a deux façons de recréer le rire, explique Olivier Pietquin. Soit par concaténation soit par synthèse. » La méthode de concaténation consiste à fournir à l’avatar, une large base de données avec des échantillons de rire enregistrés : des Ah, des Oh, des Uh… de différentes intensités sonores. C’est ce qu’on appelle les phonèmes. Le logiciel qui anime l’avatar assemble ces phonèmes pour imiter différentes sortes de rires. La seconde solution utilise un modèle statistique basé sur des milliers de rires différents. Le logiciel va alors synthétiser lui-même le son en respectant les caractéristiques du modèle. « Le rire par concaténation sonne plus naturel que le rire synthétisé, plutôt métallique, précise le professeur. Mais, avec la seconde technique, on a l’avantage de pouvoir proposer des voix de femmes, d’hommes ou d’enfants sans être limité par une base de données. »
Des machines qui rient sans se poiler
Le robot est-il prêt pour un concours de blagues ? Pas vraiment, car, s’il peut plus ou moins imiter le rire, « le robot est loin de comprendre le sens de l’humour, c’est beaucoup trop complexe pour lui », affirme Olivier Pietquin. Il est par contre capable de reconnaître et de reproduire certains des signes particuliers
du rire : le son caractéristique (absent lorsqu’il s’agit d’un rire étouffé) ; l’expression du visage, et en particulier celle des yeux grâce auxquels on sait très bien détecter un rire naturel ou forcé ; la respiration saccadée ; le mouvement des épaules qui montent et descendent deux fois et demie par seconde, ainsi que d’autres mouvements du corps.
Les tests effectués dans le cadre du projet Ilhaire consistent donc à faire rire les avatars par mimétisme et non de leur propre chef. Lorsque l’avatar analyse les réactions de deux personnes qui jouent à ni oui ni non et doit imiter les joueurs qui expriment le rire, les résultats montrent que, par rapport à un spectateur humain dans la même situation, le robot rit beaucoup moins. « Il n’est pas capable de saisir le contexte social, les références utilisées par les joueurs », explique Olivier Pietquin.
Mais même si le robot est bien incapable de décider si une situation est drôle et d’en rire de lui-même, il peut en revanche détecter le rire ainsi que quelques émotions chez son interlocuteur. C’est une des pistes de recherche du projet européen Chist-era JOKER monté par le LIMSI-CNRS3 . « Nous menons actuellement des expériences avec le robot Nao développé par la PME Aldebaran. En fonction du profil de la personne, Nao doit choisir une blague qui convient à la situation », indique Laurence Devillers, professeur en informatique à Paris-Sorbonne IV, qui dirige l’équipe « Dimensions affectives et sociales dans les interactions parlées » au LIMSI. Lorsque l'interlocuteur parle, le robot distingue entre autres, son sexe, les émotions exprimées -tristesse, joie, satisfaction, énervement, etc.-, ce qui lui permet de déterminer si la personne est plutôt extravertie ou timide. Là, Nao établit un profil et choisit la réaction qui a le plus de chance de faire rire ce profil parmi une sélection de blagues et de relances humoristiques pré-enregistrées. « T’entends mes bras qui grincent ?», peut-il ainsi demander. Une blague que seul un robot peut exprimer car « l’idée c’est aussi qu’il se présente en tant que machine et non comme une copie humaine », explique Laurence Devillers. Bien sûr, ses blagues ne font pas encore mouche à tous les coups mais chaque interaction est soigneusement enregistrée afin d’améliorer les échanges au cours du temps.
Rigoler pour mieux communiquer
Mais pourquoi se focaliser sur la capacité des robots à communiquer par le rire ? « Parce que l’humour est un bon moyen pour créer des liens de connivence avec les personnes » explique Laurence Devillers « dans le cadre du projet BPI ROMEO2, dont le but est de créer un robot compagnon assistant Romeo (grand frère de Nao), le LIMSI travaille notamment sur l’interaction sociale avec des personnes âgées ». Le rire permet aussi de transmettre des informations implicites sur la situation et l’état d’esprit de l’interlocuteur. « L’enjeu dans la communication homme-robot aujourd’hui, c’est son aspect socio-émotionnel », explique Catherine Pelachaud4, directrice de recherche de l’équipe Greta, qui cherche à améliorer les interactions homme-machine. En effet, la plupart des informations passent par la communication non verbale. Lorsqu’on discute, on interprète, entre autres, les émotions du visage et les mouvements de son interlocuteur. « Le rire est un élément essentiel de la communication, il exprime l’embarras, la moquerie, l’appartenance à un groupe ou l’humour », ajoute la chercheuse. Nous rions d’ailleurs plusieurs fois par minute pendant une discussion. Cela fait partie des signes que l’on fournit à son interlocuteur pour lui signifier qu’on l’écoute. Selon elle, « sans émotion, il n’y a pas de communication. On a l’impression de se retrouver devant un mur ».
Du rire à l’empathie
« Aujourd’hui, les services téléphoniques automatisés sont déjà capables de reconnaître un utilisateur en colère. Criez fort dans le combiné et, souvent, vous aurez très vite un humain au téléphone », indique Olivier Pietquin. L’utilisation du rire, lui, permet de développer non seulement un discours plus naturel mais aussi une certaine empathie entre la machine et l’utilisateur. Il pourrait ainsi faciliter le e-learning. « Des études ont montré que, s’il existe une certaine empathie de l’élève envers l’enseignant avatar, cela améliore l’engagement de l’élève, signale le chercheur. Il va revenir plus souvent faire ses exercices. » L’intérêt est similaire pour les dispositifs médicaux qui rappellent aux patients de prendre leur traitement.
Doter les robots d’émotions, mêmes si elles ne sont que simulées, c’est aussi effacer peu à peu la frontière entre hommes et machines. « Jusqu’à quel point faire croire que le robot est un humain et le faire ressembler à un homme ? », se demande Catherine Pelachaud. Le danger sous-jacent, c’est que ces avatars pourraient jouer sur les émotions de la personne à des fins commerciales par exemple.
Pour Olivier Pietquin, « plus les machines semblent sympathiques, plus les utilisateurs vont penser qu’elles ont raison sans remettre en cause leur manque de critique ».
Conséquences de ces avancées technologiques, de plus en plus de comités et de groupes de travail se posent la question des limites à ne pas dépasser. Question à laquelle le récent rapport sur l’éthique de la recherche en robotique (3) apporte des premières pistes de réponse.
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- 1. Laboratoire d’informatique fondamentale de Lille (CNRS/Univ. Lille-I/Univ. Lille-III/Inria), qui deviendra en janvier 2015 le laboratoire Cristal (fusion du LIFL et du Lagis).
- 2. Incorporating Laughter into Human Avatar Interactions : Research and Experiments.
- 3. Laboratoire d'Informatique pour la Mécanique et les Sciences de l'Ingénieur
- 4. Laboratoire traitement et communication de l'information (CNRS/Télécom ParisTech).
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Auteur
Journaliste scientifique, Taïna Cluzeau écrit pour les magazines Ça m’intéresse et Science et Vie junior. Ses thèmes de prédilection sont l’astronomie, le développement durable et la sociologie.