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Euclid, l’énergie noire en ligne de mire

Euclid, l’énergie noire en ligne de mire

30.06.2023, par
© Volker Springel / Max Planck Institute for Astrophysics
Simulation de la croissance de la structure cosmique (galaxies et vides) lorsque l’Univers avait 0,9 milliard d’années, puis 3,2 milliards et 13,7 milliards d’années (aujourd'hui).
L’expansion de l’Univers s’accélère sous l’effet d’une entité mystérieuse baptisée énergie noire. Pour en découvrir la nature, le télescope spatial Euclid a décollé pour une mission d’observation de six ans qui a le potentiel de bouleverser notre vision du cosmos.

Samedi 1er juillet à 17 h 11 heure française, le télescope spatial Euclid de l’Agence spatiale européenne (ESA) a pris son envol à bord d’une fusée Falcon 9 depuis Cap Canaveral, en Floride, et gagnera son orbite d’observation à 1,5 million de kilomètres de la Terre. Pour les quelque 1 500 chercheurs, ingénieurs et techniciens impliqués dans cette aventure scientifique hors norme, après plus de dix ans de développement, ce lancement signifiera le début la phase opérationnelle. « Nous sommes tous très excités, c’est un moment vraiment incroyable ! », confie Stéphanie Escoffier1, responsable de Euclid-France. Objectif : observer en six ans près de 2 milliards de galaxies, dans le but d’établir la première carte 3D de l’Univers jusqu’à une distance de 10 milliards d’années-lumière. De quoi déterminer la cause de l’accélération de l’expansion du cosmos, que les scientifiques, faute de mieux, attribuent à une mystérieuse entité baptisée « énergie noire » dont ils ignorent tout.

Expansion accélérée

L’énergie noire hante la cosmologie depuis 1998. À cette date, deux équipes indépendantes se demandent si l’Univers, sous l’effet de la gravitation, verra son expansion ralentir indéfiniment ou bien connaîtra dans le futur une phase de contraction le ramenant à son point de départ. Mais à la stupéfaction générale, les astrophysiciens concluent que l’expansion, en réalité, est entrée dans une phase d’accélération impossible à expliquer.

Le satellite a passé des tests de qualification thermique dans les locaux de Thales Alenia Space à Cannes, en France.
Le satellite a passé des tests de qualification thermique dans les locaux de Thales Alenia Space à Cannes, en France.

À force d’observations, une conclusion s’impose néanmoins : tout se passe comme si l’Univers était empli d’une forme d’énergie de nature inconnue qui, s’opposant à la gravitation, conduit le cosmos à se dilater toujours plus vite.

L’énergie noire compterait pour 70 % du contenu total en énergie de l’Univers. Sans que l’on sache de quoi il s’agit...

Au regard des données, cette entité, dont les propriétés déduites indirectement ne correspondent à aucune matière connue, compterait même pour 70 % du contenu total en énergie de l’Univers. Sans que l’on sache de quoi il s’agit. Précisément, l’énergie noire est invisible, insaisissable, impossible à observer directement ou à fixer sur la surface sensible d’un détecteur.

En revanche, on peut en observer les effets sur la structuration de la matière à grande échelle dans l’Univers, à partir de quoi en déduire les propriétés, de la même manière que l’on peut établir les caractéristiques morphologiques d’un suspect à partir de ses empreintes de pas.

Toile cosmique et volutes de matière noire

Afin de donner un visage à l’énergie noire, concrètement, plusieurs observations sont possibles. D’une part, cartographier à l’échelle du cosmos la façon dont les galaxies s’organisent en longs filaments pour former ce que les spécialistes appellent la « toile cosmique » ; d’autre part, déterminer la structure des volutes de matière noire, cette fraction elle aussi invisible et de nature inconnue de la matière, dans lesquelles baigne la matière galactique. Comme le détaille Yannick Mellier2, responsable du Consortium Euclid qui regroupe l’ensemble des scientifiques impliqués dans la mission, « aujourd’hui, les sondages les plus précis, qui regroupent quelques dizaines de millions de galaxies, permettent de contraindre les propriétés de l’énergie noire à 10 % près, ce qui est insuffisant pour en déterminer la nature. Pour y parvenir, il faut viser une précision de 1 %. C’est l’objectif d’Euclid qui devra pour ce faire observer plus de 1,5 milliard de galaxies. »

Comment Euclid va scanner le ciel

À propos
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Description: 
Au cours de sa mission, Euclid va observer tous les 3 à 5 jours l’équivalent de la totalité du ciel couvert par le télescope spatial Hubble en 30 ans. De ce point de vue, c’est une ère nouvelle qui commence pour l’astronomie. Son télescope pointe vers une position dans le ciel, effectuant des mesures d'imagerie et spectroscopiques. Les instruments balayeront au total 35 % environ du ciel.
Année de production: 
2023
Durée: 
00:15
Réalisateur: 
ESA
Producteur: 
© ESA / Work performed by ATG under contract for ESA.

Si dans la classification de l’ESA, Euclid n’est qu’une mission de « taille moyenne », c’est en réalité un projet d’observation spatiale sans précédent par son ampleur et sa technicité. Et pour cause, le télescope n’atteindra son objectif qu’à la condition de réussir à la perfection la totalité des 40 000 pointés du ciel à partir desquels il doit réaliser près d’un million d’images couvrant la totalité du ciel nocturne non « pollué » par la lumière de la galaxie, soit un tiers du total, dans une logique de recensement du cosmos tout entier.

Objectif d’Euclid : observer en six ans près de 2 milliards de galaxies et établir la première carte 3D de l’Univers jusqu’à une distance de 10 milliards d’années-lumière.

Pour y parvenir, les éléments embarqués à bord du satellite ont été conçus à partir d’un cahier des charges absolument drastique. Et ont nécessité le travail d’une centaine de laboratoires, plus des industriels, dans quatorze pays européens, plus les États-Unis, le Canada et le Japon. Ainsi, Euclid, c’est d’abord un télescope à la stabilité inégalée, dont la structure, en carbure de silicium, est aussi peu sensible aux écarts de température qu’elle est cassante et a été difficile à usiner.

Quant à son miroir de 1,2 mètre, c’est le plus précis jamais poli au regard de sa dimension, atteignant 20 nanomètres de précision sur sa surface d’onde.

Deux milliards de galaxies dans le viseur

Au foyer de ce télescope, deux instruments complémentaires ont été placés. D’une part le NISP, soit le plus grand détecteur infrarouge jamais envoyé dans l’espace. Précisément, celui-ci est un spectrophotomètre dont l’objectif est de déterminer la distance de 2 milliards de galaxies : 30 millions avec une précision ultime à partir de leur spectre lumineux, les autres en observant leur lumière à travers différents filtres. Également en carbure de silicium, le NISP est doté d’un plan focal dont les détecteurs ont une qualité de détection uniquement limitée par le bruit quantique. Par ailleurs, ses lentilles chargées de focaliser les précieux photons sont les plus grandes jamais développées pour une application en astrophysique spatiale. Enfin, ses grisms, les composants optiques qui diffractent la lumière des galaxies, ont été élaborés selon un procédé qui n’existait tout simplement pas au début du projet !

Euclid, dont on voit ici l’intérieur et le banc optique, alimentera en photons l'imageur visible (VIS) et le spectromètre-photomètre infrarouge (NISP). Tous deux observeront les mêmes champs en parallèle pendant 6 années. La lumière (flèche blanche) est séparée en lumière visible (flèche orange) et en lumière infrarouge proche (flèche rouge).
Euclid, dont on voit ici l’intérieur et le banc optique, alimentera en photons l'imageur visible (VIS) et le spectromètre-photomètre infrarouge (NISP). Tous deux observeront les mêmes champs en parallèle pendant 6 années. La lumière (flèche blanche) est séparée en lumière visible (flèche orange) et en lumière infrarouge proche (flèche rouge).

L’autre instrument, le VIS, est un imageur dont la résolution est la même que celle du télescope spatial Hubble mais présentant un champ 150 fois plus vaste ! Son plan focal de 40 centimètres de côté, composé de 600 millions de pixels maintenus dans un plan dont les écarts ne dépassent pas 70 microns, est le deuxième plus grand jamais envoyé dans l’espace. Quant à sa sensibilité, elle est 20 % supérieure à celle des meilleurs instruments au sol. Grâce à ces spécifications, le VIS aura pour tâche de photographier 1,5 milliard de galaxies dont les déformations, provoquées par un effet de lentille gravitationnelle, permettront, via des méthodes statistiques, de déterminer la distribution de matière noire située entre elles et nous. Comme le résume Stéphanie Escoffier, « deux instruments d’une telle qualité embarqués sur le même satellite, c’est du jamais vu. »

Le plus vaste catalogue d’objets spatiaux

Jamais vu non plus, la chaîne de traitement des données d’Euclid qui aura pour tâche de récupérer les informations brutes envoyées quotidiennement depuis le satellite, les nettoyer, corriger les différents biais, en extraire les signaux pertinents, y ajouter les informations recueillies en complément par plusieurs observatoires au sol, calculer les distances nous séparant des galaxies et leur déformation, etc., dans le but de produire le plus vaste catalogue d’objets astrophysiques jamais conçu. Une mine à partir de laquelle les cosmologistes pourront ensuite déterminer les propriétés de l’énergie noire, se résumant à une poignée de paramètres ayant nécessité pour être calculés la production de 150 pétaoctets de produits scientifiques – une première en astrophysique – et la mise en place d’une infrastructure de calcul impliquant neuf centres de calculs à travers le monde.

Extrait du catalogue simulé, allant de l’Univers aujourd’hui (à gauche) jusqu’à l'époque où il avait environ 3 milliards d’années (à droite). En bleu, les galaxies centrales qui peuplent le centre des halos de matière noire ; en rouge, les galaxies satellites.
Extrait du catalogue simulé, allant de l’Univers aujourd’hui (à gauche) jusqu’à l'époque où il avait environ 3 milliards d’années (à droite). En bleu, les galaxies centrales qui peuplent le centre des halos de matière noire ; en rouge, les galaxies satellites.

Une fois parvenu sur son lieu d’observation, Euclid, après plusieurs semaines de tests de ses instruments, prendra ses « premières lumières » à l’automne avant d’entamer son programme d’observation en décembre. Prévu pour durer six ans, il sera ponctué par la publication des résultats à trois reprises : en 2025 à partir de 20 % des données, en 2027 après analyse de la moitié des observations, puis enfin en 2030 pour la totalité. Dans l’intervalle, la totalité des données disponibles auront par ailleurs été analysées plusieurs fois afin de tirer parti de l’amélioration de logiciels bénéficiant de plus en plus des progrès de l’intelligence artificielle, désormais incontournable en astrophysique.

Expliquer l’énergie noire

Qu’en sortira-t-il alors ? D’après certains scénarios théoriques, l’énergie noire correspondrait à une nouvelle forme de matière. Peut-être en lien avec le champ de Higgs, mis en évidence en 2012 auprès du LHC, l’accélérateur de particules du Cern, et qui confère leur masse à l’ensemble des particules de l’Univers ; et avec l’inflaton, une entité théorique possiblement responsable d’une phase de croissance exponentielle du cosmos dans ses toutes premières fractions de seconde. Pour d’autres, l’énergie noire pourrait également s’expliquer par une remise en cause de la théorie de la relativité générale qui sert de cadre conceptuel pour décrire l’évolution de l’Univers.

L’énergie noire pourrait n’être rien d’autre que l’énergie du vide telle qu’elle se manifeste dans la théorie quantique.

Enfin, selon une autre hypothèse, l’énergie noire pourrait n’être rien d’autre que l’énergie du vide telle qu’elle se manifeste dans la théorie quantique, soit comme la résultante d’un bouillonnement de particules dites « virtuelles » qui subsiste même en l’absence du moindre grain de matière ou de rayonnement. À ceci près que la valeur déduite de l’énergie du vide à partir des caractéristiques connues de l’accélération de l’expansion et celle calculée en mécanique quantique sont totalement incompatibles.

Une chose est sûre, « nous ne savons pas ce que nous allons trouver, mais Euclid a le potentiel de totalement bouleverser notre compréhension des lois de l’Univers », affirme Yannick Mellier. Alors que l’heure du lancement se rapproche, c’est toute la communauté des astrophysiciens et des cosmologistes qui retient son souffle, l’œil braqué sur la fusée Falcon 9 prête à décoller, l’esprit déjà tourné vers la perspective d’un renouvellement de notre connaissance du cosmos. ♦

Le 1er juillet, nos scientifiques commentent en direct le lancement du satellite Euclid.

À propos
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Année de production: 
2023

Notes
  • 1. Directrice de recherche CNRS au Centre de physique des particules de Marseille (CPPM, unité CNRS/Aix-Marseille Université).
  • 2. Enseignant-chercheur à l’Institut d’astrophysique de Paris (IAP, unité CNRS/Sorbonne Université).