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Comment BepiColombo va sonder Mercure
À l’exception de la Terre, Mercure est la seule autre planète tellurique à disposer d’un champ magnétique intrinsèque ; elle n’a pourtant jusqu’ici été visitée qu’à l’occasion de deux missions spatiales. La proximité du Soleil complique en effet les visites : manquer le champ de gravité réduit de Mercure condamne à foncer vers une boule de feu à 5 500 °C. Les agences spatiales européenne, l’ESA, et japonaise, JAXA, ont donc travaillé main dans la main pour la mission BepiColombo. Les deux satellites qui la composent doivent être lancés de Kourou, en Guyane, dans la nuit du 19 au 20 octobre par une fusée Ariane 5. Après un périple de sept ans, et deux passages près de Vénus afin de bénéficier d’une assistance gravitationnelle, BepiColombo, dont la conception des instruments a impliqué huit laboratoires liés au CNRS, observera pendant deux ans, jusqu’en 2027, la surface, l’atmosphère et la magnétosphère herméenne.
De Mariner à Bepi
Dans les années 1970, à l’occasion d’une mission principalement consacrée à Vénus, la sonde américaine Mariner 10 avait effectué trois survols de Mercure. Parmi les chercheurs impliqués, un certain Giuseppe Colombo, surnommé Bepi, professeur à l’université italienne de Padoue. La nouvelle sonde, toute première collaboration entre l’ESA et JAXA, a été baptisée en son honneur.
Ce bref passage avait permis de cartographier la moitié de Mercure et de détecter un champ magnétique. Bien que celui-ci soit beaucoup plus faible que celui de la Terre, il montre que le cœur de la planète est en activité. Mariner 10 avait également confirmé la présence d’une exosphère, sorte d’atmosphère très peu dense et s’étendant à de très hautes altitudes.
Bien plus tard, la Nasa a lancé la sonde Messenger1. Placée en orbite autour de Mercure en mars 2011, elle s’est écrasée sur sa surface en avril 2015 à l’épuisement de son carburant. Elle a confirmé les observations de Mariner 10, tout en développant la cartographie et les observations de la surface.
Elle a notamment découvert des traces de volcanisme, de tectonique des plaques, mais aussi de la glace d’eau. En raison de l’inclinaison extrêmement faible de l’axe de la planète, les fonds de cratères météoritiques des pôles ne reçoivent aucune lumière directe du soleil.
« Messenger embarquait un magnétomètre et de quoi mesurer les ions et les particules énergétiques, mais la sonde était surtout consacrée à l’observation de la planète, de sa fine atmosphère et de sa surface, explique Dominique Delcourt, directeur de recherches CNRS et directeur du Laboratoire de physique et chimie de l’environnement et de l’espace (LPC2E)2 et responsable du spectromètre de masse ionique embarqué sur le satellite japonais de la mission Bepi Colombo. En présence d’un champ magnétique intrinsèque, une cavité magnétique se crée dans l’espace, une magnétosphère, et de nombreux phénomènes de transport et d’accélération de particules s’y déroulent. »
Une mission, deux satellites
La mission BepiColombo contient deux satellites, qui embarquent près de 100 kilos d’instruments. Le premier, MPO (Bepi) s’occupera principalement de cartographier entièrement la planète et d’étudier sa surface, sa structure interne et son exosphère. Le second, MMO3 (rebaptisé Mio), se focalisera sur l’environnement magnétisé de la planète. Une fois à destination, les deux satellites seront libérés en deux temps. D’abord Mio, puis Bepi qui s’insérera dans l’orbite la plus basse jamais effectuée autour de Mercure.
« Avec cette panoplie d’instruments plus conséquente, nous allons faire de nouvelles découvertes, mais aussi revisiter les apports de Messenger, s’enthousiasme Dominique Delcourt. La combinaison des observations des deux satellites permettra également des mesures en quelque sorte stéréoscopiques, ce qui était alors impossible. »
Le satellite MMO tourne sur lui-même en quatre secondes, les instruments peuvent ainsi pointer dans toutes les directions de l’Espace à la recherche de particules neutres ou ionisées, et d’ondes électromagnétiques.
Avec sa résolution meilleure que celle de l’instrument de Messenger, le spectromètre ionique MSA4, développé au Laboratoire de physique des plasmas (LPP)5 en collaboration avec des équipes japonaises et allemandes, distingue des atomes lourds séparés de seulement une unité de masse atomique, comme le potassium et le calcium.
« Ces mesures vont nous permettre de caractériser les émissions de matériau planétaire », souligne Dominique Delcourt.
Sous l’effet du bombardement météoritique ou du vent solaire, de la matière est éjectée de la surface de Mercure. Elle peut ensuite être ionisée par le rayonnement ultraviolet du Soleil, puis transportée et accélérée autour de la planète. » L’étude de ces ions permet de remonter à la composition de la surface, sans avoir à s’y poser.
Un champ magnétique modèle
Le champ magnétique de Mercure constitue également un modèle générique intéressant. L’observation d’une magnétosphère plus petite que la nôtre devrait améliorer la compréhension du comportement de la matière, neutre et ionisée, dans l’Espace. À une distance aussi réduite du Soleil, la densité du vent solaire augmente son impact sur la planète. Autre condition intéressante, l’orbite très elliptique de Mercure impose des variations cycliques importantes de cette exposition.
Un programme conséquent attend donc les différents instruments scientifiques de la mission. Six d’entre eux ont été conçus avec la participation de huit laboratoires CNRS. En plus du LPC2E, nous retrouvons l’Institut d’astrophysique spatiale6, l’Institut de physique du globe de Paris7, l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie8, le Laboratoire d’astrophysique de Marseille9, le Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales (Latmos)10, le Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique11 et, enfin, le LPP.
Au sein du Latmos, Éric Quemerais est responsable scientifique de Phebus12. Ce spectromètre ultraviolet balaye une gamme de fréquences allant de 50 à 320 nanomètres, plus quelques raies dédiées à la détection du calcium et du potassium.
Analyser la surface herméenne
« Nous couvrons un plus grand domaine spectral, qui comprend des éléments invisibles pour Messenger, tels que l’hélium, le soufre, le calcium ionisé, le dihydrogène…, liste Éric Quemerais.
Grâce à un meilleur rapport signal/bruit, nous présentons également une meilleure limite de détection. »
Et alors que le spectromètre américain était aligné avec sa sonde, Phebus dispose d’un mécanisme de pointage indépendant. Il peut ainsi choisir sa direction et offre une meilleure couverture spatiale et temporelle en orbite. « L’exosphère donne une idée de la composition de la surface et des premières couches internes de Mercure, poursuit Éric Quemerais. On sait par exemple que l’on détectera du calcium et du sodium, mais on s’attend aussi à observer du magnésium, du potassium et de l’oxygène, dont la présence n’a pas encore été systématiquement confirmée. »
Autre avantage des ultraviolets, ils se réfléchissent différemment sur la glace. Phebus sera donc en mesure d’en détecter la présence. « Cette technique a déjà été employée sur la Lune, soutient Éric Quemerais. Nous allons utiliser ces changements de quantité de lumière réfléchie pour cartographier les deux pôles de Mercure. » À cause d’une orbite particulière, choisie pour une étude focalisée sur le pôle Nord, Messenger n’avait en effet pu cartographier que la moitié de la planète.
BepiColombo promet ainsi une formidable moisson pour la communauté scientifique. Dominique Delcourt organisera d’ailleurs la prochaine grande conférence dédiée à cette planète, à Orléans en juin 2020. « Bepi Colombo ne sera bien sûr pas arrivée à destination, mais nous bénéficions encore des données de Messenger », précise-t-il. Nul doute que les chercheurs auront alors le regard tourné vers Vénus, où BepiColombo s’apprêtera à prendre un nouvel élan avant de foncer vers Mercure. ♦
- 1. Pour Mercury Surface, Space Environment, Geochemistry and Ranging.
- 2. Unité CNRS/Cnes/Université d’Orléans.
- 3. Pour Mercury Magnetospheric Orbiter, « orbiteur magnétosphérique de Mercure ».
- 4. Pour Mass Spectrum Analyzer, « analyseur de spectre de masse ».
- 5. Unité CNRS/École polytechnique/Observatoire de Paris/Université Paris-Sud/Sorbonne Université.
- 6. Unité CNRS/Université Paris-Sud.
- 7. Unité CNRS/Université Sorbonne-Paris Cité.
- 8. Unité CNRS/Cnes/Université Toulouse-III Paul-Sabatier.
- 9. Unité CNRS/Cnes/Institut Carnot/Université Aix-Marseille.
- 10. Unité CNRS/institut Pierre-Simon-Laplace/Université Versailles Saint-Quentin/Sorbonne Université.
- 11. Unité CNRS/Observatoire de Paris/Université Paris-Diderot/Sorbonne Université.
- 12. Pour Probing the Hermean Exosphere by Ultraviolet Spectroscopy, « sonder l’exosphère mercurienne par spectroscopie ultraviolet ».
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Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.
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