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Un cataclysme cosmique exceptionnel
Le sursaut gamma GRB 221009A agite la communauté astronomique depuis le 9 octobre. Qu’a-t-il d’exceptionnel ?
Jean-Luc Atteia1. Il s’agit d’un sursaut gamma parmi les plus lumineux et les plus proches de nous jamais observés, au point qu’il a saturé la majorité des détecteurs sur Terre et en orbite. Pendant plusieurs secondes, la luminosité de GRB 221009A a dépassé celle de mille millions de milliards de soleils. Heureusement qu’il était suffisamment loin ! Il provient en effet d’une galaxie de la constellation de la Flèche, située à 1,9 milliard d’années-lumière de la Terre, mais les précédents sursauts longs connus partaient d’étoiles plutôt situées à une dizaine de milliards d’années-lumière. Si on extrapole à l'Univers local le taux de sursauts très lumineux observés dans l'Univers lointain, on s'attend à ce qu'un sursaut comme GRB 221009A survienne seulement une fois par siècle.
Ce sursaut gamma a surtout été visible par d’innombrables appareils, télescopes, détecteurs et équipes de recherche, ce qui fait que beaucoup de monde s’y est intéressé. C’est une opportunité unique de fédérer des chercheurs et des moyens autour d’un évènement et j’ai la certitude qu’il nous apprendra énormément sur ces phénomènes fascinants.
Mais que sont au juste les sursauts gamma ?
J.-L. A. Les sursauts gamma sont des phénomènes extrêmement violents, qui se produisent en général à la fin de la vie d’une étoile. On les classe souvent selon leur durée : les sursauts gamma courts ne durent qu’entre dix millisecondes et une à deux secondes, tandis que les évènements longs peuvent s’étendre jusqu’à un quart d’heure. Enfin, des sursauts dits ultra-longs atteignent plusieurs heures, mais ces derniers sont encore très mal compris.
Avec GRB 221009A, nous nous intéressons aux sursauts gamma longs, qui sont déclenchés lorsqu’une étoile très massive et au cœur en rotation rapide épuise tout son carburant. Un trou noir se forme alors et le cœur de l’étoile tombe dedans. Alors qu’il tournait très vite, le cœur est brusquement freiné tandis que le trou noir avale chaque seconde une quantité de matière équivalente à plusieurs dizaines de milliers de fois la masse de la Terre. Une énergie prodigieuse est aussitôt émise, mais elle a du mal à sortir à cause de toute la matière qui s’enfonce dans le trou noir. L’énergie parvient cependant à s’échapper sous la forme de deux jets de matière et de rayons gamma : c’est ce qui donne les sursauts gamma. On ne peut les repérer que si l’on se trouve sur l’axe de l’un des deux jets, et on estime ainsi que nous ne détectons qu’entre 0,2 et 1 % des sursauts gamma qui se produisent dans l’Univers. On observe aussi parfois la supernova, produite quant à elle par l’explosion des couches extérieures de l’étoile mourante, qui accompagne le sursaut gamma avec quelques jours de retard.
Pourquoi s’intéresse-t-on à ces sursauts ?
J.-L. A. Nous étudions les sursauts gamma car ce sont quasiment les seuls signaux disponibles de la formation d’un trou noir. Ils nous éclairent aussi sur la physique très complexe qui se déroule dans les jets relativistes, qui se déplacent presque aussi vite que la lumière. Car si dans ces sursauts, on a d’abord seulement observé les flashs de rayons gamma, les chercheurs constatent depuis vingt-cinq ans que le phénomène s’accompagne d’une plus grande diversité de rayonnements, produits par le choc du jet sur le gaz environnant : infrarouges, X, etc.
Les sursauts gamma ont également l’avantage de se produire partout dans l’Univers et d’émettre une lumière si brillante qu’elle peut traverser plusieurs galaxies. Se faisant, certaines de ses longueurs d’onde sont absorbées par la matière qu’elles rencontrent. Cela nous donne un moyen de mieux connaître la composition de galaxies trop lointaines pour être étudiées directement, ainsi que celle du milieu intergalactique.
De nombreux satellites sont spécialement équipés pour étudier les sursauts gamma, comme le télescope spatial Swift de la Nasa, mais d’autres systèmes sont capables de les détecter même si ce n’est pas leur fonction première. Je participe d’ailleurs à la mission franco-chinoise Svom2, dont une des caméras sera dédiée aux rayonnements gamma. L’étude des sursauts gamma est cependant compliquée par le fait que nous n’avons, pour l’instant, aucun moyen de prédire où et quand ils vont se produire.
Que va nous enseigner d’autre GRB 221009A ?
J.-L. A. La proximité de ce sursaut nous a permis de constater que l’évènement est plus complexe que prévu. Si d’habitude on n’observe que le pic du sursaut gamma, d’une durée de dix à vingt secondes, on a cette fois-ci aussi observé environ trois minutes avant un sursaut précurseur, ainsi qu’une émission décroissante longtemps après le pic. Mais les chercheurs ont surtout été intrigués par le fait que le sursaut gamma a également agité les détecteurs de photons de très haute énergie, ce qui n’était pas du tout attendu. De tels rayonnements cosmiques ne sont en effet pas censés pouvoir parcourir une telle distance depuis l’étoile qui a explosé, ce qui pose une sérieuse question de physique.
Parmi les explications avancées, ces photons seraient des particules secondaires émises par des rayons cosmiques accélérés dans les jets du sursaut, ce qui prouverait que, comme les supernovæ, les sursauts gamma sont des sources de rayons cosmiques. Les rayons cosmiques étant des particules accélérées, principalement des protons et quelques noyaux. Or très peu d’objets et d’événements célestes sont capables de leur fournir l’énergie nécessaire. De nombreux travaux tentent de mieux comprendre l’origine des rayons cosmiques. Certains arrivent de notre galaxie, notamment via les supernovæ et d’autres des noyaux actifs de galaxies, sans que l’on en ait encore identifié toutes les sources. Savoir si les sursauts gamma peuvent oui ou non émettre des rayons cosmiques de très haute énergie nous éclairera sur ces modèles encore en construction.
Les sources de rayons cosmiques sont aussi des sources de neutrinos, mais ces derniers sont à peine moins véloces que les rayons cosmiques et gamma. La différence peut sembler infime, mais sur de telles distances elle signifie que les neutrinos éventuellement émis par le phénomène pourraient arriver sur Terre de quelques secondes à quelques semaines après le sursaut gamma. Il faudra donc surveiller cela, par exemple grâce aux centres de détection des neutrinos comme IceCube, installé au niveau de la base scientifique Amundsen–Scott au pôle Sud, ou le KM3NeT3 en cours de construction sous la mer Méditerranée. Le sursaut gamma GRB221009A pourrait ainsi représenter une sorte de pierre de Rosette pour notre compréhension des phénomènes physiques à l’œuvre dans des évènements. ♦
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Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.
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