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Au Cern, les scientifiques reprennent l’exploration des origines de l’Univers

Au Cern, les scientifiques reprennent l’exploration des origines de l’Univers

04.07.2022, par
Vue d'artiste du mécanisme Brout-Englert-Higgs. Ce champ de recherche en physique des particules explique comment les particules subatomiques reçoivent une masse grâce à leur interaction avec le champ de Higgs.
Le 4 juillet 2012, le monde apprenait la découverte du boson de Higgs. Dix ans pile après cet événement historique, les installations du LHC - qui sortent d’une cure de jouvence de trois ans - s’apprêtent à une nouvelle collecte de données, deux fois plus importante que les précédentes. De quoi lever un peu plus le voile sur les secrets de la matière élémentaire.

Cet article est le premier d'une série de quatre épisodes consacrés au run 3 du LHC, à retrouver sur le site de l'Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3) du CNRS.

Cette fois ça y est, après trois ans de mise à l’arrêt pour maintenance, le LHC (Large Hadron Collider), le collisionneur géant de particules du Cern, près de Genève, a redémarré. Cent mètres sous terre, dans son anneau de 27 kilomètres de circonférence, des protons sont à nouveau accélérés dans les deux sens à une vitesse proche de celle de la lumière, avant d’être projetés les uns contre les autres au sein des quatre détecteurs – Alice, Atlas, CMS, LHCb – placés le long de leur trajectoire. À la clé, un concentré d'énergie cinétique qui, en vertu de l’équivalence entre énergie et masse, se mue en gerbes de particules qui témoignent des processus à l’œuvre dans l’intimité de la matière.

Le boson de Higgs, 10 ans déjà !

Après une vaste cure de jouvence de l’ensemble des installations du LHC, l’énergie et la fréquence des collisions ont été augmentées, de même que la capacité des détecteurs à en récolter les produits. Ainsi, à l’issue de cette nouvelle période ou « run » d’une durée de quatre ans, les scientifiques qui opèrent le colosse genevois verront la masse de données dont ils disposent multipliée par trois. De quoi leur permettre d’explorer un peu plus avant les lois fondamentales de notre Univers, dont dépendent l’histoire du cosmos et celle de toute la matière qu’il contient.

Le physicien Peter Higgs, le 4 avril 2008, au Cern. En 1964, il a prédit l'existence d'un nouveau type de particule fondamentale, appelé le boson de Higgs.
Le physicien Peter Higgs, le 4 avril 2008, au Cern. En 1964, il a prédit l'existence d'un nouveau type de particule fondamentale, appelé le boson de Higgs.

Plus précisément, le run 3 du LHC constitue la suite d’une formidable aventure scientifique commencée il y a douze ans avec la mise en service de l’accélérateur. À l’époque, l’objectif des scientifiques est principalement de mettre en évidence l’existence du boson de Higgs. Boson de Higgs ? Selon l’actuelle théorie en vigueur de l’infiniment petit, le modèle standard, la matière élémentaire est composée de particules de matière qui interagissent en échangeant des particules de force. Développé entre les années 1960 et 1970, ce « modèle » a vu ensuite toutes ses prédictions vérifiées. Toutes, sauf une : celle de l’existence d’une particule supplémentaire, le fameux boson, censée conférer leur masse aux particules qui en ont une. L’énergie colossale mise en jeu dans les collisions du LHC devait enfin permettre d’extirper le Higgs des recoins de l’espace-temps où il se terrait. Et en effet, en 2012, quarante-huit ans après qu’une poignée de théoriciens avait prédit son existence, les expérimentateurs et expérimentatrices des expériences Atlas et CMS mettent en évidence le fameux boson de Higgs. La découverte, récompensée par un prix Nobel de physique en 2013, parachève alors l’édification du modèle standard.

Le 4 juillet 2012, les collaborations ATLAS et CMS présentent au CERN des données du LHC indiquant l’existence d’une particule aux propriétés compatibles avec celles d’un boson de Higgs par lequel les particules W, Z et autres acquièrent leur masse.
Le 4 juillet 2012, les collaborations ATLAS et CMS présentent au CERN des données du LHC indiquant l’existence d’une particule aux propriétés compatibles avec celles d’un boson de Higgs par lequel les particules W, Z et autres acquièrent leur masse.

Vers un nouveau continent de la physique

Pour autant, dès la conception du LHC, les spécialistes de la matière lui ont assigné une autre mission : celle de les mettre sur la piste d’une nouvelle physique, ou physique « non standard », non décrite par ledit modèle. De fait, entre matière noire, absence d’antimatière dans l’Univers, accélération de l’expansion cosmique, incohérences formelles… ils et elles savent depuis des décennies que leur représentation des lois de l’infiniment petit comme de l’infiniment grand est incomplète. Et c’est là tout l’enjeu du run 3 : permettre aux physiciens et physiciennes d’esquisser enfin les contours d’un nouveau continent physique demeuré jusqu’à aujourd’hui totalement inexploré. « On entre dans une phase d’exploration de l’inconnu, témoigne Marie-Hélène Genest, chercheuse au Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie1 (LPSC), à Grenoble, et membre de l’expérience Atlas. On n’est sûr de rien, si ce n’est que le run 3 va nous permettre de réaliser de très belles mesures à la précision inégalée. »

Concrètement, cette exploration empruntera de multiples voies complémentaires, en particulier auprès des expériences Atlas et CMS dites expériences « généralistes ». La première consiste à rechercher la trace de particules inconnues dans le lot de celles apparues lors des collisions entre protons. Aucune observation en ce sens n’a été faite lors des runs précédents. « Du fait de l’énergie légèrement plus importante engagée lors des collisions (de 13 à 13,6 TeV), la probabilité de produire des événements rares et intéressants augmentera de 20 % à 250 % selon la masse des particules », explique Marie-Hélène Genest. De plus, grâce à la plus grande statistique dont disposeront les physiciens et physiciennes au terme la campagne qui débute, il n’est pas impossible que des particules plus massives et/ou à des taux de production plus faibles que celles jusqu’à maintenant accessibles, se manifestent.

À gauche, un événement obtenu par l’expérience CMS montre une désintégration en deux photons (lignes jaunes en pointillés et lignes vertes). À droite, un événement obtenu par l’expérience Atlas montre une désintégration en quatre muons (traces rouges).
À gauche, un événement obtenu par l’expérience CMS montre une désintégration en deux photons (lignes jaunes en pointillés et lignes vertes). À droite, un événement obtenu par l’expérience Atlas montre une désintégration en quatre muons (traces rouges).

Par ailleurs, via des stratégies de détection et d’analyses renouvelées, les scientifiques envisagent la possibilité de particules très légères qui seraient comme demeurées « sous leur radar ». Enfin, ils et elles rechercheront des particules à longue durée de vie qui, se désintégrant par conséquent loin du point d’impact, voient leurs produits plus difficiles à identifier.

Traquer les écarts minimes et les particules exotiques

D’après les spéculations théoriques, certaines de ces particules putatives sont candidates à la résolution de l’énigme de la matière noire, demeurée invisible, mais dont les astrophysiciens croient observer les effets gravitationnels à toutes les échelles de l’Univers. D’autres seraient le signe de symétries nouvelles auxquelles obéiraient les lois les plus fondamentales, ou bien de l’existence de dimensions d’espace supplémentaires. Quoi qu’il en soit, comme l’explique Marie-Hélène Schune, au Laboratoire des 2 infinis Irène Joliot-Curie2 (IJCLab) et membre de l’expérience LHCb, « dans une période où l’expérience doit servir de guide pour faire le tri parmi les très nombreuses approches proposées au-delà du modèle standard, notre stratégie sera de regarder dans toutes les directions possibles sans référence à une théorie en particulier. »

En particulier, au-delà de l’observation de particules nouvelles, les scientifiques traqueront à la loupe de possibles écarts à ce que prévoit le modèle standard dans différents canaux de désintégration de particules. Comme le détaille Marie-Hélène Genest, « ces écarts pourraient en effet être le signe de l’existence de particules non standards trop massives pour se matérialiser au LHC, faute d’une énergie suffisante, mais faisant néanmoins ressentir leur influence virtuelle dans les processus quantiques accompagnant les collisions. »

Et si le boson de Higgs se désintégrait aussi en des particules inconnues, invisibles pour les détecteurs, par exemple des particules qui pourraient constituer la matière noire omniprésente dans l'Univers ?
Et si le boson de Higgs se désintégrait aussi en des particules inconnues, invisibles pour les détecteurs, par exemple des particules qui pourraient constituer la matière noire omniprésente dans l'Univers ?

À cet égard, tous les regards se tourneront vers l’expérience LHCb conçue pour étudier la désintégration de particules appelées mésons B, qui contiennent un quark beau ou son antiparticule. De fait, les données enregistrées au cours des « runs » précédents ont révélé plusieurs « anomalies » dans la manière dont certains mésons beaux se désintègrent soit en électrons, soit en muons. Selon le modèle standard, les deux processus devraient être parfaitement équivalents. Or ce n’est pas le cas. De même des distributions angulaires « non standards » dans la manière dont sont émis certains produits de désintégration de ces particules ont été observées. « À cette heure, ces écarts ne sont pas encore statistiquement suffisamment significatifs pour conclure, mais ils pourraient se renforcer et finir par dessiner un paysage cohérent en faveur d’une physique inconnue », s’enthousiasme Marie-Hélène Schune.

Aller encore plus loin dans les secrets du Higgs 

Au programme du run 3, l’étude précise des propriétés du boson de Higgs sera également l’une des priorités. Lors des runs 1 et 2, les expériences ont révélé la façon dont la particule interagit avec les quarks top et beau, de même qu’avec le lepton tau, et les bosons W et Z qui véhiculent l’interaction faible. Désormais, les scientifiques espèrent notamment commencer à comparer son taux de désintégration en une paire de leptons tau à celui de la désintégration en une paire de muons.

Désintégration très rare d'un méson beau comprenant un électron et un positon, observée dans le détecteur LHCb.
Désintégration très rare d'un méson beau comprenant un électron et un positon, observée dans le détecteur LHCb.

Comme l’explique Yves Sirois, au Laboratoire Leprince-Ringuet3 (LLR) et membre de l’expérience CMS, cette mesure touche à l’un des plus grands mystères de la matière : « On observe que les particules de matière s’organisent en trois familles parfaitement identiques sans que l’on sache pourquoi. Plus précisément, les particules des différentes familles ne se distinguent que par leur masse, c’est-à-dire via la façon dont elles interagissent avec le Higgs. Ainsi, un éventuel écart entre la manière dont le Higgs se désintègre en muons ou en taus, deux particules qui jouent le même rôle au sein de leur famille respective, pourrait nous mettre sur une piste pour comprendre pourquoi l’Univers matériel semble présenter trois copies identiques de lui-même. »

Sur le terrain du Higgs, le run 3 permettra aussi les premières mesures de l’interaction de la particule avec elle-même. Ce faisant, les physiciens et physiciennes commenceront l’étude des propriétés du champ de Higgs, cette entité quantique d’où est extrait le boson du même nom lors des collisions au sein de l’accélérateur, et qui baigne tout l’Univers, donnant sa structure au vide et leur masse aux particules. « Il y a là un lien profond avec l’histoire de l’Univers, précise Yves Sirois. En effet, on sait que juste après le Big Bang, les particules n’avaient pas de masse, ce qui signifie que le champ de Higgs présentait une structure différente. Celle-ci a-t-elle évolué partout en même temps dans le cosmos, ou bien par croissance de régions de plus en plus vastes ? Nous n’en savons rien, de même que nous ne savons pas si le champ de Higgs, dans sa structure actuelle, est définitivement stabilisé ou pas. » Amorce de réponse possible à l’issue du run 3.

Un plasma de quarks et de gluons

Les liens entre infiniment petit et infiniment grand seront également dans la ligne de mire de l’expérience Alice, dont le détecteur est dédié à l’étude du plasma de quarks et de gluons (PQG). Obtenu en faisant entrer en collision des noyaux de plomb, il s’agit d’une sorte de « soupe » de matière ultra-chaude et dense au sein de laquelle les quarks et les gluons, usuellement liés les uns aux autres, sont libres de se déplacer. Or, essentiel pour étudier en détail les propriétés de l’interaction forte, celle qui structure notamment les noyaux atomiques, le PQG correspond également à l’état dans lequel les cosmologistes pensent que se trouvait l’Univers quelques microsecondes après le Big-Bang.

Gerbes de particules dans le détecteur ALICE à l’occasion des premières collisions entre des ions de plomb de 2018.
Gerbes de particules dans le détecteur ALICE à l’occasion des premières collisions entre des ions de plomb de 2018.

Impossible à observer directement, le PQG se révèle à travers les myriades de particules qu’il éjecte au sein du détecteur en même temps qu’il se refroidit et que la matière élémentaire qui le compose se réorganise. Or comme l’explique Stefano Panebianco, de l’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (CEA Paris-Saclay) et membre d’Alice, « durant les run 1 et 2, nous nous sommes concentrés sur les particules les plus couramment émises par le plasma, tels les protons et les neutrons, ainsi que quelques résonances caractéristiques. » Ainsi, les chercheurs et chercheuses ont obtenu plusieurs résultats spectaculaires, en démontrant notamment que le plasma de quarks et de gluons se comporte tel un liquide dont la viscosité serait presque nulle. Mais avec les jouvences réalisées ces trois dernières années, « nous allons avoir accès à des particules sondes contenant des quarks lourds, à la fois produites en faible nombre et aux modes de décroissance exotiques, de quoi enfin accéder à une description plus détaillée et sélective des propriétés de ces sondes », poursuit le chercheur.

Celle-ci devrait notamment permettre d’apporter une réponse à la question de savoir quelle est la nature profonde de la transition qui voit le plasma brûlant se muer en matière ordinaire lorsque la température diminue. « C’est très important pour contraindre les modèles de l’histoire de l’Univers et les extrapoler jusqu’à l’ère de Planck durant laquelle le cosmos à peine sorti du Big Bang n’était encore qu’une bouillie de particules quantiques », décrit Stefano Panebianco.

Tout comme leurs collègues de l’expérience LHCb, dont l’expérience est sensible à l’asymétrie entre matière et antimatière, les scientifiques d’Alice imaginent également apporter des indices permettant d’aider à comprendre pourquoi l’Univers est totalement vide d’antimatière. Depuis un siècle, cette énigme demeure lancinante, alors que les équations du modèle standard indiquent une symétrie quasi parfaite entre la matière et sa Némésis. De quoi faire du run 3 une formidable opportunité pour mettre le LHC au défi des plus grands mystères de l’infiniment petit comme de l’infiniment grand. ♦
 

Notes
  • 1. Unité CNRS/Univ. Grenoble-Alpes.
  • 2. Unité CNRS/Univ. Paris-Saclay.
  • 3. Unité CNRS/École polytechnique.

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