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Internet, l’autoroute de la désinformation ?

Internet, l’autoroute de la désinformation ?

Invasion du Capitole le 6 janvier 2021. Des militants pro-Trump veulent bloquer la certification des résultats de l’élection de Joe Biden. Des semaines auparavant, Donald Trump avait crié à la fraude sans convaincre la justice. Par de multiples tweets, il galvanise ses partisans qu’il invite finalement à se rassembler à Washington le jour J.
« Soyez-y, ce sera sauvage ! », avait exhorté Donald Trump sur Twitter avant l'invasion du Capitole le 6 janvier 2021, reconstituée mi-juin par une commission d'enquête. L'ancien président criait à la fraude électorale... Fake news et manipulations de l'opinion ont-elles vraiment fait d'Internet une autoroute de la désinformation ? Plusieurs études offrent un tableau plus nuancé.

Cet article a été initialement publié dans le n° 12 de la revue Carnets de science, disponible en librairies.

Fake news ou infox : nom moderne d’un très vieux phénomène social. Dater l’émergence de ces affirmations truquées serait en effet hasardeux tant le travestissement délibéré des faits par un individu, un groupe ou un gouvernement semble avoir toujours existé. Objectif : ternir la réputation d’une personnalité, discréditer un opposant politique, fragiliser un fait scientifique, prétendre dévoiler un plan secret de domination du monde… bref, trafiquer les faits pour manipuler l’opinion.
  
Pour autant, selon certains, jamais l’humanité n’aurait vogué au milieu d’un tel océan d’info comme d’infox... « Les fake news sont notamment devenues les grandes animatrices des campagnes électorales récentes, de la campagne pro-Brexit au Royaume-Uni jusqu’à l’élection du président brésilien Jair Bolsonaro, en passant par diverses élections en Europe et aux États-Unis », pointe Émeric Henry, professeur au département d’économie de Sciences Po1. De même, de nombreuses infox, comme celles véhiculées par le documentaire Hold-up, sorti en novembre 2020 et visionné des millions de fois sur Internet, circulent autour de la pandémie de Covid-19.

Boris Johnson lors de la tournée Brexit Battle Bus, le 17 mai 2016, à Stafford, Angleterre. Selon lui, une sortie de l’Union européenne (UE) ferait économiser 350 M£ par semaine. Démenti par l’UE, l’argument est qualifié d’erreur par Nigel Farage, principal partisan du Brexit, au lendemain du référendum actant celui-ci.
Boris Johnson lors de la tournée Brexit Battle Bus, le 17 mai 2016, à Stafford, Angleterre. Selon lui, une sortie de l’Union européenne (UE) ferait économiser 350 M£ par semaine. Démenti par l’UE, l’argument est qualifié d’erreur par Nigel Farage, principal partisan du Brexit, au lendemain du référendum actant celui-ci.

De fait, les plateformes numériques, en particulier les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter, jouent aujourd’hui un rôle majeur dans la viralité de contenus, qu’ils soient conformes à la vérité ou intentionnellement mensongers. Fantastique caisse de résonance, Internet est une aubaine pour les manipulateurs d’opinion. Tout vient d’abord de ce que « le modèle des plateformes repose sur le partage à tout va puisque leurs revenus publicitaires dépendent du degré d’activité », rappelle Émeric Henry. Les algorithmes des réseaux sociaux, loin d’être neutres, ne sont pas conçus pour trier le vrai du faux mais pour choisir, classer, hiérarchiser, cibler les informations susceptibles de capter l’attention d’un maximum d’utilisateurs.

Une « prime » à l’émotion et à la controverse

« Plus un utilisateur passe de temps sur une plateforme, plus celle-ci a des occasions d’afficher des encarts publicitaires et plus ses recettes augmentent, renchérit Antonio Casilli, professeur de sociologie à Télécom Paris et membre de l’Institut interdisciplinaire de l’innovation2.

Les algorithmes qui déterminent les fils d’information des utilisateurs sont optimisés pour mettre en avant des messages (...) provoquant de fortes réactions émotionnelles (…). Les fake news les plus outrancières bénéficient ainsi d’une large diffusion.

Or, les algorithmes qui déterminent le fil d’information de chaque utilisateur sont optimisés pour mettre en avant des messages percutants et provoquant des réactions émotionnelles fortes. Une sorte de “prime” à lémotion et à la controverse, laquelle incite l’utilisateur à prolonger sa connexion. C’est pourquoi les fake news les plus outrancières bénéficient dune large diffusion. » Si les plateformes s’enrichissent, ce n’est pas le cas de tout le monde : « Selon une étude conduite en 20193, le coût des fake news en termes de pertes boursières, de risques pour la santé publique, d’atteinte à l’image des marques et de dépenses de campagnes électorales est estimé à 78 milliards de dollars... », indique le chercheur.

Pour opérer, divers stratagèmes sont utilisés par des officines gouvernementales, des partis politiques, des groupes activistes, des requins des affaires et autres malins génies numériques. À commencer par le recours à de faux profils contrôlés depuis des « usines à trolls » (internautes malfaisants) comme l’Internet Research Agency établie à Saint-Pétersbourg, proche du Kremlin et particulièrement active durant la présidentielle américaine de 2016.

Agrandissements de pages Facebook créées par l'Internet Research Agency, organisation de propagande établie à Saint-Pétersbourg. Elles sont présentées lors de l'audition, au Capitole, à Washington, d'un groupe de travail et d'investigation sur la Russie et les entreprises de réseaux sociaux.
Agrandissements de pages Facebook créées par l'Internet Research Agency, organisation de propagande établie à Saint-Pétersbourg. Elles sont présentées lors de l'audition, au Capitole, à Washington, d'un groupe de travail et d'investigation sur la Russie et les entreprises de réseaux sociaux.

« De telles entreprises, spécialisées dans la communication agressive, recourent à des bataillons d’opérateurs pour déverser des propos fallacieux sur les réseaux sociaux, commente Antonio Casilli. Ces petites mains invisibles, payées à la pièce, à peine quelques centimes par message, sont majoritairement installées dans les pays émergents ou à faibles revenus. Les fausses informations ainsi produites peuvent ensuite être relayées par des comptes semi-automatisés (bots) capables d’interagir avec des personnes réelles. Ces programmes qui tweetent à haute fréquence, jour et nuit, notamment vers des comptes influents, amplifient la diffusion de fake news. » Autant de dispositifs mis à profit pour organiser des campagnes de propagande comme celles d’astroturfing (le nom est un clin d’œil à la marque américaine AstroTurf qui vend du gazon synthétique, donc imitant le vrai…). Cette pratique consiste à simuler un mouvement spontané de l’opinion avec un nombre restreint d’acteurs.

Régulation des réseaux et démocratie

« En inondant les réseaux sociaux de faux comptes, un donneur d’ordres et quelques sous-traitants font croire à un vaste mouvement citoyen venu de la base, explique Antonio Casilli. C’est ainsi que les architectes de la stratégie Internet d’Éric Zemmour, en s’appuyant sur un nombre limité de comptes Twitter (« Les profs avec Zemmour », « les entrepreneurs avec Zemmour », « les militaires avec Zemmour »…), ont réussi à afficher si souvent le polémiste parmi les sujets tendances de Twitter, créant l’illusion d’un ralliement de la société civile à ses idées ».

Confier à la justice la tâche redoutable de distinguer le vrai du faux, au risque d’empiéter sur la liberté d’expression, prête à discussion.

Face à ce type de manipulations, diverses réponses tâtonnent. L’Allemagne a adopté une loi punissant d’une amende de 50 millions d’euros les plateformes qui ne retirent pas les contenus illicites qui leur ont été signalés. Le Parlement français, fin 2018, a voté un texte donnant notamment au juge le pouvoir de bloquer en 48 heures des contenus ou des sites propageant des infox en période électorale. Mais confier à la justice la tâche redoutable de distinguer le vrai du faux, au risque d’empiéter sur la liberté d’expression, prête à discussion.

De même, les efforts d’autorégulation déployés par les géants des réseaux sociaux laissent dubitatifs. « Leur cœur de métier est de réaliser des profits, pas de faire de la modération de contenu qui pourrait mettre leur croissance en danger… », rappelle Antonio Casilli. Les plateformes se contentent donc du minimum pour ne pas provoquer un tollé dans l’opinion et éviter d’être assujetties à une régulation étatique plus contraignante, ce qui serait pour elles une catastrophe. Certains observateurs, inquiets pour la démocratie, plaident tout de même pour la possibilité d’auditer les algorithmes de certaines plateformes par des instances ad hoc.

Frances Haugen, auditionnée à Paris fin 2021 par la commission des affaires européennes. La lanceuse d’alerte a notamment expliqué comment les algorithmes de Facebook contribuent à enfermer une petite part d’utilisateurs dans une vision fausse en orientant vers eux une grande quantité d’infox, liées au Covid-19 par exemple.
Frances Haugen, auditionnée à Paris fin 2021 par la commission des affaires européennes. La lanceuse d’alerte a notamment expliqué comment les algorithmes de Facebook contribuent à enfermer une petite part d’utilisateurs dans une vision fausse en orientant vers eux une grande quantité d’infox, liées au Covid-19 par exemple.

Vérifier les faits, une fausse bonne idée ?

Et les cellules de fact-checking ou vérification des faits ? Mises sur pied par les médias traditionnels (« Les décodeurs » pour Le Monde, « Désintox » pour Libération…), leur utilité suscite le doute. Pour preuve, l’expérience menée par Émeric Henry sur 2 500 personnes représentatives de la population française dans le cadre de l’élection présidentielle française de 20174. « Nous avons soumis une partie des participants à des déclarations de Marine Le Pen reposant sur des statistiques erronées à propos des migrants ; et proposé à d’autres les mêmes citations suivies de corrections provenant de sources officielles comme l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) », explique le chercheur.

Après le fact-checking, les impressions initiales des participants ont persisté malgré les corrections. Et se focaliser ainsi sur le sujet leur a rendu cette thématique plus anxiogène encore !

Résultats : les personnes confrontées au fact-checking ont assimilé les chiffres officiels et ont amélioré leur connaissance factuelle de l’immigration. Aucun effet en revanche sur leurs opinions ou leurs intentions de vote... « Leurs impressions initiales ont en fait persisté malgré les corrections. Tandis que la focalisation sur le sujet, via le fact-checking, leur a rendu cette thématique plus anxiogène encore ! » Ce qui pourrait expliquer que même lorsqu’ils n’étaient exposés qu’aux statistiques institutionnelles, des participants ont davantage soutenu le Rassemblement national à la fin de l’expérience que d’autres soumis à aucun de ces chiffres…

Une étude plus rassurante sur l’efficacité du fact-checking, à paraître dans American Economic Journal, a été réalisée en 2020 par Émeric Henry auprès d’un échantillon de taille équivalente. « Nous avons confronté des utilisateurs de Facebook à des contenus erronés sur l’Europe, explique le chercheur. Les participants mis au courant, grâce au fact-checking, imposé ou seulement proposé, se sont montrés nettement moins enclins à les reposter que ceux confrontés aux seules infox. Le partage de fausses nouvelles, dans ce groupe, a ainsi diminué de 30 à 45 %. »
   
Une expérience de 20205 montrait aussi que « pour ne pas passer pour des idiots, des participants américains à une étude ont résisté à la tentation de transmettre des infox, commente Hugo Mercier, chercheur en sciences cognitives à l’Institut Jean-Nicod6. Pour eux, comme pour les médias, les politiciens et les institutions, la pratique s’avère en effet coûteuse en termes de réputation et de confiance accordée, sachant qu’il est plus facile de la perdre que de la gagner…  »

Les informations fiables se répandent aussi...

Question propagation, d’autres résultats7, maintes fois cités dans les médias, de CNN aux différents JT du monde, font, eux, froid dans le dos. Ils montrent que, sur Twitter, les infox de nature politique prendraient trois fois moins de temps pour atteindre 20 000 personnes que les « vraies » informations pour en atteindre 10 000. Mais selon Hugo Mercier, « résumer ainsi ce qui se passe dans nos vies est complétement faux. Il faut considérer un fait important : la majorité des “vraies” informations ne sont jamais vérifiées tant elles sont évidentes. Par exemple, aucun fact-checking n’a jamais été publié sur l’élection d’Emmanuel Macron en 2017. Or les informations testées dans l’étude en question sont toutes issues de correctifs. Si bien que l’échantillon retenu est loin d’être représentatif de l’immense quantité d’informations vraies qui circulent. »

« Non à la guerre. Ne croyez pas la propagande. On vous ment, ici », lit-on sur l’affiche brandie par Marina Ovsiannikova pendant le JT de la première chaîne publique de Russie, le 14 mars 2022. Dans ce contexte, Internet et les réseaux sociaux sont loin d'être les médias de prédilection de la désinformation...
« Non à la guerre. Ne croyez pas la propagande. On vous ment, ici », lit-on sur l’affiche brandie par Marina Ovsiannikova pendant le JT de la première chaîne publique de Russie, le 14 mars 2022. Dans ce contexte, Internet et les réseaux sociaux sont loin d'être les médias de prédilection de la désinformation...

Même problème côté infox : seules celles qui ont beaucoup circulé, et ont donc attiré l’attention des fact-checkeurs, se retrouvent dans les échantillons de l’étude incriminée. Tandis que l’océan d’infox privées de succès, ne doit, lui, pas circuler bien vite... « Il me semble en fait que les informations fiables se répandent beaucoup plus vite que les fake news », affirme Hugo Mercier, à contre-courant de l’inquiétude ambiante.

Réduire à néant l'acceptation des fake news

Le chercheur se fonde en partie sur ses récents travaux. Avec son équipe, il a montré qu’accroître très légèrement (de 1 ou 2 %) l’acceptation des informations fiables aurait autant d’effets que de réduire à néant l’acceptation des fake news par les internautes8. Car ces dernières ne représenteraient, en quantité, qu’une faible part des informations consommées par la population (quelques pourcents).

Les infox politique prennent-elles vraiment trois fois moins de temps pour atteindre 20 000 personnes que les «vraies» informations pour en atteindre 10 000 ? Résumer ainsi ce qui se passe (...) est complétement faux, selon Hugo Mercier.

« Pour obtenir ce résultat, nous avons nourri notre modèle mathématique avec des données publiées sur la prévalence des fake news. Plutôt que de compter les articles individuels, ces données trient les articles par site, en se focalisant sur les sites dits “propagateurs”, qui génèrent beaucoup de trafic, à savoir : les grands médias, systématiquement surveillés par le fact-checking, et des sites moins officiels mais populaires, qui ont donc eux aussi attiré l’attention des fact-checkeur. » Là encore, l’information « Macron élu président en 2017 » n’aura certes pas été vérifiée. Mais au moins, le site source, qu’il soit mainstream (grand média de masse, par opposition aux médias dits alternatifs) ou non, a été pris en compte dans le ratio obtenu, ce qui rend le chercheur optimiste sur la question.

Les travaux sur lesquels s’appuient Hugo Mercier et ses collègues estiment non seulement que les fake news ne représentent qu’une partie minime des informations présentes sur Facebook et Twitter9, mais aussi que seul un tout petit nombre d’individus en est à l’origine10. « La plupart des internautes, en fait, ne sont presque jamais exposés aux fake news », affirme Hugo Mercier.
    
Et quand c’est tout de même le cas ? « Les humains sont moins crédules et manipulables qu’on ne le pense. Nous sommes tous dotés de mécanismes psychologiques qui nous rendent méfiants vis-à-vis de nouvelles informations. Devant une proposition inédite, ces dispositifs cognitifs nous font nous interroger sur la fiabilité de sa source et la crédibilité de son contenu, et ils nous permettent de déjouer la plupart des tentatives de persuasion de masse émanant de médias, de publicitaires, de politiques… », commente-t-il sur la base de son récent essai passant en revue la littérature en psychologie11.

Le numérique fracture-t-il le tissu social ?

« Nous avons même tendance à rejeter trop d’informations vraies, comme observé dans notre étude précédemment citée », poursuit le chercheur. Dans leurs résultats en effet, si 30 % des fake news ont fait illusion chez les participants, ceux-ci ont aussi jugé fausses 40 % des informations fiables…
   
« Cela peut certes avoir des effets pervers dans certaines situations, par exemple en matière de vaccination, si les informations en expliquant les bienfaits sont rejetées. » Reste que, « comme l’a montré mon collègue Alberto Acerbi12, les infox qui se répandent le mieux sont essentiellement des potins sur les célébrités ou des informations liées au dégoût, au sexe, ce qui perturbe peu le fonctionnement de la démocratie. Quant aux fausses nouvelles de nature politique ou en contexte de crise, liées à la peur ou au danger, dont on pourrait en effet craindre qu’elles aient un effet massif sur l’opinion, plusieurs études indiquent13 qu’elles sont consommées quasi-exclusivement par des gens déjà d’accord avec le point de vue qu’elles expriment. Il est par conséquent peu probable qu’elles soient en mesure de provoquer des bouleversements socio-politiques importants. »

Et pourtant. Réseaux sociaux et fake news sont régulièrement pointés du doigt comme « facilitateurs » viciés de mouvements de foule. Et ce qu’il s’agisse de l’invasion du Capitole14, le 6 janvier 2021 à Washington DC, par des partisans pro-Trump convaincus que l’élection lui avait « été volée », ou de la manifestation « organisée » en 2016 à Houston depuis la Russie par l’Internet Research Agency via la case « événement » de Facebook pour favoriser l’élection de Donald Trump, ou encore des différentes manifestations anti-vax, où beaucoup de personnes croient à des infox.

Graphe issu du livre « Toxic Data » de David Chavalarias. Grâce à des millions de tweets de début 2022, ici représentés en nuées de points, le mathématicien illustre ce qui se passe sur le réseau social : d’où part une information, comment un mot-clé circule, etc. Le but est d’analyser l’influence de la plateforme sur les opinions politiques.
Graphe issu du livre « Toxic Data » de David Chavalarias. Grâce à des millions de tweets de début 2022, ici représentés en nuées de points, le mathématicien illustre ce qui se passe sur le réseau social : d’où part une information, comment un mot-clé circule, etc. Le but est d’analyser l’influence de la plateforme sur les opinions politiques.

Le mathématicien David Chavalarias, directeur de l’Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France du CNRS, a modélisé les manipulations des opinions grâce aux masses de données générées sur Twitter en lien avec la présidentielle française. Selon lui, le numérique fracture-t-il le tissu social ? « L’usage des réseaux sociaux n’a même pas vingt ans. Nous n’avons que peu de recul sur l’impact qu’ils ont sur l’organisation de la vie sociale à l’échelle d’un pays », modérait-il dans une interview il y a quelques mois, tout en s’inquiétant que nos démocraties soient à l’avenir balayées par des mouvements populistes, à cause des manipulations d’opinions inhérentes au fonctionnement économique des grandes plateformes numériques.

Rendre le clic plus contraignant

Que la viralité des infox, leur quantité et leur effet pernicieux soient surestimés ou non, tout le monde s’accorde sur un point : il faut lutter. Une stratégie propose de rendre plus contraignant le partage de message. « L’idée est de complexifier un peu cet acte aujourd’hui exécuté en un clic (« j’aime », « like », « retweet »), explique Émeric Henry. Il s’agirait d’obliger les utilisateurs à confirmer leur intention en cliquant sur un lien rappelant que le transfert d’infox peut être lourd de conséquences. » Un test a montré que cet effort réduisait le partage de fausses nouvelles de… 75 %15 ! « Mais la mise en place d’une telle mesure paraît difficile, réagit Antonio Casilli. Les géants de la tech, de Facebook à Amazon, s’efforcent justement depuis 2010 de généraliser la démarche opposée, celle du partage d’information “en un clic” ou “sans accroc”. »

Autre approche, classique et largement plébiscitée : dispenser des cours d’« éducation médiatique », pour apprendre aux jeunes (et aux moins jeunes…) à aiguiser leur sens critique vis-à-vis des alouettes numériques. Bref, s’adapter aux nouvelles technologies de l’information comme nous avons toujours dû le faire depuis l’imprimerie, la photographie ou l’image vidéo, qui ne disent pas toujours vrai… ♦

À lire sur notre site :
Réseaux sociaux : les rouages de la manipulation de l’opinion
L’étonnante acceptabilité des deep-fake
La science est-elle en crise ?
Comment sauver le pluralisme des médias ?
Guerre en Ukraine : la résistance est aussi numérique

Notes
  • 1. Unité CNRS/Institut d’études politiques de Paris/Sciences Po Paris.
  • 2. Unité CNRS/École polytechnique/Mines ParisTech/Telecom Paris.
  • 3. “The Economic Cost of Bad Actors on the Internet”, Roberto Cavazos, Cheq, University of Baltimora, 2019.
  • 4. “Facts, Alternative Facts, and Fact Checkingvin Times of Post-Truth Politics”, O. Barrera, S. Guriev, E. Henry et E. Zhuravskaya, Journal of Public Economics, vol. 182, 2020.
  • 5. “Why do so few people share fake news? It hurts their reputation”, S. Altay, A. S. Hacquin et H. Mercier, New media & society, 24 nov. 2020.
  • 6. Unité CNRS/ENS-PSL.
  • 7. “The Spread of True and False News Online”, S. Vosoughi, D. Roy et S. Aral, Science, vol. 359, n° 6380, mars 2018.
  • 8. Research note: “Fighting misinformation or fighting for information?”, A. Acerbi, S. Altay et H. Mercier, Misinformation Review, 12 janvier 2022.
  • 9. “Evaluating the fake news problem at the scale of the information ecosystem”, J. Allen et al., Science Advances, vol. 6, n° 4, avril 2020.
  • 10. “Fake news on Twitter during the 2016 U.S. presidential election”, Grinberg et al., Science, vol. 363, n° 6425, jan. 2019.
  • 11. Not Born Yesterday: The Science of Who We Trust and What We Believe, H. Mercier, Princeton University Press, 2020.
  • 12. “Cognitive attraction and online misinformation”, A. Acerbi, Palgrave Communications, vol. 5, n° 15, 2019.
  • 13. Par exemple : “Selective Exposure to Misinformation: Evidence from the consumption of fake news during the 2016 US presidential campaign”, European Research Council, A. Guess, B. Nyhan et J. Reifler, 2018.
  • 14. La commission d’enquête parlementaire sur l’assaut du Capitole a rendu ses conclusions mi-juin 2022. Elle détaille les nombreuses pressions exercées par Donald Trump sur son vice-président Mike Pense pour tenter de l'empêcher de certifier la victoire de Joe Biden à la présidentielle américaine.
  • 15. “Checking and sharing alt-facts”, E. Henry, E. Zhuravskaya et S. Guriev, American Economic Journal, juin 2020 (preprint).
Aller plus loin

Auteur

Philippe Testard-Vaillant

Philippe Testard-Vaillant est journaliste. Il vit et travaille dans le Sud-Est de la France. Il est également auteur et coauteur de plusieurs ouvrages, dont Le Guide du Paris savant (éd. Belin), et Mon corps, la première merveille du monde (éd. JC Lattès).

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