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Des pommes, des poires et de l’antigravité?

Dossier
Paru le 27.10.2023
Une année sous le signe de la physique
Point de vue

Des pommes, des poires et de l’antigravité?

29.03.2019, par
Une poire d’antimatière serait-elle tombée comme une pomme sur la tête de Newton ? Faute d'avoir été en mesure de la tester, les physiciens n’ont jusqu’ici aucune réponse sérieuse à cette question.

Depuis Galilée, on a compris que dans le vide, les kilos de plumes tombent toujours à la même vitesse que les kilos de plomb. Techniquement cela signifie que la masse gravitationnelle d’un objet (celle qui le fait tomber) et sa masse inertielle (celle qui le fait résister à sa mise en mouvement) sont identiques : c’est ce qu’on appelle le principe d’équivalence faible.

C’est en s’appuyant sur ce principe – et en mobilisant des outils mathématiques de plus en plus élaborés – que Newton puis Einstein, avec la théorie de la relativité générale, sont parvenus à décrire et à expliquer la gravitation. La relativité générale est une théorie éprouvée en physique et en cosmologie dont les prédictions n’ont jusqu’ici jamais été prises en défaut. Cela va de la mise en évidence, dès les années 1920, de l’expansion de l’Univers, que ses équations prédisent, à la première observation directe en 2014 d’ondes gravitationnelles dont l’existence était postulée par Einstein depuis 1915, en passant par la confirmation récente, et avec une précision inégalée, de la validité du principe d’équivalence faible sur la matière grâce au satellite Microscope1.

 

Rotation des galaxies et Univers primitif

Il subsiste cependant quelques difficultés comme la nécessité d’invoquer la masse d’une mystérieuse matière noire pour expliquer le mode de rotation des galaxies, ou d’une toute aussi mystérieuse énergie sombre pour expliquer le comportement de l’Univers primitif. En outre, la gravitation demeure la seule interaction fondamentale que l’on ne sait pas décrire avec le formalisme de la physique quantique. Enfin, non seulement nul n’a jamais observé le comportement gravitationnel de l'antimatière, mais aucune des deux théories n’est en mesure d’expliquer la quasi-absence d’antimatière dans l’Univers.
 

La gravitation demeure la seule interaction fondamentale que l’on ne sait pas décrire avec le formalisme de la physique quantique.

L’existence de l’antimatière a été prédite par Dirac en 1929. Dès 1932, Anderson découvrait l’antiélectron (aujourd’hui appelé positon). L’antiproton a ensuite été observé au Bevatron2, à Berkeley en 1955 par Segré et Chamberlain. On a, par ailleurs, détecté la présence d’antimatière dans les rayons cosmiques et c’est au Cern que le premier atome d’antimatière, l’antihydrogène a été créé en 1995. 

En vingt-quatre ans, les progrès réalisés dans l’étude de l’antihydrogène ont permis de comparer les énergies de transition de l’antihydrogène à celles de l’hydrogène, et de tester ainsi une des symétries sur lesquelles reposent le modèle standard de la physique quantique.
 

C'est le physicien britannique Paul Dirac (1902-1984) qui a le premier postulé l’existence des antiélectrons (positrons).
C'est le physicien britannique Paul Dirac (1902-1984) qui a le premier postulé l’existence des antiélectrons (positrons).

 

Effet répulsion et conservation de l’énergie

Mais qu’en est-il de l’effet de la gravitation sur l’antimatière ? Certaines théories des années 1980 prévoient une forme d’antigravité qui se manifesterait par une répulsion entre masses de matière et d’antimatière ! Un tel phénomène serait une violation forte du principe d’équivalence. Bref, toute démonstration expérimentale d’un tel effet bouleverserait notre compréhension de la physique fondamentale. Observer une telle répulsion poserait également un problème de conservation de l’énergie, mais pourrait expliquer pourquoi on ne trouve presque pas d’antimatière dans notre Univers local : celle-ci en aurait simplement été repoussée par la matière.
 
Plusieurs mesures de l’effet de la gravitation sur les antiprotons ont été tentées au milieu des années 1990, mais l’interaction gravitationnelle est tellement faible devant l’interaction électrique qu’elles ont jusqu’ici toutes échoué. En effet la moindre charge sur les parois de la chambre à vide exerce sur des antiprotons chargés électriquement une force de plusieurs ordres de grandeur plus intense que celle de la gravitation.
 
Trois projets ont donc été lancés pour tester le comportement de l’antimatière en mesurant l’effet de la gravitation terrestre sur l’antihydrogène qui, contrairement à l’antiproton, est électriquement neutre. Ces trois expériences, AEGIS3, GBAR4 et Alpha-g5  exploiteront la source d’antiprotons du Cern afin d’étudier le comportement de l'antimatière face à la gravité.

Installation du linac de GBAR dans sa casemate de radioprotection (à gauche). Les électrons accélérés à 10 MeV sur une cible fourniront les positons nécessaires à la formation d’antihydrogène, les antiprotons venant du décélérateur Elena.
Installation du linac de GBAR dans sa casemate de radioprotection (à gauche). Les électrons accélérés à 10 MeV sur une cible fourniront les positons nécessaires à la formation d’antihydrogène, les antiprotons venant du décélérateur Elena.

 

Un chaud et froid d’antiprotons

Malheureusement la masse de l’antihydrogène est aussi faible que celle de l’hydrogène : pour pouvoir mesurer des temps de chutes dans une chambre à vide de taille raisonnable avec assez de précision, il faut donc réduire le plus possible l’effet de l’agitation thermique des atomes. Cela revient à les refroidir à des températures très basse. Et cela constitue un challenge considérable, car l’antiproton est créé par une collision à haute énergie qui le porte à une température 2 millions de fois plus importante que celle de la matière située au centre du Soleil !
 

L’antiproton est créé par une collision à haute énergie qui le porte à une température 2 millions de fois plus importante que celle de la matière située au centre du Soleil !

À la sortie de la source d’antiproton du Cern, qui joue donc le rôle de décélérateur de particules, sa température est redescendue à environ 2 % de celle du centre du Soleil. Ce qui est encore beaucoup trop pour pouvoir « peser » correctement un atome : il faut donc utiliser un mécanisme de refroidissement à base de lasers UV malheureusement peu efficace sur des atomes aussi légers. 

 

Au mieux, on pourrait descendre à 10 millikelvin, ce qui représente un dix-millionième de la température de surface du Soleil et une réduction de 15 ordres de grandeur par rapport à la température initiale. Mais qui n’est pas encore tout à fait assez froid !

Lexpérience sur laquelle je travaille ne s’arrête heureusement pas en si bon chemin.  Pour étudier le comportement gravitationnel de l’antihydrogène au repos (GBAR), elle vise à fabriquer de l’antihydrogène à 10 micro-Kelvin. Le projet GBAR repose sur une idée de Theodor Wolfgang Hänsch, lauréat du prix Nobel 2005, qui a proposé la production du premier objet à antimatière à trois corps : un ion d’antihydrogène+ composé d’un antiproton et de deux antiélectrons. Le défi est de taille. Personne n’a encore essayé de produire un objet d’antimatière à 3 corps. Cela requiert de construire la source la plus intense d’antiélectrons au monde et de recycler les antiprotons n’ayant pas interagi.
 
Reste qu’un tel ion est stable et que grâce à sa charge positive, il est plus facilement manipulable qu’un antihydrogène neutre. L’idée est de le piéger avec des ions Be+ que l’on sait refroidir par laser plus efficacement que l’antihydrogène. Ces ions vont à leur tour refroidir l’ion d’antimatière par "refroidissement sympathique". On cassera ensuite cet ion avec un laser pour le regarder tomber en observant la gerbe de particules que produira son annihilation lors de sa rencontre avec la matière des parois. Même dans ce cas la contribution de l’agitation thermique au mouvement des atomes représente encore 50 % de la variation du temps de chute libre. Si l’antigravité existe, l’antihydrogène va monter et ça sera facile à observer. S’il faut mesurer une différence dans la vitesse de chute, il va falloir rester très frais. ♦
 

Notes
  • 1. Pour Micro-satellite à traînée compensée pour l’observation du principe d’équivalence.
  • 2. Accélérateur de particules, situé au Laboratoire national Lawrence-Berkeley, aux États-Unis.
  • 3. Pour Antihydrogen Experiment: Gravity, Interferometry, Spectroscopy.
  • 4. Pour Gravitational Behaviour of Antihydrogen at Rest.
  • 5. Alpha pour Antihydrogen Laser PHysics Apparatus.

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