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De la molécule à l’odeur
Marcher le nez au vent en se laissant bercer par les souvenirs et les sensations qui surgissent au gré des odeurs que nous croisons. Presque tout le monde en a fait l’expérience, parfois intense. Derrière les images et les sons qui nous assaillent, se déroule un processus neurobiologique complexe : la transformation d’une molécule en émotion.
à percevoir un accord musical produit sur un orgue de
400 touches.
À l’origine de toute perception olfactive, il y a une molécule suffisamment volatile pour voyager dans l’air et suffisamment hydrophile pour pénétrer dans le mucus de notre cavité nasale, là où baignent les cils des neurones chargés de capturer ces molécules. Alors que les couleurs sont transcodées par trois types de cellules réceptrices – appelées cônes et situées dans la rétine –, les odeurs le sont par les 400 récepteurs présents dans les neurones situés au fond de la cavité nasale ! Un récepteur pouvant reconnaître plusieurs molécules, et une molécule pouvant activer plusieurs récepteurs, cela permet une myriade de combinaisons.
« Percevoir une odeur revient à percevoir un accord musical produit sur un orgue de 400 touches : le système olfactif est ainsi formidablement complexe car il y a virtuellement une infinité d’accords », explique Jérôme Golebiowski, professeur à l’institut de chimie1 et codirecteur du groupement de recherche transdisciplinaire Odorants-odeurs-olfaction (GDR O3).
Une représentation mentale
Pour qu’une molécule devienne odeur, il faut un cerveau. Selon Pierre-Marie Lledo, codirecteur du laboratoire Gènes, synapses et cognition2, notre cerveau établit des cartes olfactives à partir de la combinaison de récepteurs activés par telle ou telle molécule. Ces cartes fonctionnent comme une sorte de code QR et permettent d’associer chaque stimulus chimique à une représentation mentale : l’odeur. Cette dernière est malléable et évolue en fonction de nos expériences et de notre culture.
« La première chose que nous percevons dans une odeur est son côté émotionnel, j’aime ou je n’aime pas, avant même de se poser toute autre question d’ordre rationnel », note Jérôme Golebiowski. Et si les odeurs éveillent en nous des émotions et des souvenirs aussi clairs et intenses, c’est parce que les aires cérébrales qu’elles activent sont intimement connectées avec celles mobilisées par les émotions : le cortex orbito-frontal, fortement impliqué dans les processus de décision et de récompense, et l’amygdale, qui intervient dans les comportements comme la peur, le plaisir ou la mémoire.
Certaines réactions aux odeurs sont une question de survie et elles ont probablement été sélectionnées par l’évolution, comme par exemple pour éviter de consommer de la nourriture avariée. « Les mauvaises odeurs sont associées à un type particulier de récepteurs dédiés à la détection des composés aminés comme la putrescine ou la cadavérine, présents dans les matières organiques en état de décomposition. Ces récepteurs sont directement câblés sur des mécanismes d’aversion », poursuit Jérôme Golebiowski.
Mais le caractère répulsif ou attirant de certaines odeurs peut aussi provenir d’un apprentissage culturel. Ainsi en va-t-il de l’odeur d’œuf pourri, très prisée des asiatiques, qui fuient en revanche la puissante fragrance d’un camembert bien fait.
La détection des maladies
La capacité à déceler des odeurs associées à des dangers ou des pathologies est connue et exploitée depuis très longtemps. 400 ans avant notre ère, Hippocrate avait mis en évidence la modification des odeurs corporelles par les maladies. Une propriété qui permet aux médecins d'utiliser leur odorat pour établir leur diagnostic. Une haleine aux relents d’œuf pourri peut ainsi trahir un diabète ou une insuffisance hépatique. Certaines personnes sont mêmes sensibles à l’odeur de la maladie de Parkinson. Or les effluves liés à une maladie constituent un signal faible qui précède parfois de plusieurs années les symptômes cliniques permettant d’établir un diagnostic. Le traitement précoce de certaines pathologies comme le cancer ou la maladie d’Alzheimer étant crucial, on comprend le regain d’intérêt des chercheurs pour les odeurs.
Quand l'odorat humain s’avère trop peu sensible, on fait appel à des animaux. Avec des perspectives plus qu’encourageantes. Ainsi, des chercheurs de l’Institut Curie ont présenté en février 2017 les résultats de KDog, un projet visant à tester l’efficacité du dépistage du cancer du sein par l’odorat canin. Après six mois d’entraînement, on a présenté aux deux bergers malinois du projet un panel de 130 femmes à « analyser ». Taux de réussite : 100 % !
Les nez artificiels
Le nouveau défi des chercheurs consiste à mettre au point un nez électronique mimant les caractéristiques du nez animal. C’est ainsi qu’a été créé le Sniffphone en 2015, un dispositif pour smartphone conçu par une entreprise israélienne capable de détecter les cancers en phase précoce lorsqu’on souffle dedans. D’autres recherches visent à créer des nez électroniques polyvalents, capables de détecter une grande variété d’odeurs parmi des mélanges complexes. Avec des applications qui vont du secteur alimentaire à la sécurité en passant par la détection de polluants atmosphériques.
À l’Institut de chimie de Nice, les chercheurs s’efforcent d’élucider la manière dont le système olfactif encode les stimuli chimiques et les interprète en odeur. Le nez informatique bio-inspiré développé au sein de ce laboratoire est une simulation numérique destinée à reproduire le comportement de 400 neurones olfactifs : des molécules virtuelles sont présentées au système qui doit les catégoriser en odeur. « Du point de vue de la diversité des récepteurs olfactifs, nous sommes tous différents les uns des autres, note Jérôme Golebiowski. Nous espérons que notre nez computationnel nous permettra de comprendre comment les cerveaux de deux individus parviennent à élaborer une représentation commune d’une odeur bien que le signal transmis par les récepteurs soit différent. Le but ultime étant de prédire l’odeur d’une molécule sur la base de sa structure. »
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Auteur
Formé à l’Institut de journalisme de Bordeaux et à l’école de photographie Efet, Guillaume Garvanèse est journaliste et photographe, spécialisé dans les domaines de la santé et du social. Il a notamment travaillé pour le groupe Le Moniteur.