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Craquer le code des odeurs
Ce sont les touches du piano qui compose la mélodie des odeurs. Les récepteurs olfactifs sont la clé de voûte de l’olfaction. Tout part d’une molécule volatile et hydrophobe, qui voyage jusqu’à la cavité nasale pour atteindre les récepteurs présents sur la membrane des cils portés par les neurones olfactifs, baignant dans le mucus nasal. Une fois liée à son récepteur, la molécule va activer un interrupteur et un verrou moléculaire qui vont alors amorcer la création de l’image mentale d’une odeur dans le cerveau.
Chacun d’entre nous possède environ 400 types de récepteurs olfactifs, certains spécifiques à une molécule odorante, d’autres compatibles avec plusieurs d’entre elles. Alors que, depuis les années 1930, il était établi que l’humain pouvait percevoir environ 10 000 odeurs, une étude publiée dans Science en 2014 suggère que ce sont, au bas mot, 1 000 milliards d’odeurs que nous pourrions distinguer.
« Si on devait réduire un homme à une seule chose, ce serait sûrement ses récepteurs olfactifs » sourit Jérôme Golebiowski, professeur à l’Institut de chimie de Nice1. Ces protéines prennent en effet une place prépondérante dans le génome humain : 3 % des gènes codants expriment des récepteurs olfactifs. La découverte de la famille de gènes codant ces protéines a d’ailleurs valu un prix Nobel de médecine à Linda Buck et Richard Axel en 2004. Seulement, la manière dont ils sont activés, leur dynamique et leurs interactions avec la molécule odorante sont encore obscurs. Lever le voile sur ces mécanismes est l’objectif de l’équipe de Jérôme Golebiowski. Et elle semble en passe de réussir.
Le mariage de la biologie et de la chimie informatique
Le problème majeur est que la structure de ces récepteurs est inconnue. Les chercheurs de l’institut de chimie de Nice ont mis au point un protocole innovant, permettant de modéliser la structure et la dynamique d’un récepteur olfactif au contact de la molécule. « Nous avons réussi à mettre au point un modèle suffisamment performant pour simuler le comportement d’un récepteur olfactif lors de l’arrivée de la molécule, et capturer les changements de structure de ce récepteur » nous explique Jérôme Golebiowski. En clair : prédire si le récepteur va s’activer ou non à l’arrivée de la molécule.
Pour cela, l’équipe a développé une approche synergique alliant modélisation informatique et test in vitro. Le récepteur olfactif a ainsi été recréé de toutes pièces informatiquement, atome par atome. La dynamique du récepteur a été simulée, « à l’échelle de la milliseconde, grâce à nos supercalculateurs à Nice », précise Jérôme Golebiowski. Et ce modèle de contrôle a été élaboré sous la contrainte de données issues de mutagenèse dirigée et des tests fonctionnels in vitro. Grâce à des mutations précises sur plusieurs récepteurs olfactifs, l’équipe a pu définir les différents rôles de sites sur ces protéines : structure, contact avec le ligand, interactions spécifiques, etc. Une double approche redoutablement efficace.
Du récepteur olfactif à la castration des porcs
Sur les 400 répéteurs olfactifs humains, les chercheurs ont choisi de cibler le récepteur 7D4. Pourquoi ? « Parce qu’il est spécifique à une seule molécule odorante : l’androsténone, qui est notamment la phéromone sexuelle du porc » indique le chimiste, qui ajoute : « la réponse de ce récepteur est asservie à un polymorphisme génétique, qui fait que certains d’entre nous sentent l’androsténone, et d’autres non, en fonction de leur génome ». Alors que son odeur évoque l’urine chez certains, d’autres ne la remarqueront même pas, voire lui trouveront une agréable note de miel. « 25 à 30 % de la population est anosmiqueFermerL’anosmie est la perte partielle ou totale de l’odorat. à l’androsténone » estime le chimiste. « Nous savions qu’il y avait une perception différente de l’androsténone avec ce polymorphisme génétique, mais les détails atomiques étaient inconnus. On sait désormais comment ce polymorphisme se projette sur la dynamique de deux acides aminés, qui contrôlent l’activation du récepteur », raconte Jérôme Golebiowski.
À l’instar de la phéromone de porc, certaines odeurs restent inconnues pour une partie de la population, à cause de variations génétiques. C’est le cas de l’odeur de soufre dégagée par l’urine après avoir mangé des asperges, ou de la note violette de la bêta-ionone qui se dégage du vin rouge ou des tomates. Seulement pour quelques chanceux.
Ici, la compréhension des mécanismes du récepteur olfactif de l’androsténone va jusqu’à révéler des implications anthropologiques. Alors qu’au Royaume-Uni ou en Irlande, les porcelets sont rarement castrés par les éleveurs, c’est presque systématiquement le cas en France ou en Italie. En cause : la perception ou non de l’androsténone dans la viande, selon les gènes de la population ! « Sans le savoir, nous avons adapté notre consommation à notre génétique et notre odorat », soulève le chercheur.
Les implications de ce nouveau protocole et de la compréhension des récepteurs olfactifs ne s’arrêtent pas à l’élevage porcin. Car ces derniers ne sont pas seulement exprimés dans le nez, mais aussi dans les spermatozoïdes par exemple, qu’ils guident jusqu’à l’ovule. « Des récepteurs olfactifs sont aussi exprimés dans le cerveau, avec un taux d’expression variable lors de l’apparition de la maladie d’Alzheimer », précise M. Golebiowski. Poumon, cœur, rein… L’expression ectopique des récepteurs olfactifs est partout et « ils sont en train de devenir une cible thérapeutique majeure », ajoute Jérôme Golebiowski.
Vers un nez biomimétique universel ?
Voilà bientôt huit ans que l’équipe de Nice s’acharne à décoder le mécanisme des molécules odorantes et de leurs récepteurs. Avec un but ultime : simuler l’ensemble de 400 récepteurs olfactifs humain et créer un nez biomimétique inspiré.
« C’est notre Graal », sourit Jérôme Golebiowski. Et la genèse de ce nez computationnel n’a jamais été aussi proche. Car, avec cette nouvelle méthode d’étude, l’espoir est de parvenir à simuler la dynamique de tous les récepteurs en fonction des odeurs. À terme, la machine pourra alors prédire l’odeur d’une molécule, simplement sur la base de sa structure. « Et on arriverait finalement à casser le code incroyablement complexe des odeurs ! » espère le chercheur.
Restent encore deux barrières à franchir pour imaginer un jour concevoir le nez artificiel. Premièrement, il faudra tenir compte des phénomènes périphériques de l’odeur, car « on ne sentirait pas uniquement l’odorant, mais aussi ses métabolites, issus de transformations enzymatiques. Peut-être que ce qu’on croit être l’odeur du géraniol est en réalité l’odeur des métabolites du géraniol », explique Jérôme Golebiowski. Deuxième difficulté à franchir : comprendre le rôle prépondérant de certains récepteurs par rapport à d’autres, car ils ne semblent pas avoir une influence égale.
Manque enfin un paramètre, qui intéresse particulièrement l’équipe de Nice, pour pouvoir appréhender toute la sphère olfactive : l’émotion. « La première information reçue quand on sent une odeur, c’est sa valence, le fait d’aimer ou pas » indique le chercheur, qui étudie la réaction de personnes face à une odeur, leur rythme cardiaque et leur respiration, pour évaluer la charge émotionnelle et l’état de relaxation. « Les valences sont souvent conservées dans une population. L’odeur d’herbe coupée par exemple est toujours agréable ». Ces études devraient permettre d’élaborer une base de données de charge émotionnelle des odeurs et de la mettre en relation avec l’étude de simulation des récepteurs olfactifs, grâce à l’intelligence artificielle. « Si nous pouvons prédire une odeur, nous pourrons un jour prédire sa charge émotionnelle, avance Jérôme Golebioswki, et peut être trouver les récepteurs olfactifs du bonheur ! » ♦
- 1. Unité CNRS/Université Nice Sophia-Antipolis.
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Auteur
Léa Galanopoulo est journaliste scientifique indépendante.
Commentaires
Bonjour,
Guinod le 7 Janvier 2020 à 04h50Connectez-vous, rejoignez la communauté
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