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Les Jeux paralympiques inspirent les recherches sur le handicap
« En handisport comme en Formule 1, la question est de savoir comment faire redescendre les innovations qu’on a produites pour le haut niveau. » Arnaud Hays sait de quoi il parle. Cet ancien entraîneur sportif et préparateur physique de diverses équipes de France travaille désormais en tant qu’ingénieur de recherche à Aix-Marseille Université. Ses compétences l’ont amené, en prévision des Jeux olympiques et paralympiques de Paris qui se tiendront à l’été 2024, à collaborer depuis quelques années avec la Fédération française de handisport (FFH) pour améliorer les performances des parathlètes français en fauteuil roulant.
Comme Arnaud Hays, Thierry Weissland, maître de conférences à l’université de Bordeaux au sein du Laboratoire de l’intégration du matériau au système1, a su concilier ses expériences d’universitaire et d’enseignant en activité physique adaptée au sein de Paraperf2, un programme de recherche piloté par l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep). Il confirme les propos de son confrère avec un exemple concret : « Initialement créés pour les parathlètes amputés de haut niveau, les manchons siliconés, conçus pour gagner du confort au niveau de l’emboîture et limiter les pertes de prothèse, sont désormais prescrits par la Sécurité sociale pour toute personne amputée ».
Le transfert d’innovation a bien lieu du terrain sportif à la société, via les laboratoires de recherche. Il s’est d’ailleurs accéléré en vue des Jeux de Paris. En effet, comme pour d’autres scientifiques, les travaux d’Arnaud Hays et Thierry Weissland ont pu s’appuyer sur un consortium scientifique français original, Paraperf, qui affiche l’objectif d’accroître le nombre de médailles de la délégation française aux paralympiades. Tour d’horizon des innovations et connaissances nées de ce programme au carrefour des sciences et des sports.
Optimiser les performances des parathlètes en fauteuil roulant mécanique
Treize des vingt-deux disciplines paralympiques se pratiquent en fauteuil roulant, soit 86 % des épreuves au programme des Jeux de 2024. Le fauteuil roulant figurait donc naturellement parmi les priorités de Paraperf. Fort de son expérience tant sportive que scientifique, Arnaud Hays a relevé le défi d’améliorer le matériel utilisé par les parathlètes français. Il a pour ce faire développé quatre innovations pour les sports en parafauteuil : un dérapomètre, qui améliore l’adhérence des pneus au sol, des capteurs de puissance dans les roues, pour mieux suivre l’athlète, une veste, qui facilite la régulation de la température des athlètes tétraplégiques, ou encore un ergomètre, qui mesure la puissance des bras.
Son comparse, Thierry Weissland, s’est lui aussi intéressé au fauteuil roulant de compétition, plus sous l’angle de ses usages que du matériel. Après une vingtaine d’années à travailler entre parasport, recherche et rééducation fonctionnelle, le maître de conférences a saisi l’occasion de Paraperf pour déterminer les profils physiologiques des athlètes, tant en fonction des disciplines paralympiques auxquelles ils concourent que des pathologies dont ils souffrent.
Fort de son expérience dans le domaine, il souhaitait combler un vide dans le suivi des parasportifs : « Contrairement aux valides, nous n’avons pas de bases de données des réponses cardio-respiratoires maximales des sujets porteurs d’une pathologie ». Pour ce faire, il a mis au point toute une batterie d’outils de mesure de l’effort exercé sur le fauteuil roulant, en particulier des roues instrumentées et des capteurs inertiels.
Thierry Weissland espère, à terme, que de telles innovations puissent se décliner pour le fauteuil de la vie quotidienne : « En mesurant la quantité d’énergie dépensée selon le relief, la distance ou encore le type de terrain, on pourrait mener des actions de prévention autour de la sédentarité et de la fatigue des personnes à mobilité réduite (PMR) et, pourquoi pas, leur concevoir des circuits touristiques faciles d’accès sur le plan de l’intensité énergétique ».
Améliorer le confort des parathlètes en saut en longueur
Le parasport ne se limite pas au parafauteuil. D’autres disciplines ont fait l’objet de recherches scientifiques en amont des Jeux paralympiques. C’est notamment le cas du saut en longueur. Fabien Szmytka, professeur à l’École nationale supérieure des techniques avancées (Ensta) au sein de l’Institut des sciences de la mécanique et applications industrielles3, s’est intéressé à l’interface entre la prothèse – une lame de carbone – et le membre résiduel (ici, la jambe), mais aussi à la piste. Bien que lui-même relève d’un autre consortium que Paraperf, ses travaux participent de la même ambition. En l’occurrence, « comment exploiter au mieux la prothèse pour la performance et, surtout, pour éviter les blessures ? ».
Son questionnement est né d’un constat sur le terrain : « Nous avions observé que, de manière empirique, les athlètes rajoutaient des couches à leur semelle au bout de la lame en carbone. Celles-ci nous posaient un vrai problème scientifique : en choisissant le bon matériau pour cette semelle, pouvait-on mieux amortir le choc et donc réduire les blessures ? »
Au terme de la thèse d’Élodie Doyen, qu’il a codirigée sur ce sujet avec Jean-François Semblat, le mécanicien a pu répondre positivement à son interrogation initiale : « Pour améliorer le matériau des semelles, nous avons testé des nuances à base de polyéthylène et de polyuréthane thermoplastique (deux types de polymères, Ndlr). En fonction de leur dureté et de la géométrie proposée, nous sommes désormais capables de filtrer certaines ondes de choc et de préserver ainsi les membres résiduels des athlètes ».
Cette découverte l’a conduit à prolonger ses travaux sur le sujet. Avec, en ligne de mire, la perspective d’un meilleur confort des personnes amputées à travers l’amélioration du matériel handisport. Fabien Szmytka a remarqué cette homologie durant ses recherches : « Des prothésistes nous ont dit que cette difficulté, exagérée pour les athlètes, valait aussi pour des personnes handicapées dans leur quotidien et qu’il existait un taux non négligeable de personnes qui renonçaient à porter une prothèse en raison de difficultés d’adaptation et de douleurs au niveau de la zone d’assemblage entre la prothèse et leur membre résiduel ». Une question qu’il s’efforcera de résoudre à travers un nouveau projet, en collaboration avec le corps médical, dans lequel il étudiera la jonction entre la prothèse et le membre résiduel d’athlètes et de non-athlètes.
Mieux connaître les parathlètes pour mieux les reconnaître
Plutôt que de s’intéresser aux ressorts de la performance stricto sensu, d’autres recherches ont privilégié la caractérisation des parasportifs, nettement moins connus que les sportifs valides. Ce qui peut engendrer des inégalités de traitement. Dans le cadre de Paraperf, Mai-Anh Ngo, ingénieure de recherche au CNRS au sein du Groupe de recherche en droit, économie et gestion4 et ancienne nageuse handisport, s’est penchée sur des « acteurs inconnus du monde juridique : les guides, pilotes, assistants et loaders, c’est-à-dire les sportifs valides qui aident les sportifs en situation de handicap dans la pratique de leurs performances », à l’instar des binômes de coureurs de fond voyant/non-voyant ou des loaders qui aident les athlètes pratiquant la boccia5.
À la différence des parathlètes, leurs partenaires valides ne bénéficient pas systématiquement d’une inscription sur la liste des sportifs français de haut niveau en fonction de leurs performances. Ses recherches juridiques, psychologiques et sociologiques ont de fait offert à la FFH « un outil objectif, stable, fixé sur des critères, qui sécurise le binôme sportif » et qui, comme en rêve l’ancienne nageuse, pourrait déboucher sur une modification du Code du sport en ajoutant à la liste des sportifs de haut niveau les guides, pilotes, assistants et loaders des parathlètes.
Son approche juridique pourrait aussi servir les parathlètes dans leurs démarches administratives quotidiennes. L’ancienne parasportive a d’ores et déjà pris contact avec certaines Maisons départementales des personnes handicapées6 (MDPH), afin de faire reconnaître à ces administrations publiques le besoin de compensation humaine spécifique pour certains sportifs et donc une spécificité du temps sportif parmi les personnes en situation de handicap.
La juriste espère ainsi mettre un terme à une inégalité de traitement entre sportifs valides et parasportifs : « Il existe une aspiration à ne pas tenir compte du handicap dans la performance, mais il faut pourtant le faire pour prendre en considération les contraintes qui s’appliquent aux parasportifs et leur éviter ainsi des contre-performances ».
Quelles recherches après les Jeux ?
Même si, aujourd’hui, tous les regards convergent vers les Jeux paralympiques 2024, tous ces projets de recherche se projettent déjà au-delà. Tous les scientifiques membres de Paraperf reconnaissent la réussite du programme, indépendamment du nombre de médailles que décrochera la délégation française. Arnaud Hays, qui a longtemps navigué entre sport et recherche, note ainsi que Paraperf a « rapproché des mondes qui ne se parlaient pas du tout et structuré la science, via un réseau de référents, au sein des fédérations sportives ». Ceci vaut tout autant pour les recherches qui n’ont pas débouché sur des innovations technologiques, à l’image de celles de Mai-Anh Ngo, qui apprécie une « grande victoire » pour elle : le fait que « les sportifs aient compris l’apport des sciences humaines et sociales à leurs performances ».
Ces collaborations réussies avec les fédérations sportives en appellent déjà d’autres. Et pour cause : selon Arnaud Hays, « la recherche s’effectuant sur le temps long et l’entraînement sportif sur un temps très court, tous les projets développés en 2024 seront encore plus rentables aux JO de 2028 à Los Angeles ». D’ici-là, l’ancien préparateur physique compte bien mettre à profit son nouveau camion-plateforme de recherche, doté d’un accès pour PMR afin d’amener directement son laboratoire sur les lieux de stage des athlètes en fauteuil. Plus généralement, les recherches sur le parasport ont aussi pour fonction de mettre en lumière les handicaps. Pour Mai-Anh Ngo, celles-ci doivent ainsi promouvoir l’inclusion sociale par le sport des personnes en situation de handicap. Membre du Conseil national consultatif des personnes handicapées, elle ne cache pas son côté militant en espérant que « Paraperf permette de faire évoluer la prise en compte du handicap et qu’il soit le début de quelque chose d’autre, et pas seulement le final du feu d’artifice que seront les Jeux de Paris 2024 ». ♦
À lire sur notre site
Mai-Anh Ngo, juriste et « hyperactive à mobilité réduite »
- 1. Unité CNRS/Bordeaux INP/Université de Bordeaux.
- 2. Pour « Optimisation de la performance paralympique : de l’identification à l’obtention de la médaille ». Paraperf réunit le plus important consortium scientifique français autour du parasport : 13 laboratoires de recherche et 38 scientifiques bénéficient d’un budget de plus de 2 millions d’euros au titre de France 2023 dans le cadre du Plan prioritaire de recherche (PPR) « Sport de très haute performance ». Objectif affiché : accroître le nombre de médailles de la délégation française aux Jeux paralympiques.
- 3. Unité CNRS/CEA/EDF/Ensta Paris.
- 4. Unité CNRS/Université Côte d’Azur.
- 5. Sport pratiqué en fauteuil roulant, en individuel ou par équipe, et uniquement inscrit aux Jeux paralympiques, la boccia s’apparente à de la pétanque jouée en intérieur avec des balles en cuir.
- 6. Les MDPH accompagnent au quotidien les personnes handicapées dans tous les domaines de leur vie, quels que soient leur âge et leur situation. Une MDPH a une mission d’accueil, d’information, d’accompagnement et de conseil des personnes handicapées et de leur famille, ainsi que de sensibilisation des citoyens au handicap.
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Auteur
Maxime Lerolle est rédacteur à la direction de la communication du CNRS.
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