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Pourquoi les footballeuses sont-elles moins payées ?
L’histoire du football féminin est loin d’avoir été un long fleuve tranquille. Après des heures de gloire pendant et à l’issue de la Première Guerre mondiale, avec par exemple les « munitionnettesFermerSurnom donné aux femmes travaillant dans les usines de fabrication de munitions pour pallier l’absence des hommes envoyés au front lors de la Première Guerre mondiale. En octobre 1917, dans une usine de Preston, au nord de l’Angleterre, un groupe d’entre elles crée le « Dick, Kerr's Ladies Football Club » qui sera internationalement reconnu avant que les joueuses ne soient interdites de terrain pendant cinquante ans. » en Angleterre et les équipes de la Fédération des sociétés féminines sportives de France, il est retombé dans l’anonymat jusqu’au milieu des années 1960. Pendant près de cinquante ans, les femmes furent en effet « entravées » dans leur pratique du football un peu partout : ce sport est jugé « incompatible avec la nature féminine » et on leur interdit généralement l’accès aux terrains (par la loi au Brésil et en menaçant les clubs de sanctions dans les autres pays).
Un siècle après l’armistice de 1918, les footballeuses ne représentent que 7 à 8 % de l’ensemble des pratiquants du ballon rond en France (soit environ 150 000 joueuses), même si le nombre de licenciées connaît une forte croissance (il a été multiplié par plus de quatre ces vingt dernières années). Une hausse sans doute liée à la visibilité récente du football féminin, et avec elle son image et son appropriation, qui lui ont fait changer de statut.
Le football, miroir de la société
La Coupe du monde en France en 2019 a vraisemblablement constitué un tournant dans l’histoire du football féminin. L’événement a échappé au monde du football stricto sensu et à ses footballeuses. Son impact a été ressenti bien au-delà de la compétition sportive proprement dite, et nombreux sont ceux qui se sont efforcés de récupérer l’événement à d’autres fins, notamment politiques et sociétales. Mais la question qui a fait le plus polémique et qui interpelle les économistes concerne indubitablement les inégalités « salariales » entre footballeurs et footballeuses, le football n’étant là que le miroir de la société.
La thématique des inégalités sociales est un objet central en économie depuis ses origines. Aujourd’hui, les travaux d’Anthony Atkinson ou ceux plus récents de Thomas Piketty sur la distribution des revenus et des patrimoines des ménages ont mis cette question au centre des débats de politique économique, notamment celui de la fiscalité. L’économie « du genre » rajoute une dimension à cette thématique. Parmi toutes les inégalités existantes (revenu, patrimoine, éducation, santé…), les discriminations entre les hommes et les femmes sont en effet jugées comme les « moins acceptables » par les Français, notamment celle des rémunérations1.
L’affaire la plus médiatisée a été celle de la revendication des Américaines championnes du monde qui, notamment emmenées par Megan Rapinoe, ont porté plainte contre leur fédération pour discrimination devant un tribunal de Los Angeles en 2019. Leur demande a cependant été déboutée début mai dans un jugement en référé. Cette décision a suscité une incompréhension eu égard à la notoriété de l’équipe nationale féminine des États-Unis comparativement à son homologue masculine, beaucoup moins performante sur le terrain. Les arguments avancés font cependant souvent des confusions et des amalgames entre les salaires des joueuses des clubs professionnels américains, les primes en équipe nationale, les prix lors des compétitions, etc. Ainsi, contrairement aux hommes, la fédération américaine verse aux footballeuses de l’équipe nationale un salaire de base ainsi qu’un salaire supplémentaire si elles jouent dans le championnat féminin américain2. Au final, certaines années, elles ont globalement perçu davantage de rémunérations de leur fédération que leurs homologues masculins.
Des disparités budgétaires entre clubs et fédérations
De manière générale, la question de l’égalité des « rémunérations » entre femmes et hommes doit être traitée différemment selon qu’il s’agit des fédérations ou des clubs. Pour les joueuses d’une équipe nationale, la question de l’égalité des traitements des internationaux peut se poser : les fédérations, à l’image d’un gouvernement, ont tout loisir de faire une politique de redistribution. Pour le football de club, le problème est différent et suit une logique économique.
Le rapport entre les salaires moyens des hommes et des femmes est de 27. Ces inégalités de rémunération ne résultent pas d’une discrimination mais plutôt de la taille du « gâteau » à distribuer : en 2019, le budget total de la Ligue 1 (championnat français masculin) est de 1,9 milliard d’euros et celui de la Division 1 (championnat français féminin) est de 19 millions d’euros, soit 100 fois moins. Les clubs eux-mêmes ne font que peu de profits et leur principale dépense correspond à la masse salariale : ce sont les joueurs qui accaparent la rente footballistique. Le niveau de leurs salaires suit alors celui des budgets qui dépendent fortement des droits télévisuels et du sponsoring. Cette logique salariale permet ainsi d’expliquer pourquoi les rémunérations des footballeurs, notamment celles des superstars à talent équivalent, sont incommensurables d’une génération à l’autre : le salaire mensuel moyen d’un joueur professionnel au milieu des années 1970 était d’environ 2 500 de nos euros, soit environ trente fois moins qu’en Ligue 1 actuellement. En revanche, il est comparable au salaire moyen d’une footballeuse de l’élite aujourd’hui…
Le budget global de la Division 1 française a certes doublé depuis une dizaine d’années grâce au nouvel intérêt médiatique pour le football féminin. Malgré cette croissance de revenus, il est néanmoins de plus en plus déficitaire : les pertes ont augmenté en moyenne de 75 % par an sur les cinq derniers exercices comptables. Si en 2019 le rapport des budgets entre les championnats masculin et féminin est de 100, il n’est que d’environ 60 si on ne considère que l’argent consacré aux salaires (avec des effectifs plus importants pour les hommes). Ce qui signifie que le déficit structurel du championnat de D1 provient du fait que la masse salariale des clubs représente la quasi-totalité de leur budget : le football féminin a aussi ses superstars qu’il faut payer cher (par exemple, la Lyonnaise Ada Hegerberg touche 400 000 euros par saison). Pour les équipes adossées à une équipe masculine, ce sont alors souvent les clubs de football professionnel masculin qui assurent l’équilibre financier. Et la situation est similaire dans le championnat anglais.
Plus de promotion, moins de comparaison
Avant d’être une économie, le football est un « beau » jeu. Le développement du football féminin passe d’abord par la formation, la multiplication des équipes et le développement des infrastructures pour accueillir les jeunes footballeuses. Celles-ci seront d’autant plus nombreuses que l’équipe nationale sera compétitive, le championnat de France attractif et visible. Parallèlement, des « réformes » peuvent être envisagées concernant la professionnalisation du championnat, les structures des clubs et le statut des joueuses internationales. Tout cela devra s’accompagner également d’une plus grande exposition du football féminin dans les médias.
Au niveau des fédérations, l’Union des associations européennes de football (UEFA, dont la Fédération française de football est membre) a lancé en 2012 un « programme de développement du football féminin », sous le titre « Time for action » et la Fédération internationale de football association (FIFA) a mis en place une « stratégie pour le football féminin » en 2018 (avec un budget d’un milliard sur quatre ans). Toutes ces réformes seront-elles suffisantes pour rattraper financièrement le football masculin ?
Impossible de répondre aujourd’hui tant le « bien » football, du point de vue économique, présente encore des différences importantes entre les femmes et les hommes. Dans cette phase de développement, cesser de comparer le football féminin au football masculin pourrait donc bien constituer, paradoxalement, le plus grand service à lui rendre. ♦
À lire
Comme les garçons ? L’économie du football féminin, Luc Arrondel et Richard Duhautois, Éditions Rue d’Ulm, octobre 2020, 184 p., 12 €.
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur(s) auteur(s). Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
- 1. Forse, Michel, Frénod, Alexandra et Guibet-Lafaye, Caroline, « Pourquoi les inégalités de patrimoine sont-elles mieux tolérées que d’autres ? », Revue de l’OFCE, n° 156, 2018, p. 97-122.
- 2. Il s’agit de la National women soccer league ou NWSL.
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Storpub Nico le 26 Juillet 2023 à 20h17