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Peut-on contrer les méfaits de la sédentarité ?
Les études scientifiques financées par les agences spatiales ont parfois un impact inattendu sur notre quotidien de simples Terriens. C’est le cas des études menées sur les effets de l’inactivité physique et de la sédentarité, qui permettent d’éclairer d’un jour nouveau notre condition d’hommes et de femmes (trop souvent) assis. Car passer des heures immobiles chaque jour devant son ordinateur ou sa télévision ne provoque pas que des lumbagos, loin s’en faut. La sédentarité bouleverse littéralement notre métabolisme, comme a pu le constater Audrey Bergouignan, physiologiste à l’institut pluridisciplinaire Hubert Curien1.
« Je m’intéresse à la fois aux effets de l’inactivité physique, qui consiste à ne pas faire de sport, et de la sédentarité qui est le fait de passer trop de temps assis », raconte la biologiste, qui utilise pour cela deux types de modèles. Le modèle de l’alitement prolongé (bedrest en anglais) vient directement des sciences spatiales et consiste à recréer les effets de la microgravité sur Terre. « Dans les faits, nous mettons des volontaires sains en position allongée permanente, de trois semaines à… trois mois d’affilée », précise la chercheuse. Également utilisé, le modèle de l’« immersion sèche » se déploie sur des périodes plus courtes de 3 à 5 jours, du fait de son inconfort : il utilise des baignoires sèches, sortes de lits à eau qui donnent au corps la sensation d’absence complète d’appui.
Ces études internationales à gros budget, dont certaines sont menées à la clinique de l’espace, à Toulouse, permettent d’étudier les effets de la sédentarité sur tous les paramètres de notre santé : masse musculaire, densité osseuse, hormones, psychologie, cycle circadien, mais aussi nutrition et métabolisme, la spécialité d’Audrey Bergouignan.
Hyperlipidémie et insulinorésistance
Leurs résultats sont sans équivoque. « Chez ces personnes minces et en bonne santé, on observe au bout de quelques jours seulement des dérèglements métaboliques identiques à ceux observés chez les personnes diabétiques ou obèses, notamment dans l’utilisation des lipides et des sucres par le corps. » Premier constat chez ces alités prolongés : une hyperlipidémie – une augmentation du taux de lipides dans le sang –, associée à une incapacité du corps à brûler les lipides en question. « Quand on devient inactif, le corps se met à utiliser préférentiellement les glucides pour produire l’énergie dont il a besoin, et tend à moins brûler les lipides qui vont donc aller s’accumuler dans les tissus adipeux, mais aussi dans des tissus où ils ne devraient pas se trouver, comme les muscles, les os, le foie ou encore le pancréas », explique Audrey Bergouignan.
Autre effet préoccupant de la sédentarité : le développement d’une résistance aux effets de l’insuline, l’hormone qui donne au corps le signal d’utiliser les glucides en circulation dans le sang. « Cette insulinorésistance, qui précède le pré-diabète et le diabète de type 2 (non génétique), s’observe au bout de trois jours seulement ! », indique la chercheuse, qui se veut malgré tout rassurante : lorsque l’arrêt de l’activité physique ne dure que quelques semaines, l’hyperlipidémie, comme la baisse de sensibilité du corps à l’insuline, sont réversibles.
« Il s’agit bien sûr ici d’expériences extrêmes, précise la chercheuse. Sauf cas exceptionnel, on ne passe généralement pas toute sa journée au lit. Pour autant, les études conduites dans des situations de sédentarité proches de ce que certains d’entre nous vivent confirment ces désordres métaboliques, et la rapidité avec laquelle ils se mettent en place. »
Le paradigme de l'employé de bureau
Pour le montrer, les scientifiques ont demandé à des personnes physiquement actives et en bonne santé d’arrêter le sport pendant un mois et de changer leurs comportements en prenant davantage l’ascenseur ou la voiture pour les petits trajets. Ils ont aussi demandé à des personnes qui faisaient 12 000 pas par jour d’abaisser leur activité à 2 000 pas par jour. « Au bout de dix jours, on voit s’enclencher les effets nocifs de l’immobilité – changement d’utilisation des lipides, moindre sensibilité à l’insuline –, avec une très forte corrélation entre le niveau d’inactivité et ces deux paramètres », décrit Audrey Bergouignan, qui teste depuis plusieurs années des stratégies pour contrer les effets de la sédentarité, chez les astronautes, comme chez Monsieur et Madame Tout-le-Monde.
« Nous avons testé deux types d’activité physique dans nos études spatiales, raconte la physiologiste. Les activités dites “résistives”, qui n’augmentent pas les capacités cardiaque et respiratoire (c’est le cas des pompes ou des haltères par exemple), et les activités dites “aérobic”, comme la course ou le vélo, qui augmentent le rythme cardiaque et la capacité respiratoire. » Si déployer ces activités lors des missions spatiales permet de lutter dans une moindre mesure contre l’atrophie musculaire (c’est notamment le cas des activités résistives), aucune ne suffit à compenser tous les effets négatifs métaboliques, notamment la mauvaise utilisation des graisses.
« Ce paradigme de l’astronaute, qui durant ses missions est à la fois extrêmement sédentaire et très sportif, c’est le même que celui de l’employé de bureau, qui passe ses journées assis et va courir le weekend », explique la chercheuse, qui s’étonne de l’absence de messages sanitaires sur les méfaits de la sédentarité, pourtant 4e cause de mortalité dans le monde. « Augmenter d’une heure le temps assis chaque jour accroît de 22 % le risque de devenir diabétique et de 30 % celui d’être obèse. »
Les vertus de l'activité fractionnée
Avoir une activité physique ponctuelle ne suffit pas à compenser tous les effets négatifs de la sédentarité : « pour voir les paramètres métaboliques s’améliorer, il faut à la fois augmenter l’activité physique, et diminuer le temps passé assis », explique Audrey Bergouignan, qui tente d’identifier les contre-mesures les plus efficaces pour améliorer notre santé.
La chercheuse a ainsi demandé à des personnes sédentaires en surpoids de faire 45 minutes de marche rapide par jour durant un mois, « soit en une seule fois, soit en fragmentant ce temps tout au long de la journée – c'est-à-dire en se levant de leur bureau toutes les heures pour faire 5 minutes de marche rapide », explique-t-elle. Premier enseignement, et non des moindres : dans les deux expériences, les sujets disent se sentir moins fatigués, de meilleure humeur, et rapportent avoir moins faim durant la journée. Les constantes métaboliques s’améliorent dans les deux groupes, avec un avantage à l’activité physique pratiquée de manière fractionnée – une vraie surprise, qui va à l’encontre de ce que l’on entend habituellement !
« Au niveau métabolique, après un mois, on observe dans les deux groupes une augmentation équivalente de la dépense énergétique, et une meilleure capacité à utiliser les lipides », précise la chercheuse. Concernant la capacité à contrôler le sucre dans le sang, si elle s’améliore dans les deux groupes, elle serait sensiblement meilleure chez les personnes qui ont fragmenté leur activité physique.
« C’est une bonne nouvelle pour les personnes qui ne sont pas sportives et un message important à faire passer dans le contexte actuel de confinement », affirme la physiologiste. À savoir : ce n’est pas grave de ne pas faire de sport durant quelques semaines, le fait de bouger un peu tout au long de la journée permet d’atténuer les méfaits de la sédentarité – se lever de son canapé et faire un peu de ménage par exemple, monter les escaliers quand on en a… Et la chercheuse d’insister : « si augmenter d’une heure le temps assis augmente de 30 % le risque de devenir diabétique, à l’inverse, diminuer d’une heure ce temps assis permet de baisser ce risque de 30 %... Nous avons tous des moyens d’agir ! » ♦
- 1. 1 CNRS/Université de Strasbourg.
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Auteur
Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.
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