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Les dessous du monde magnétique
De façon simple, le magnétisme, c'est deux aimants qui se repoussent ou bien s'attirent. Comment l’exposition Magnétique, qui commence aujourd'hui à Paris et dont vous êtes commissaire scientifique, nous permet-elle d'aller au-delà de cette notion de base ?
Hélène Fischer1 : C’est vrai, on ne sait pas grand-chose du magnétisme quand on sort du lycée. Ce domaine est très peu enseigné et on en reste souvent à la notion d’attraction-répulsion, à l’existence de pôles qui caractérisent le matériau magnétique, sans aller plus loin. Pour comprendre pourquoi certains matériaux possèdent ces propriétés magnétiques, il faut entrer dans la matière à l’échelle de l’atome. L’exposition Magnétique emmène le visiteur dans le monde de l’infiniment petit, étape par étape.
Avec des équations mathématiques ?
H. F. : Non, l’exposition2 ne ressemble pas du tout à un cours de physique. Il n’y a aucune formule mathématique. Depuis que j’ai pris goût à la médiation scientifique, en 2011, j’ai cherché à expliquer la physique « avec les mains » pour en faire ressortir le sens véritable. Dans les conférences que je mène à l’intention des lycéens, j’emporte toujours une foule de matériel scientifique pour illustrer mes propos. Dans Magnétique, la démarche est la même, expérimentale.
Le parcours commence par ce qui est connu de tous, par exemple l’aimant qui colle au réfrigérateur, avec des expériences illustrant les phénomènes d’attraction et répulsion, d’autres qui permettent de découvrir qu’un courant électrique crée aussi un champ magnétique, ou encore de vérifier que la répulsion entre deux aimants est forcément instable. Les visiteurs manipulent eux-mêmes et observent les effets produits. Des maquettes transposent à notre échelle des phénomènes responsables des comportements des matériaux magnétiques.
Un parfum de magie est associé au magnétisme… Comprendre le phénomène, c’est aussi combattre des idées reçues ?
H. F. : Il y a en effet toute une histoire occulte associé au magnétisme. Pour convaincre que ce n’est pas de la magie, il faut tout montrer. Toutes les expériences sont présentées avec un design transparent, afin d’en démystifier le fonctionnement.
Par exemple, les visiteurs n’observent pas seulement un objet en lévitation stabilisée. La table est transparente, les câbles sont visibles. Ils ont accès à tous les éléments qui expliquent cette lévitation, à savoir quatre petites bobines, équipées de petits capteurs magnétiques pour détecter toute perte d’équilibre de l’aimant lévitant et réajuster le courant électrique de manière à éviter toute perte d’équilibre. C’est ce qu’on appelle un équilibre dynamique. C’est celui-là même qui est à l’origine du fonctionnement du train à sustentation magnétique.
D’autres maquettes décortiquent le fonctionnement des objets de notre quotidien car le magnétisme est omniprésent dans la vie de tous les jours…
H. F. : En effet, et l’exposition Magnétique permet en quelque sorte de déshabiller notre quotidien ! Nous présentons par exemple le principe de fonctionnement du haut-parleur ou du micro, du moteur électrique, de l’éclairage des vélos, des éoliennes, des plaques chauffantes à induction… ou encore le système de freinage des véhicules lourds, qui est en fait le même que celui permettant de simuler un effort sur un vélo d’appartement. Est aussi présenté le principe du Witricity (Wireless Electricity, électricité sans fil en français, NDLR) qui n’est autre que celui utilisé dans les chargeurs de téléphones portables sans fil.
Mais le magnétisme sert aussi à coder des 0 et des 1 : il est ainsi partout, dans nos disques durs d’ordinateur, dans nos cartes bancaires ou nos tickets de métro ! Nous avons conçu un dispositif qui, grâce à un effet magnéto-optique, l’effet Kerr, permet de voir le code magnétique à l’intérieur d’une carte bancaire, ou de différencier les codes cachés dans deux tickets, l’un composté et l’autre non. Une autre maquette illustre le principe de base de l’écriture ou de la lecture d’un tel code magnétique sur un support magnétique. Ce principe de 0 et de 1 enregistrés sur des bandes magnétiques est tout autant valable pour le disque dur de notre objet roi, l’ordinateur. Quand on l’ouvre et qu’on explore le principe du stockage des données et de leur écriture, on replonge à l’échelle de l’infiniment petit.
Les technologies de stockage des data ont beaucoup évolué. Quoi de neuf ?
H. F. : Pendant longtemps, les recherches ont porté sur l’augmentation des capacités de stockage des divers supports magnétiques afin de stocker toujours plus d’informations. Avec ces progrès, il a fallu aussi augmenter les performances des têtes d’écriture et de lecture. La découverte de la magnétorésistance géante, qui a valu à Albert Fert le prix Nobel de physique en 2007, a permis, entre autres, de révolutionner le principe de fonctionnement des têtes de lecture et d’en améliorer grandement les performances. C’est une découverte extraordinaire, qui a ouvert un nouveau champ de recherche autour de l’électronique de spin. L’exposition Magnétique explique ce résultat et présente une maquette phénoménologique de l’effet de magnétorésistance géante.
Justement, à l’Institut Jean-Lamour (IJL), dans votre laboratoire, vous fabriquez de nouveaux matériaux utilisant cet effet…
H. F. : Attention, il ne s’agit pas de nouveaux matériaux à ajouter au tableau de classification des éléments ! Ce sont des matériaux avec de nouvelles propriétés dues à l’organisation des atomes. C’est en modifiant les distances, les symétries à l’échelle de l’infiniment petit, qu’on modifie les propriétés des matériaux à notre échelle. Dans notre laboratoire, la plateforme Daum (dépôt et analyse sous ultravide de nano matériaux) est un équipement de renommée internationale, associant de nombreuses expériences, toutes sous ultravide, permettant de fabriquer de nouveaux matériaux aux propriétés magnétiques nouvelles, comme par exemple des empilements à magnétorésistance géante. Une maquette de cette plateforme réalisée en impression 3D est également exposée.
Comment stocker autant d’informations sur aussi peu de matière ? Comment parvient-on à fabriquer des matériaux de si haute précision ?
H. F. : Les gens se posent souvent ces questions…Nous évaporons des métaux, très lentement, sous ultravide dans des chambres de croissance reliées à la plateforme Daum. Lorsque le métal s’évapore, il faut que ses atomes viennent s’organiser exactement là où nous le souhaitons. Ils ne doivent donc pas entrer en collision avec d’autres atomes. C’est pour cela que nous travaillons sous ultravide. Ainsi, nous faisons pousser des monocristaux, des solides dont les atomes sont agencés de façon régulière et parfaite. Des maquettes expliquent ce travail, les étapes de caractérisation magnétique de l’échantillon réalisé ainsi que le principe de lithographie par lequel nous obtenons un objet de dimension nanométrique, dans les trois directions, pour faire un capteur magnétique par exemple.
Quelles applications envisagez-vous ?
H. F. : À l’IJL, nous travaillons en effet sur des applications innovantes utilisant des résultats de la recherche fondamentale, en particulier des capteurs magnétiques innovants à magnétorésistance géante, développés pour être utilisés dans le système ABS des voitures. Ou encore la magnétographie, une technique d’impression sécurisée, avec une signature magnétique dans l’encre, ce qui peut être très utile dans le secteur juridique, bancaire et la lutte contre la falsification en général.
Et dans le domaine du stockage magnétique des données, quelles directions prennent les recherches effectuées au sein de votre institut ?
H. F. : Des chercheurs, en particulier ceux de l’IJL, ont découvert récemment qu’il était possible de changer l’orientation de l’aimantation, et donc d’écrire de l’information, grâce à des impulsions laser ultra brèves. Cette technique permettrait de répondre aux besoins actuels de stockage ultra-rapide de l’information, de miniaturisation de la taille des éléments de stockage et de diminution de la consommation d’énergie liée à l’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux. Cette moindre consommation d’énergie est un enjeu crucial. ♦
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Pour en savoir plus
L'exposition Magnétique se tient au Palais de la Découverte du 5 novembre 2019 au 3 mai 2020.
- 1. Physicienne, enseignante à l’Université de Lorraine et chercheuse à l’Institut Jean-Lamour (CNRS/Univ. de Lorraine).
- 2. L'exposition Magnétique a été conçue par l’Institut Jean-Lamour qui en est également co-producteur avec le CNRS, l’Université de Lorraine et la Société française de physique, avec le soutien de l’Union européenne, du programme Investissements d’Avenir, de la région Grand-Est et de Lorraine université d’excellence. Toutes les expériences sont des prototypes développés au sein de l’IJL.
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Auteur
De formation littéraire, Muriel Florin s'intéresse en particulier aux sujets liés à l'éducation, l'environnement et aux sciences. Elle est l'auteure de plusieurs livres dont Questions de sciences (CNRS Editions, 2019).