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Quand la France se prend en photo
Parties de pêche, barres de cités HLM, champs de tournesols, autoroutes, bals populaires… Quelle image de la France les Français choisiront-ils de montrer ? C’est la première fois que la population est appelée à poser son regard sur le pays et à le partager via un site dédié accessible à tous. « Cette idée est née du titre de la série documentaire "Match, l’album préféré des Français", réalisée à l’occasion des 60 ans du magazine, explique le directeur de la rédaction, Olivier Royan. L’opération “Ma France en photo” reprend ce concept, car il s’agira de créer le plus grand album photos d’une journée en France, un instantané du 14 juillet dans un contexte de France divisée. Ce jour-là, dans un même élan, chacun pourra témoigner d’un moment unique quelque part dans l’Hexagone. »
Le poids des mots
Pour le CNRS, cette initiative inédite est l’occasion pour de nombreux chercheurs de se livrer à une interprétation et à une analyse de l’identité et de la diversité françaises. Le 14 août 1987, une expérience similaire baptisée « One Day for Life » s’était déroulée en Angleterre. 55 000 clichés avaient été recueillis et fait l’objet de publications scientifiques.
« Cette initiative doit être perçue comme une proposition faite aux Français de s’exprimer librement, explique Sarah Gensburger, politologue à l’Institut des sciences sociales du politique (ISP)1. Elle peut être très instructive, mais comporte des limites bien connues des sociologues. Le fait de demander aux participants de donner leur image de la France n’est pas neutre et influencera forcément le choix des photos postées. Il convient donc de garder à l’esprit que ce portrait de la France n’aura sans doute rien de naturel ou d’authentique. » « De même, ajoute-elle, on sait que l’usage du numérique comme la photographie sont des pratiques culturelles spécifiques. Les participants à l’opération seront plus jeunes, plus urbains et plus diplômés que la moyenne des Français. Il est par conséquent illusoire de penser que les clichés envoyés seront représentatifs de ce que les Français, au sens statistique du terme, entendent de l’expression France. »
La France, mais quelle France ?
Demander aux Français de donner leur vision de la France nécessite de s’interroger sur la nation. Ce qui n’est pas un exercice simple. Selon Sophie Duchesne, qui travaille à l’ISP sur l’identification ou le sentiment d’appartenance à la nation, la France ne se résume pas à quelques images : « Les enfants ont très tôt une représentation de ce qu’est la France, ça s’apprend de bonne heure. Pour autant, au-delà des clichés, les adultes ont du mal à dire ce qu’est la nation. Cela ne signifie pas qu’ils n’aient pas de sentiment d’appartenance. En France, comme dans la plupart des pays européens, le taux de fierté nationale enregistré dans les enquêtes est important. Mais le pays auquel elle se rattache est multiple. Il n’y a pas une France. Un pays incarne l’expérience que les gens vivent. Il est ce que les gens en font. Toute tentative pour imposer une conception de la France est facteur de division : c’est ce que fait l’idéologie nationaliste. »
La France des clichés ou de la diversité ?
Au sein de la rédaction de Paris Match, on s’attend à recevoir de nombreux clichés du Tour de France, de paysages, de repas entre amis, de feux d’artifice, de la tour Eiffel. C’est aussi l’hypothèse des deux chercheuses pour lesquels l’expression « Ma France en photo » renvoie inévitablement aux images d’Épinal véhiculées par la nation française : celle du terroir et de ses grands monuments. « On peut faire l’hypothèse, explique Sophie Duchesne, que la majorité des photos représenteront des beaux paysages de campagne, des châteaux, des églises, des repas de famille ou des drapeaux français sur le fronton des mairies. » Peut-on espérer quelques illustrations moins « cartes postales » reflétant la diversité des populations, des activités et des territoires ? « Deux solutions peuvent être envisagées, résume Sarah Gensburger : soit les photos envoyées vont toutes dans le même sens et, dans ce cas, cela indiquera que l’opération aura été appropriée par une certaine partie homogène de la population, soit elles monteront une image multiple et largement contradictoire de la France et cela signera un véritable succès populaire. »
La question de l’identification
Afin d’optimiser la réussite de l’opération, le magazine Paris Match a volontairement limité le champ des informations personnelles. Ne sont demandés aux participants que leur nom et leur lieu de résidence. Une absence de données qui pénalise les chercheurs et limite leur champ d’investigation. « L’analyse d’une image, précise Sarah Gensburger, suppose de connaître les caractéristiques sociales de son auteur : sa profession, son âge, sa formation, son appartenance ethnico-religieuse…. Ces données nous permettent de la re-contextualiser : qui est derrière ce regard, qu’a voulu dire son auteur, pourquoi a-t-il choisi de nous montrer cela ?» L’expérience anglaise confirme ces propos, puisque sans données sociales des participants, les photographies n’ont pu être utilisées que pour illustrer la vie quotidienne des Britanniques.
Le 14 juillet, tous photographes ?
Le magazine espère collecter plusieurs dizaines milliers de clichés. « La photo est une passion française, souligne Olivier Royan. Elle est le moyen d’expression favori de nos concitoyens, tout le monde prend des photos : près de 20 % d’entre eux réalisent plus d’un cliché par jour, et les Français sont de plus en plus nombreux à les communiquer et les partager. Ce rendez-vous sera une grande fête de la photo. » Un point de vue partagé par Sarah Gensburger, qui considère que cette opération sera avant tout ludique et esthétique : « C’est d’abord le plaisir de la photographie que vont exprimer les Français, bien avant de grandes idées théoriques que les observateurs éventuels vont leur attribuer. »
En ligne : le site de "Ma France en photo" : http://www.mafrance.photo
- 1. Unité CNRS/Univ. Paris-Ouest/ENS Cachan.
Coulisses
Partenaire de « Ma France en photo », le CNRS a invité les chercheurs à poster des clichés de leur travail. Une sélection de ces photos sera présentée dans un diaporama sur le site Web de l’opération.
Auteur
Journaliste et auteur, Carina Louart est spécialisée dans les domaines du développement durable, des questions sociales et des sciences de la vie. Elle est notamment l’auteur de La Franc-maçonnerie au féminin, paru chez Belfond, et de trois ouvrages parus chez Actes Sud Junior : Filles et garçons, la parité à petits pas ; La Planète en partage à petits pas ; C’...
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