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Des empreintes de dinosaures dans une grotte de Lozère

Dossier
Paru le 10.12.2020
Ces recherches qui ont (aussi) marqué 2020

Des empreintes de dinosaures dans une grotte de Lozère

04.05.2020, par
Mis à jour le 18.05.2020
Ces empreintes du Jurassique moyen ont été trouvées lors d’une sortie spéléologique.
Des empreintes de sauropodes, des dinosaures herbivores d’une trentaine de mètres de long, ont été retrouvées au plafond d’une grotte située sous le causse Méjean, en Lozère. Explications avec le paléontologue Jean-David Moreau. Cet article fait partie des dix contenus les plus vus sur notre site cette année.

C’est une sortie de spéléologues amateurs pas banale qui s’est déroulée ce jour de décembre 2015, dans la grotte de Castelbouc en Lozère. Cette cavité, très prisée des spéléologues débutants et accessible par un long boyau étroit, a révélé pour la première fois le trésor qu’elle conservait depuis des millions d’années : des traces de dinosaures géants, bien visibles au plafond du « grand tunnel » – une salle de 80 mètres de long, de 20 mètres de large et de 10 mètres de hauteur sous plafond.

Les plus grosses empreintes font 1,25 mètre de long.
Les plus grosses empreintes font 1,25 mètre de long.

« Ce qui est fou, c’est que des milliers de personnes sont déjà passées par cette grotte, sans jamais voir quoi que ce soit, s’étonne encore Jean-David Moreau, paléontologue au laboratoire Biogéosciences1 de Dijon, qui organisait ce jour-là la sortie spéléo de l’Association paléontologique de Lozère qu’il préside. Il a suffi qu’une personne lève les yeux vers le plafond et regarde un peu mieux que d’habitude pour repérer les traces : des empreintes bien visibles semblant appartenir à des dinosaures géants. »

Trois pistes de géants herbivores

Caractériser ces traces à la seule lumière des lampes frontales n’est pas chose aisée, et il a fallu que le chercheur et son équipe reviennent à plusieurs reprises pour confirmer l’incroyable trouvaille : l’on était bien en présence de trois pistes d’une vingtaine de mètres de long laissées par des sauropodes, des dinosaures herbivores quadrupèdes, au Jurassique moyen, il y a 170 millions d’années. 2
 

Deux des pistes laissent voir nettement l’alternance pieds-mains. Certaines des empreintes révèlent les traces des cinq doigts et des griffes.

« Deux des pistes laissent voir nettement l’alternance pieds-mains, les mains se caractérisant par leur forme en demi-lune. Certaines des empreintes révèlent les traces des cinq doigts et des griffes, décrit le scientifique. Les plus grandes mesurent 1,25 mètre de long, ce qui les classe parmi les plus grandes empreintes de dinosaures identifiées dans le monde, et ont été laissées par des bêtes dont la taille devait avoisiner les 30 mètres. »

Cette découverte est inédite à plus d’un titre : c’est en effet la première fois que l’on retrouve des empreintes de dinosaures géants dans une grotte sur la planète. Mais c’est aussi la première fois que l’on retrouve des empreintes de sauropodes dans le bassin des Causses, pourtant très riche en traces fossiles : il existe dans cette zone de plusieurs centaines de kilomètres carrés, à cheval entre l’Aveyron, la Lozère, le Gard et l’Hérault, des dizaines de sites à empreintes fossiles… mais aucune trace des géants herbivores n’y avait été retrouvée jusqu’à ce jour.  

Castelbouc, en Lozère. Au Jurassique moyen, on était ici au bord d'une lagune bordée de conifères.
Castelbouc, en Lozère. Au Jurassique moyen, on était ici au bord d'une lagune bordée de conifères.

« Le bassin des Causses, aussi appelé golfe des Causses, a enregistré toute l’histoire géologique du Jurassique, soit 55 millions d’années », raconte le paléontologue spécialiste d’ichnologie, la science des empreintes. Durant cette période, la mer s’est retirée à trois reprises dans cette région, laissant la possibilité aux dinosaures de s’installer : il y a 200 millions d’années, il y a 168 millions d’années – c’est dans cette fenêtre que l’on enregistre les traces de Castelbouc – et il y a 145 millions d’années. »

Des traces vues par en dessous

Les sédiments se sont accumulés au fil du temps, et les couches géologiques ont succédé aux couches géologiques. Des millions d’années après le passage des dinosaures, les infiltrations d’eau dans ces milieux karstiques, mêlant calcaires et argiles, ont fini par former les centaines de cavités naturelles présentes dans la région des Causses. Ce qui explique pourquoi il est possible de retrouver des traces de dinosaures sur le plafond d’une grotte – ce qui est a priori contre-intuitif !

« Il n’y a pas eu de bouleversement des couches géologiques. Les traces que l’on observe sont en réalité des contre-empreintes, qui correspondent au dessous des pieds des sauropodes, élucide Jean-David Moreau. C’est comme si on regardait la piste laissée par les dinosaures par en dessous, l’eau s’étant infiltrée et ayant creusé le sol sous la couche géologique où se trouvent les empreintes. »

Trouver des traces au plafond semble contre-intuitif... mais s'explique parfaitement dans ces grottes creusées dans le calcaire.
Trouver des traces au plafond semble contre-intuitif... mais s'explique parfaitement dans ces grottes creusées dans le calcaire.

Spécialiste des traces mais aussi de la flore fossile, le paléontologue a pu reconstituer l’écosystème dans lequel évoluaient les sauropodes il y a 170 millions d’années. « On a retrouvé des plantes, notamment des restes de conifères, et de petits restes de poissons d’eau marine. L’étude sédimentologique réalisée dans la grotte permet de dire que l’on se trouve à l’interface entre la terre et la mer, probablement en bord d’une lagune bordée de conifères. »

L’enthousiasme suscité par la découverte a renforcé la passion du paléontologue pour cette région déjà très riche des Grands Causses, où il espère retrouver d’autres indices du passage des sauropodes. « En plus de continuer à explorer les surfaces et les affleurements où l’on trouve classiquement les empreintes, on va désormais lever les yeux et s’intéresser de plus près aux plafonds des nombreuses cavités naturelles », indique le chercheur, qui a déjà commencé à sensibiliser les spéléologues de la région. ♦

 

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Auteur

Laure Cailloce

Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.

Commentaires

1 commentaire

Il y a le même type d'empreintes "négatives" au sommet d'un couloir naturel dans les pertes du "Bonheur" résurgeant dans l'abîme de Bramabiau à Saint-Sauveur Cambrieu, c'est-à-dire à 20km au sud à vol d'oiseau, de l'autre côté du Causse Méjean. Ces traces sont dans le Lias inférieur (limite Rhétien-Héttangien) d'après la carte géologique, ce qui correspondrait au premier ennoiement du bassin que vous évoquez en début d'article, autour de 200 Ma. Les traces ne sont pas du même âge qu'à Castelbouc, mais cela confirmerait que la zone a été à de multiples reprises une voie d'itinérance des sauropodes.
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