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Hayabusa 2 livre sa poussière d’astéroïde
C’est un colis très particulier qui est descendu du ciel dans la nuit du 5 au 6 décembre. Tombé dans le désert australien de Woomera, le cadeau contient des échantillons de l’astéroïde Ryugu, rapportés après un long périple de la sonde Hayabusa 21. De tout petits grains de matière qui ont bien des secrets à livrer sur les premiers instants du Système solaire.
« Le premier récupérateur d’échantillon a été ouvert ce week-end au Japon, révélant des grains très noirs issus de l’astéroïde Ryugu. Une seconde malle au trésor cosmique doit également être déballée plus tard, mais les chercheurs sont extatiques : les quantités semblent déjà bien supérieures à ce qui était prévu», explique Patrick Michel, directeur de recherche au Laboratoire Joseph-Louis Lagrange2, membre de l’équipe scientifique de Hayabusa 2 ainsi que des missions Hera3, MMX4 et Osiris-Rex5. « Le retour de ces échantillons était l’objectif principal de la mission . Ryugu est un astéroïde carboné, une catégorie si primitive que sa composition n’a pas dû évoluer depuis la formation du Système solaire. Il contiendrait donc encore les ingrédients nécessaires à l’élaboration des planètes. Nous voulons également découvrir le rôle des astéroïdes dans l’apparition de la vie sur Terre, savoir si les matières organiques qui sont présentes sur leur surface en étaient les précurseurs. »
Un guitariste aiguilleur de l'espace…
Avant d’en arriver là, la mission Hayabusa 2 a quitté la Terre fin 2014, pour atteindre Ryugu en juin 2018. Après une série de manœuvres à haut risque, la sonde est repartie en novembre de l’année suivante et vient tout juste de rentrer. Le voyage aller-retour est unanimement salué comme un incroyable succès, même s’il s’est accompagné de son lot de frayeurs. À 300 millions de kilomètres de distance, les signaux mettaient en effet des dizaines de minutes à passer de la sonde au poste de contrôle. Une difficulté renforcée par notre méconnaissance des astéroïdes carbonés, qui n’avaient jamais été observés d’aussi près. C’est donc au dernier moment que les chercheurs ont constaté que la surface de Ryugu n’était pas seulement couverte de régolithe fin, sorte de poussière que l’on retrouve par exemple sur la Lune, mais qu’elle laissait affleurer de nombreux rochers.
Or, la stratégie initiale prévoyait des zones d’atterrissage et de contact dégagées sur cinquante mètres. Les équipes devaient identifier, à partir de photographies 2D prises du dessus, quels obstacles mesuraient moins d’un mètre de haut, afin de ne pas gêner les manœuvres d’Hayabusa 2. Pour cela, il a fallu s’appuyer sur une technique 3D d’observation des différences d’ombres et de phases, un savoir-faire détenu par un spécialiste des plus surprenants. « Notre expert en images stéréo est Brian May 6, le guitariste du groupe Queen, sourit Patrick Michel. Comme il était en concert à Milan lorsqu’on a reçu les premières images de Ryugu, j’ai pris ma voiture pour le rejoindre depuis mon laboratoire situé à Nice. Nous nous sommes retrouvés dans sa loge pour produire des paires d’images stéréo de l’astéroïde. »
Une mission à plusieurs volets
Faute d’avoir trouvé un site adéquat, la première récolte d’échantillons a été sacrifiée afin de définir et tester une nouvelle stratégie de prélèvement ; l’objectif originel de rapporter cent milligrammes de matière était ainsi maintenu. Une quantité moins importante que les soixante grammes d’échantillons que la mission Osiris-Rex espère rapporter d’un autre astéroïde, mais la sonde japonaise ne s’est pas contentée de faire des prélèvements…
Ainsi, deux petits rovers ont été envoyés sur Ryugu en septembre 2018. Équipés de caméras et d’accéléromètres, ils ont surpris les chercheurs en montrant un terrain très noir et rugueux, dépourvu de particules fines étalées sur sa surface. Le mois suivant, c’est l’atterrisseur Mascot7 qui a pu se poser et étudier le sol avec de très bonnes résolutions. Sur les quatre instruments embarqués par Mascot, le microscope MicrOmega n’a malheureusement pas pu réaliser d’images de la surface, à cause d’un atterrissage compliqué le positionnant mal. Une autre version de l’instrument va cependant servir à analyser les échantillons revenus sur Terre. Ceux-ci ont été récoltés à l’aide d’un cornet ressemblant à une trompe de moustique. Hayabusa 2 a touché la surface de Ryugu et envoyé un petit projectile. Dans une opération dite « touch and go », la poussière générée par le choc a été capturée en seulement une seconde, puis la sonde s’est éloignée.
Enfin, une expérience d’impact à haute vitesse a été cruciale, car le nombre et la taille des cratères à la surface des corps célestes servent à estimer l’âge des surfaces. Hayabusa 2 a tiré une demi-sphère en cuivre de 2 kilogrammes à la vitesse de 2 km/s, et le cratère obtenu était bien plus large que ce qui avait été calculé. Cette expérience a confirmé aux chercheurs que leurs modèles doivent encore être revus. Malgré les risques, l’équipe a décidé de récupérer des échantillons à proximité du trou fraîchement creusé. Comme ce matériau était jusqu’alors protégé du rayonnement solaire, sa composition est potentiellement différente des roches récoltées en surface. Hayabusa 2 a ensuite pu commencer son voyage de retour.
MicrOmega, la caméra qui sonde la matière
Entre les données déjà disponibles et celles qui seront tirées des échantillons rapportés sur Terre, les chercheurs auront de quoi publier pendant de nombreuses années. « Cette mission s’inscrit dans la continuité de Rosetta et de son atterrisseur Philae : observer sur place la matière organique la plus primordiale que l’on puisse imaginer, souligne Jean-Pierre Bibring, astrophysicien à l’Institut d’astrophysique spatiale8 et responsable de MicrOmega. La durée de vie limitée de cette mission n’a pas suffi pour caractériser entièrement la matière organique réfractaire qui compose l’essentiel du noyau cométaire, et que l’on retrouve vraisemblablement sur les astéroïdes carbonés comme Ryugu. Hayabusa 2 va nous permettre d’étudier ces grains issus de l’effondrement du disque d’accrétion qui a donné naissance au Système solaire, et qui ont pu jouer un rôle critique dans l’évolution vers le vivant sur Terre. »
Les échantillons seront d’abord analysés ensemble, puis grain par grain, grâce à une copie terrestre de MicrOmega installée dans la « curation facility » (centre de conservation) dédiée, au Japon. Une troisième version équipe la mission ExoMars, qui atteindra le sol de la planète rouge dans deux ans. Ce microscope hyperspectral à infrarouge peut sonder la matière à distance, de manière parfaitement non destructive, à travers une vitre afin que les échantillons restent sous vide ou sous atmosphère contrôlée. La lumière infrarouge distingue beaucoup plus facilement les différents composants que la lumière visible, un point important car les échantillons sont d’une couleur foncée assez uniforme. Les minéraux altérés par de l’eau et les phases carbonées donnent ainsi une signature particulière, à laquelle les chercheurs, dont ceux issus de sept laboratoires CNRS9, seront spécialement attentifs.
Une analyse fine qui permettra de dater les matériaux et la séquence de leurs transformations, ainsi que d’identifier la matière organique présente. « Pendant les phases d’exploration, on connaît encore si mal les objets que si on répond à un grand nombre de questions fondamentales, on en soulève aussi d’autres », affirme Patrick Michel.
Des échantillons pour les générations futures
Une fois cette première étape terminée, les laboratoires du monde entier pourront candidater pour mener leurs propres études sur une partie des grains, y compris à l’aide de techniques destructives. 70 % des échantillons seront cependant conservés pour les générations futures. « De jeunes chercheurs très enthousiastes adoreraient nous rejoindre, glisse Jean-Pierre Bibring. Nous sommes à l’aube d’un changement de paradigme sur l’origine de la vie et du Système solaire, qui justifierait l’existence de postes pour ces jeunes, afin de leur offrir de participer à ces recherches fondamentales qui suscitent un engouement international. »
Quant à la sonde Hayabusa 2 elle-même, elle dispose encore de carburant et va être redirigée vers deux nouvelles cibles. La dernière étant un petit astéroïde de trente mètres de diamètre rotateur, qui tourne extrêmement vite sur lui-même, que la sonde devrait atteindre en 2031. De quoi nous rapporter davantage d’échantillons, et pas mal de rêve. ♦
À lire sur notre site
Comment dévier un astéroïde tueur ? (Entretien avec Patrick Michel)
Rosetta, la fin d'une odyssée
- 1. Hayabusa signifie « faucon pèlerin ». La mission est pilotée par la Jaxa, l’agence spatiale japonaise.
- 2. Unité CNRS/Observatoire de la Côte d’Azur.
- 3. Cette mission européenne est la première à destination d’un astéroïde binaire et a, entre autres, vocation à tester des modifications d’orbites et de trajectoires dans une optique de défense planétaire contre une collision.
- 4. Martian moons exploration, exploration des lunes de Mars. Mission japonaise visant à ramener des échantillons de la surface de Phobos, le plus grand des deux satellites naturels de Mars, dans laquelle le Cnes et le CNRS sont aussi impliqués.
- 5. Origins-spectral interpretation-resource identification-security-regolith explorer. Mission de la NASA à destination de l’astéroïde Bennu. Le CNRS est aussi impliqué avec soutien du Cnes.
- 6. Brian May a interrompu son doctorat en astrophysique lorsque Queen a connu un succès planétaire, mais il l’a terminé des années plus tard et collabore à différentes missions spatiales.
- 7. Mobile asteroid surface scout, éclaireur mobile de surface d’astéroïde, développé par l’agence spatiale allemande (DLR) en collaboration avec le Cnes.
- 8. Unité CNRS/Université Paris-Saclay.
- 9. Centre de recherches pétrographiques et géochimiques (CNRS/Université de Lorraine), Laboratoire de physique des deux infinis - Irène Joliot-Curie (CNRS/Université Paris-Saclay), l’Institut d’astrophysique spatiale (CNRS/Université Paris-Saclay), Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie (CNRS/MNHN/Sorbonne Université), Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble (CNRS/Université Grenoble-Alpes), Institut de physique du globe de Paris (CNRS/IPGP/IGN) et Unité matériaux et transformations (CNRS/Université de Lille/Inrae/Centrale Lille Institut).
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Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.
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