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DANS LA TÊTE DES BÉBÉS
Que se passe-t-il donc dans la tête des bébés ? Aussi petits soient-ils, les humains dès leur plus jeune âge sont de véritables éponges à information. Car si les bébés mettent environ un an à se tenir debout, l’apprentissage du langage commence lui bien plus tôt. Mais comment les bébés font-ils pour apprendre une langue et quels sont les facteurs qui leur permettent d’y parvenir ?
Ce matin, Salomé et Enea tous deux âgés de 12 mois vont aider les scientifiques à percer ce mystère. Ils ont rendez-vous au Babylab de l’Ecole Normale Supérieure à Paris où se rendent chaque année quelques 1 000 bébés accompagnés par leurs parents. Un laboratoire qui étudie la cognition des touts petits - ces processus mentaux liés à l’apprentissage. Des équipes de psycholinguistes s’intéressent notamment à l’apprentissage de la structure des phrases, de l’organisation des sons dans le langage, ou encore à influence de l’environnement social sur le développement cognitif de l’enfant.
Sho TSUJI – Psycholinguiste
Les enfants apprennent beaucoup mieux que les intelligences artificielles en ce moment, ils ont besoin de beaucoup moins de données, ils sont très efficaces. Notre grande question c’est pourquoi sont-ils si efficaces ?
Une force des bébés c’est d’utiliser très bien l’environnement social, de capter très bien les signaux sociaux et du coup on essaye de comprendre comment est-ce qu’ils font ça et quels sont les signaux sociaux qui sont très importants pour eux.
Les conversations des adultes qui entourent les bébés sont un levier déterminant pour leur apprentissage de la langue. Bien avant qu’ils ne commencent à parler, les bébés parviennent à deviner le sens des mots grâce à de précieux indices comme leur place dans les phrases. Pour le vérifier Mireille Babineau a imaginé une expérience. Elle va ainsi faire écouter à Salomé deux listes de phrases qui comportent des verbes et des noms familiers. La première liste est grammaticalement correcte tandis que l’autre ne l’est pas. En observant les réactions de Salomé à l’aide d’une caméra elle peut mesurer son temps d’attention en fonction des phrases énoncées. Comme une trentaine d’autres bébé avant elle, Salomé fait preuve d’une attention accrue à l’écoute des phrases grammaticalement correctes bien qu’elle soit encore incapable de prononcer les mots utilisés.
Mireille BABINEAU – Psycholinguiste
La première année de vie c’est la découverte des sons, les enfants vont babiller, vont pouvoir dire des sons mais pas nécessairement leur premier mot et donc on s’imaginait qu’à ce stade là ils ne pourraient pas comprendre certains principes de base de la syntaxe, de la langue, ou ils ne pourraient pas comprendre le sens de beaucoup de mots. Mais en fait on s’est trompé car ils apprennent tout en parallèle. Ils apprennent les sons de la langue, le sens des mots et aussi la syntaxe et les liens entre ces mots-là. Parce que tout est donné en même temps. Quand on s’adresse à un enfant on va utiliser des phrases complètes donc c’est sûr qu’ils vont absorber le contexte syntaxique. Ils vont porter attention et cette attention au contexte va faciliter l’apprentissage de nouveaux mots parce qu’ils vont avoir trouvé un indice très important et très utile pour deviner le sens des nouveaux mots.
Si l’interaction avec d’autres humains semble être l’une des clefs de l’apprentissage, les bébés d’aujourd’hui évoluent dans un environnement de plus en plus façonné par les écrans. Des outils numériques dont les effets sur l’enfant peuvent être néfastes dans certains cas mais qui bien utilisés peuvent aussi participer à l'apprentissage.
Comment adapter ces outils numériques aux tout-petits ? Énea habituellement très peu exposés aux écrans va permettre de le découvrir. Ce repère autocollant placé sur son front va permettre à Cho TSUJI et à Cécile CRIMON de suivre les mouvements de la pupille de Enea en temps réel grâce à un oculomètre. Le petit garçon va devoir relever un défi : est-il capable d’apprendre un nouveau mot en seulement quelques minutes ? Pour le savoir il est exposé à un écran sur lequel évolue un ours animé interactif : Le mouvement de ses yeux suit les déplacements de ceux de l’enfant. Les yeux de l’ours vont également pointer différents objets et les associer à des mots.
Cécile CRIMON – Psycholinguiste
On a testé l’an dernier une cinquantaine d’enfant autour de 12 mois et ce qu’on a vu c’est qu’ils arrivaient à apprendre l’association entre ce nouvel objet qu’on leur a présenté qu’ils n’avaient jamais vu avant et ce nouveau mot qu’on leur a présenté en association avec ce nouvel objet et qu’ils n’avaient jamais entendu avant. Ça on le sait parce qu’on les a inventé ! Ce qui nous reste à faire en testant un autre groupe d’enfant c’est de voir si vraiment c’est cette interactivité-là qui a été un élément clef dans le fait qu’ils aient réussi à apprendre ce mot nouveau ou pas. C’est quelque chose qu’on veut encore bien distinguer.
À la différence d’un écran passif, le programme auquel Enea a été confronté s’appuie sur la notion de “contingence temporelle”. L’ours se déplace à une vitesse adaptée au regard de l’enfant ce qui capte son attention comme le ferait un adulte. Même si naturellement le bébé réagit plus positivement à l’image d’un être humain pour apprendre un mot, ce dispositif pourrait permettre d’imaginer demain des programmes à l’interactivité adaptée aux tout petits en remplacement des écrans passifs.
Sho TSUJI – Psycholinguiste
Au Babylab il y avait beaucoup de parents qui posaient la même question : est-ce que les écran sont mauvais ou bons pour les enfants ? Et j’ai trouvé qu’en fait il n’y a pas encore beaucoup de réponses à ça et c’était une motivation pour moi pour monter ce programme. Je crois que déjà savoir que l’interactivité est un élément important c’est très bien pour avoir un point de départ pour développer ces sortes d’applications. Après il faut bien sûr être très vigilant et vérifier si un programme marche vraiment et c’est pourquoi on fait de la recherche, pour comprendre qu’est ce qui peut marcher ou non.
Ces découvertes ne doivent pas pour autant nous pousser à nous adresser à un bébé comme à un adulte ni à sacrifier ces moments d’échanges pour la contemplation d’un écran. Les intonations un peu exagérées que nous utilisons instinctivement vont capter leur attention et les aider à trouver leur chemin dans l’immense labyrinthe de la langue. Un sourire ou un regard permettent aussi au bébé d’associer l’apprentissage à l’émotion. Un parcours vers le savoir qui ne cessera de se poursuivre tout au long de leurs vies.
Comment les bébés apprennent à parler
Comment les bébés font-ils pour apprendre une langue ? Une équipe de psycholinguistes du Babylab s’intéresse à l’apprentissage de la structure des phrases, de l’organisation des sons dans le langage, ou encore à influence de l’environnement social sur le développement cognitif de l’enfant. Découvrez, dans ce reportage diffusé en partenariat avec LeMonde.fr, les protocoles expérimentaux étonnants qui permettent de sonder les cerveaux des tout-petits.
Mireille BABINEAU
Babylab de l’École normale supérieure – PSL
Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique – LSCP
CNRS / ENS-PSL / EHESS
Sho TSUJI
Babylab de l’École normale supérieure – PSL
Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique – LSCP
CNRS / ENS-PSL / EHESS
IRCN Babylab, The University of Tokyo
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Commentaires
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du journal CNRS
C'est très intéressant ce que
Yasmine le 21 Mars 2020 à 20h05extrêmement intéressant sur
Youssef Marouani le 23 Mars 2020 à 17h06