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La longue histoire des retraites (et de leurs réformes) en Europe

La longue histoire des retraites (et de leurs réformes) en Europe

20.02.2023, par
Des ouvriers-mineurs du bassin d’Anzin revendiquent, au début du XXᵉ siècle, la retraite à 2 francs par jour, le minimum salarial et la journée de 8 heures.
Alors que le projet de réforme du système des retraites, qui suscite une forte mobilisation sociale en France, est débattu au parlement, le politiste Bruno Palier, auteur d'un ouvrage sur la question, revient sur l’histoire et l’évolution des différents systèmes en Europe.

Le risque vieillesse et les retraites sont des questions déjà anciennes. Quels dispositifs se sont progressivement mis en place, notamment au cours du processus d’industrialisation ?
Bruno Palier1. Des mécanismes d’assistance ont d’abord été mis en place pour s’assurer que les personnes invalidées par la vieillesse ne soient pas absolument pauvres. Cela intervient dès 1601 en Grande-Bretagne, dans le cadre de la Poor Law (« Loi sur les pauvres »). En France, il faut attendre 1914 et la création de l’assistance pour « les vieillards et les indigents ». La deuxième étape a été l’assurance vieillesse, pour ne plus obliger les gens à travailler à partir d’un certain âge. En France, elle est d’abord mise en place pour les fonctionnaires, d’abord sous Colbert avant d’être élargie sous Napoléon III. Bismarck fait de même en Allemagne. Progressivement, des entreprises commencent à proposer des retraites pour leurs salariés. Bismarck rend ensuite obligatoires les assurances vieillesse pour tous les ouvriers en 1889. Chez nous, il faudra attendre 1910, avec la loi sur les retraites ouvrières et paysannes, avant que le dispositif ne soit généralisé en 1945.

Intérieur de la workhouse (« maison de travail ») Saint-James, dans le quartier actuel de Soho, à Londres, au début du XIXᵉ siècle (gravure à l’eau-forte, 1809). Les workhouses ont été fondées pour offrir travail, gite et couvert aux plus démunis. Mais en réalité, les conditions de vie étaient plus proches de celles du bagne.
Intérieur de la workhouse (« maison de travail ») Saint-James, dans le quartier actuel de Soho, à Londres, au début du XIXᵉ siècle (gravure à l’eau-forte, 1809). Les workhouses ont été fondées pour offrir travail, gite et couvert aux plus démunis. Mais en réalité, les conditions de vie étaient plus proches de celles du bagne.

La troisième étape a consisté à garantir des revenus à tous au-delà d’un certain âge. La Grande-Bretagne le fait suite au rapport Beveridge (1942), s’inspirant notamment des mesures prises par le Danemark, en 1895 ou la Suède, en 1913. Si l’État français ne met pas en place une telle garantie pour tous, il va faire en sorte qu’au moins une personne par ménage soit couverte par une assurance vieillesse.
 
Quels modèles ont progressivement émergé avant d’être actualisés ?
B. P. Les pays aux modèles « bismarckiens », parmi lesquels l’Allemagne, la France, l’Autriche ou l’Italie, proposent une assurance vieillesse complétée par une assistance vieillesse pour ceux qui n’ont pas pu cotiser suffisamment. Les pays aux modèles « beveridgiens » (Grande-Bretagne, Pays-Bas, pays nordiques) se basent quant à eux sur un socle vieillesse de base (retraite universelle) auquel ils ajoutent un pilier assurantiel, soit organisé par l’État (Suède), soit financé par la capitalisation. Dans les années 1960, les actifs et leurs enfants profitent de la forte croissance alors que les anciens sont laissés pour compte. Les gouvernements s’engagent alors à garantir le maintien du niveau de vie à la retraite.

Affiche du Parti communiste en 1936, conservée à la BnF.
Affiche du Parti communiste en 1936, conservée à la BnF.

Le retournement de contexte des années 1980, avec la montée du chômage, l’inflation et la baisse du nombre de naissances, change toutefois la donne. Les projections démographiques prévoient de plus en plus de retraités qui vivront plus longtemps avec des retraites de plus en plus élevées, face à une population active appelée à se réduire en nombre.
 
Comment le tournant néo-libéral des années 1980 a-t-il fait émerger un nouveau modèle ?
B. P. Jusque dans les années 1970, le paradigme keynésien concevait que l’État-providence ait un rôle positif à jouer en alimentant les capacités à consommer. Les retraites apparaissaient alors comme un instrument de soutien à l’activité économique. Pour lutter contre le chômage, beaucoup de pays décident de mettre en place des retraites précoces, afin de faire partir les plus âgés du marché du travail pour faire de la place aux autres. C’est ainsi qu’en France, l’âge légal de départ à la retraite passe de 65 à 60 ans en 1981. Mais le tournant néo-libéral initié par Margaret Thatcher et Ronald Reagan dans les années 1980 vient affirmer qu’il ne faut pas soutenir la croissance par la demande mais plutôt par l’offre, ce qui implique de réduire les impôts. Les retraites sont ainsi considérées comme un coût pour les finances publiques.

Manifestation de la Confédération générale du travail (CGT) et du Parti communiste français (PCF) le 29 mai 1968, à Paris. En France, il faudra attendre 1981 pour que l'âge légal de départ à la retraite passe de 65 à 60 ans. Repoussé à 62 ans en 2010, un nouveau recul de cet âge à 64 ans est aujourd'hui au cœur des débats.
Manifestation de la Confédération générale du travail (CGT) et du Parti communiste français (PCF) le 29 mai 1968, à Paris. En France, il faudra attendre 1981 pour que l'âge légal de départ à la retraite passe de 65 à 60 ans. Repoussé à 62 ans en 2010, un nouveau recul de cet âge à 64 ans est aujourd'hui au cœur des débats.

Dans ce contexte, un rapport de la Banque mondiale, en 1993, défend un modèle à trois piliers. Selon ce dernier, l’État devrait se contenter de garantir un revenu de base contre la pauvreté. Ensuite, il faudrait passer de la répartition vers la capitalisation obligatoire : cela consiste à confier l’argent épargné par chacun, en vue de la retraite, à des gestionnaires d’actifs qui l’investissent dans l’économie. Le troisième pilier consisterait en une capitalisation individuelle facultative. S’inspirant du rapport de la Banque mondiale, les institutions européennes se sont d’abord contentées de suggérer des réformes en ce sens dès la fin des années 1990, avant d’imposer des réformes structurelles à certains pays2.

Quelles ont été les conséquences des réformes des retraites menées en Europe depuis les années 1990 ?
B. P. Bien que les pays où les systèmes étaient déjà organisés par répartition ne soient pas passés à la capitalisation, les réformes tendent depuis, globalement, vers ce système à trois piliers. Les États garantissent ou affermissent le minimum vieillesse et s’engagent pour les assurances vieillesse sur un taux de remplacement moyen qui ne permet plus de garantir le maintien du niveau de vie, tout en offrant la possibilité d’épargner individuellement (avec des exonérations fiscales) ou de créer des fonds de pension collectifs d’entreprise ou de branche. Les effets redistributifs de cette évolution sont inégalitaires. Si les retraités demeurent moins pauvres que les actifs et les jeunes3, le maintien du niveau de vie à la retraite n’est plus garanti, hormis en France et en Italie. De plus, on remarque que la capitalisation individuelle n’est utilisée que par les revenus les plus élevés.

En Suède, la réforme de 1998 a contribué à baisser le revenu global des retraités (ici, deux femmes dans la ville minière de Kiruna, située dans le nord).
En Suède, la réforme de 1998 a contribué à baisser le revenu global des retraités (ici, deux femmes dans la ville minière de Kiruna, située dans le nord).

Suite aux réformes effectuées par la Suède (1998) ou l’Allemagne (2001), on remarque non seulement une hausse de la pauvreté chez les personnes âgées mais aussi une baisse du revenu global des retraités par rapport à la population active.
 
Disposons-nous réellement, en France, du système le plus avantageux d’Europe, comme on l’entend parfois ?
B. P. Derrière des moyennes relativement élevées, il y a beaucoup d’inégalités. D’abord, le niveau moyen des retraites médian de droit direct s’établit à 1930 euros pour les hommes et à 1150 euros pour les femmes, en 2020. En effet, pour avoir une retraite complète, il faut avoir travaillé au moins 42 ans à temps plein. C’est beaucoup moins le cas chez les femmes, qui connaissent plus souvent des périodes à temps partiel et des années sans emploi rémunéré. Les carrières des personnes touchant entre 1 et 1,5 fois le Smic sont elles aussi généralement plus hachées et débouchent sur des droits moindres à retraite. Les difficultés sur le marché du travail sont ainsi démultipliées au moment de la retraite.

Il ne faut pas non plus oublier que les ouvriers ont une espérance de vie à la naissance de sept ans inférieure à celle des cadres4. Un cadre passe plus des deux tiers de sa retraite en bonne santé contre un tiers pour un ouvrier. Le projet de réforme actuel risque d’accentuer ces inégalités. Enfin, l’accumulation du patrimoine démultiplie les inégalités : entre 20 et 30 % des revenus les plus élevés, en particulier les riches de plus de 60 ans, possèdent une grosse majorité du patrimoine.

Les réformes devraient-elles donc s’intéresser davantage à d’autres indicateurs que l’âge de départ à la retraite ?
B. P. Certains mettent beaucoup en avant le fait que plusieurs pays européens ont reculé l’âge de départ à la retraite de 65 à 67 ans. Ils oublient ainsi de préciser qu’il y a, en France, deux âges légaux. L’âge de 62 ans est celui à partir duquel vous pouvez demander à prendre votre retraite. Mais, si vous n’avez pas cotisé le nombre de trimestres nécessaires, vous allez subir une décote5. Ce qui explique pourquoi les personnes avec des carrières hachées préfèrent prendre leur retraite à 67 ans, l’âge à partir duquel on ne subit plus de décote. Il serait plus pertinent de se demander pourquoi, en France, l’âge effectif de départ à la retraite est de 63 ans dans le privé (moyenne européenne), contre 65 ans en Allemagne en Allemagne et en Suède.

Dans la comédie américaine « Le nouveau stagiaire », Robert de Niro (au centre) campe un retraité aisé de 70 ans qui, pour lutter contre l'ennui, décroche un poste de stagiaire sénior dans une start-up.
Dans la comédie américaine « Le nouveau stagiaire », Robert de Niro (au centre) campe un retraité aisé de 70 ans qui, pour lutter contre l'ennui, décroche un poste de stagiaire sénior dans une start-up.

L’explication ? Il y a eu dans ces pays des politiques publiques et d’entreprises massives pour maintenir les seniors en emploi : des politiques de formation pour les plus âgés, et d’aménagement des postes pour réduire la pénibilité. Or, si la France octroie à ceux ayant eu des emplois pénibles la possibilité de partir plus tôt, elle continue de rogner sur les dépenses de formation ou d’amélioration des conditions de travail.
 
Faudrait-il une autre réforme pour corriger ces inégalités ?
B. P. Si la réforme des retraites est présentée par le président comme « la mère des réformes », je pense plutôt qu’elle devrait être la petite-fille d’autres réformes d’investissement social. Il faudrait d’abord jouer sur l’accès de tous aux qualifications, dès le plus jeune âge, avec la mise en place d’un vrai système d’accès public aux crèches et la transformation de notre système scolaire en un système de la réussite de tous. Ensuite, mettre en place des droits accessibles dès 18 ans : non seulement un Revenu de solidarité active (RSA), mais aussi un soutien pour financer les études de tous, inconditionnel du revenu des parents, comme dans les pays nordiques. Enfin, permettre aux parents de concilier vie familiale et professionnelle, et assurer une formation tout au long de la vie.

Toutes ces réformes permettraient de nous adapter à l’économie de la connaissance tout en résorbant une grosse partie des inégalités sur le marché du travail. Conséquence de meilleures carrières, l’État percevrait plus de cotisations et d’impôts, résorbant en partie le problème du financement des retraites. La question de la réforme des retraites elle-même interviendrait en dernier lieu. Il faudrait veiller à faire évoluer notre système de retraites vers un dispositif opérant de la redistribution, en augmentant les planchers minimaux et en supprimant les dérogations fiscales des retraités les plus aisés, par exemple. ♦

 À lire
Réformer les retraites, Bruno Palier, Presses de Sciences Po, juin 2021, 14 euros.
Les femmes, les jeunes et les enfants d’abord : Investissement social et économique de la qualité, Clément Carbonnier et Bruno Palier, PUF, février 2022, 23 euros.
 

Notes
  • 1. Directeur de recherche au CNRS, au Centre d’études européennes et de politique comparée (unité CNRS/Sciences Po Paris).
  • 2. Dès la fin des années 1990, les institutions européennes suggèrent des réformes en vue de « retraites soutenables » (qui ne grèvent pas trop les dépenses publiques) et « adéquates » (qui permettent une vie décente aux retraités). La Hongrie, la Grèce, le Portugal et en partie l’Espagne, ont toutefois été contraints d’effectuer des réformes structurelles, impliquant notamment de baisser les retraites publiques et de faciliter l’accès en capitalisation, en échange de prêts et d’aides du Fonds monétaire international, de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne.
  • 3. En France, le taux de pauvreté des personnes âgées est trois fois inférieur à celui des jeunes. En 2023, le minimum vieillesse reste relativement élevé par rapport à d’autres minima sociaux : 961 euros pour une personne seule contre 598 euros pour le RSA, par exemple.
  • 4. Au moment de la retraite, la différence d’espérance de vie entre un ouvrier et un cadre est de quatre ans et demi. Entre les femmes ouvrières et les cadres, elle est de deux ans et demi.
  • 5. La décote en cas de départ à la retraite avant 67 ans, sans avoir réalisé l’ensemble de ses trimestres, est de -1,25 % par trimestre manquant, soit -5% par année manquante.

Commentaires

2 commentaires

Bravo pour cet article qui met en avant le "cul par dessus tête" du projet de réforme actuel. L'article, entre les lignes, démontre son aspect dogmatique. Préparer la société à une prolongation "naturelle" du travail aurait permis bien des tergiversations inutiles sur l'age effectif des départs en retraite qui suivrait l'age légal. Merci encore

Bonjour Je suis Mr Pierre du BOISGUEHENNEUC financier et Directeur de plusieurs entreprises j’octroie des prêts allant de 1000 à 1.000.000€ a toutes personne particuliers,entreprises, et associations sans distinctions. Surtout ici en FRANCE où effectivement cela manque terriblement, alors que dans certains autres pays étrangers c'est monnaie courante et cela se passe très bien selon certaines sources journalistiques.Donc en réalité mon but n'est pas de faire de l'usure sur prêt en ce sens ou la loi l'interdit d'ailleurs. Taux annuel fixe : 3 % sur la somme à emprunter. En option : l’assurance emprunteur pour vous protéger en cas de coup dur 24 Mensualités. Si vous êtes intéressé contactez moi à l'adresse ci-dessous: pierreduboisguehenneuc@gmail.com Salutations cordiales
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