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Artemis : vers la Lune et au-delà
Artemis renoue avec l’exploration de la Lune, 50 ans après Apollo 17 et le dernier marcheur lunaire. Comment expliquer ce relatif désintérêt durant plusieurs décennies ?
Jessica Flahaut1. Cette désaffection résulte d’une combinaison de facteurs. D’abord, la fin de la guerre froide a entraîné l’essoufflement de la course à l’espace qui opposait l’URSS aux États-Unis. Apollo 17, qui s’achève en 1972, est la dernière mission à transporter des hommes sur la Lune. Luna 24, en 1976, est la dernière mission non habitée – et la dernière sonde soviétique – à rapporter sur Terre des roches lunaires. La baisse progressive des budgets alloués à ces programmes d’exploration a obligé les agences spatiales à revoir leurs ambitions ; pour les Américains notamment, la Lune était déjà conquise. Les agences se sont alors tournées vers d’autres destinations, dans le Système solaire et au-delà. Entre temps, nous avons perdu le savoir-faire qui a fait du programme Apollo une réussite. En 2013, l’arrivée de la Chine sur la Lune et de son astromobile Yutu, avec son programme Chang’e, va rebattre les cartes ; et l’entrée en jeu de nouvelles puissances spatiales, la Chine mais aussi l’Inde, le Japon ou les Émirats arabes unis a relancé depuis la course. Pour elles, la Lune est un premier objectif avant d’aller plus loin.
Artemis I est l’une des trois étapes de ce programme qui relance l’exploration humaine de la Lune et du Système solaire. Quelles en seront les différentes phases ?
J. F. L’objectif principal d’Artemis est clair : il s’agit d’initier un retour, durable cette fois-ci, sur la Lune. La première étape du programme, Artemis I, est un vol d’essai, c’est-à-dire une mission non habitée qui vise à tester pour la première fois en conditions réelles la nouvelle fusée géante de la Nasa, le Space launch system (SLS). Dans les prochains jours, le SLS va mettre en orbite la capsule habitable Orion. Celle-ci effectuera une révolution à vide en un peu plus de deux semaines, c’est-à-dire un tour complet de la Lune. C’est ce même vaisseau qui transportera les astronautes pour les missions habitées qui suivront. Orion embarque notamment un module de service européen (ESM) développé par l’Agence spatiale européenne (ESA). L’ESM assurera sa propulsion, son alimentation et sa régulation thermique ; il contient également les réserves d’eau et d’air nécessaires aux missions habitées Artemis II et III. En plus de servir de phase test, Artemis I transportera à son bord une dizaine de nanosatellites dont ArgoMoon de l’Agence spatiale italienne2. Ces satellites miniatures permettront d’effectuer tout un panel de mesures. ArgoMoon prendra des images du système Terre-Lune.
Le lancement d’Artemis I est donc crucial. De la réussite de cette première mission dépendra la suite : envoyer en toute sécurité un équipage vers la Lune. Pour Artemis II, l’équipage restera en orbite lunaire. Pour la dernière étape, Artemis III, le vaisseau se posera enfin sur le pôle Sud de notre satellite : un homme et une femme fouleront à nouveau le sol lunaire ! L’ESA ambitionne par ailleurs que l’un ou l’une de ses astronautes en fasse partie. Toutefois, le calendrier du programme Artemis est très optimiste. Si le retour de l’Homme est prévu pour l’instant pour 2025, il pourrait avoir lieu plus vraisemblablement vers 2027.
Artemis est-il plus ambitieux que les précédents programmes d’exploration lunaire ?
J. F. Sans aucun doute. Au delà de notre retour sur la Lune avec Artemis, la Nasa vise aussi à mettre en place les premiers modules de la future station lunaire, le Lunar Gateway. Il succèdera à la Station spatiale internationale (ISS) qui arrive en fin de vie. Gateway sera six fois plus petit que l’ISS et sans équipage permanent. Il servira de laboratoire scientifique mais surtout d’escale pour sonder la Lune. Artemis prévoie également d’aller explorer les ressources lunaires : des métaux rares comme le lithium ou le titane, de l’aluminium, mais surtout de l’eau, que l’on pourrait extraire du régolithe, la couche de matériau non consolidé qui recouvre la surface de la Lune (et adhère particulièrement aux combinaisons des astronautes). Ces potentielles ressources en eau pourraient permettre de fabriquer du combustible depuis la Lune. Autrement dit, notre satellite pourrait faire office de station relai, de tremplin en vue d’explorations habitées plus lointaines. Artemis est aussi – et peut-être avant tout – un programme destiné à préparer les véhicules et les technologies pour la suite : l’arrivé de l’humanité sur Mars.
Au final, que nous reste-t-il à découvrir sur la Lune ?
J. F. Au total, douze hommes ont foulé la surface lunaire et plus de 380 kg de roches lunaires ont pu être ramenés sur Terre. Mais seule une partie de ces échantillons a été analysée. Le reste est sous scellés. La Nasa considère qu’il s’agit là de trésors de l’humanité et qu’il conviendra de les étudier lorsque les instruments seront plus performants et les méthodes d’analyses plus abouties. Il faut dire que de nombreuses questions scientifiques restent en suspens et s’ajoutent à mesure des missions. Depuis les années 1990 et l’orbiteur de la Nasa, Clementine, de nombreuses sondes ont été envoyées en orbite lunaire. Elles ont permis un certain nombre de découvertes inattendues et souvent encore inexpliquées, comme la détection de roches non échantillonnées, de volcans atypiques, potentiellement récents. Leurs données laissent aussi penser que de la glace d’eau pourrait se trouver dans des régions lunaires bien spécifiques : les cratères d’obscurité éternelle, où les rayons du soleil ne percent jamais et où la température serait constamment inférieure à -170°C. Ces traces d’eau sont notamment à l'origine du choix du pôle Sud comme cible d’alunissage pour l’équipage d’Artemis III.
Les précédents programmes ont permis de faire de nombreuses avancées sur l’origine de la Lune, sur sa structure ou les grandes étapes de sa formation. On sait aujourd’hui qu’elle résulte de l’impact géant, il y a 4,5 milliards d’années, de Theïa, une proto-planète de la taille de Mars, avec la Terre. Toutefois, de nombreuses questions restent en suspens. Par exemple, la présence de cette glace d’eau interroge. Est-ce le produit de collisions tardives avec des météorites riches en eau, de comètes, ou issu du volcanisme lunaire ? Le retour sur la Lune nous permettra d’en savoir plus.
Avec des missions habitées plutôt que des astromobiles (rovers robotiques) ou des sondes orbitales, sommes-nous entrés dans une nouvelle phase de l’exploration spatiale ?
J. F. Si les missions habitées ont un coût largement supérieur à l’envoi d’une seule sonde en orbite ou d’un astromobile sur place, elles ont une véritable valeur ajoutée. Elles permettent de rapporter sur Terre davantage d’échantillons mais pas seulement ! Un astronaute garde un pouvoir de décision. Plus efficace, il peut aller plus vite, plus loin. Le rover est quant à lui un peu maladroit : il peut tomber en panne, se trouver bloqué par un rocher ou accéder difficilement à des zones escarpées. Surtout, les robots ne peuvent pas explorer de grandes surfaces. Curiosity, le rover de la Nasa sur Mars n’a, par exemple, parcouru qu’un peu plus de 28 km en dix ans.
D’autres programmes lunaires sont aussi en cours de développement.
Je travaille actuellement sur le rover Rashid qui sera lancé par les Émirats arabes unis en novembre prochain. Le Commercial Lunar payload services (CLPS), programme de la Nasa à l’attention des acteurs privés, permettra quant à lui de livrer du matériel scientifique et technologique sur la Lune. L’Europe y participe en envoyant des instruments, dont un sismomètre développé à l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP) prévu pour 2025. Entre enjeux scientifiques et défis techniques, c’est un tout nouveau chapitre de l’exploration spatiale qui s’ouvre aujourd’hui. ♦
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Auteur
Anne-Sophie Boutaud est journaliste à CNRS Le journal.