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L’union des femmes ferait leur force
Ce texte a été conçu à partir d'extraits de l'ouvrage « La condition des femmes de 1789 à nos jours » et a été initialement publié dans le n° 12 de la revue Carnets de science, en vente en librairies et Relay.
Si la Révolution a suscité d’emblée l’opposition de la majorité des privilégiées de l’Ancien Régime, sa radicalisation, dès 1790, divise bien des citoyennes, pourtant engagées en sa faveur, notamment celles qui ont intégré les normes de genre comme étant naturelles, telle Louise-Félicité Guinement de Keralio (1756-1822, épouse Robert). Dès 1790, cette noble, acquise au républicanisme, réaffirme les poncifs sur la faiblesse intellectuelle féminine et le génie masculin, pour cantonner ses congénères dans la sphère privée. Surprenante posture d’une écrivaine aussi cultivée que talentueuse : (...) elle publie, en l’imprimant chez elle, La Collection des meilleurs ouvrages français, composés par des femmes (14 vol., 1786-1789, sur 40 prévus), preuve éclatante de leurs capacités ! Pourtant, de son Histoire d’Elisabeth, reine d’Angleterre, tirée des écrits originaux anglais... (5 vol., 1786-1788), elle conclut que certaines n’ont pu diriger un État – et despotiquement – qu’en annihilant leur féminité, ce que Marie Stuart ne sut faire. En démocratie, leur place est au foyer pour éduquer, selon les directives de l’Assemblée, leurs enfants. Telle est l’opinion qu’elle exprime dans le Journal d’État et du citoyen (futur Mercure de France), fondé à l’été 1789. Prétendant se limiter à remplir en toute modestie et « en silence les devoirs d’épouse et de mère », elle réaffirme, en 1792, respecter « les lois de la nature, et les lois sociales ». Cette pionnière du journalisme sous la Révolution est aussi une précurseure du « républicanisme sexiste » au féminin (Annie Geffroy).
« Guerre des cocardes » et bonnets rouges
Ce n’est pas au nom de leur sexe, mais en raison de leur foi, que des croyantes, pas toujours initialement hostiles à la Révolution, refusent son anticléricalisme (Constitution civile du clergé, 12 juillet 1790). Par fidélité à l’Église et/ou à la royauté, par suivisme d’épouse, elles apportent soutien logistique ou armé aux Blancs lors de la guerre de Vendée (1793-1796). (...) (En 1793), les femmes sans-culottes se déchirent à propos de la citoyenneté féminine. La revendication du port des armes par Théroigne de Méricourt n’est sans doute pas étrangère à la fessée, « cul nu », que lui administrent, le 15 mai, des Jacobines, sous prétexte qu’elle dispose d’un billet de faveur pour accéder à l’Assemblée. Rendue folle par cette offense, la « belle Liégeoise » mourra à la Salpêtrière en 1817 ; une autopsie de son cerveau, dirigée par l’éminent aliéniste Esquirol (1772-1840), recherchera la cause de son action, lui déniant toute conscience politique !
En ce printemps 1793, la tension entre les républicaines révolutionnaires et les dames de la Halle, ces marchandes de denrées alimentaires, notamment de poisson, qui achètent aux gros négociants, s’exacerbe : seules les premières estiment que l’obligation – sans précision de sexe – de porter la cocarde tricolore, depuis le 3 avril, concerne toutes les femmes. Le refus des secondes déclenche des rixes dans Paris. Pour faire cesser cette « guerre des cocardes », la Convention donne raison, le 21 septembre, aux plus radicales. Dès lors, la rumeur prétend que ces dernières vont exiger le port du bonnet rouge, dernier stade avant l’obtention du droit de vote et d’éligibilité féminins. À la fin d’octobre, la Commune de Paris cherche à temporiser. (...) En vain : le 28, les dames de la Halle agressent les clubistes. Belle occasion pour renvoyer les citoyennes dans leur foyer, après les avoir, le 30 avril, déjà exclues de l’armée.
Rapporteur du comité de sûreté générale, Jean-Pierre Amar (1755-1816) synthétise les arguments, éculés, contre une féminisation du politique. Le 3 novembre, Olympe de Gouges est guillotinée pour être girondine et avoir « abandonné les soins de son ménage » et politiqué, selon le procureur Chaumette (1763-1794). Deux ans plus tard, les femmes sont interdites de pénétrer dans la Convention, d’assister à une réunion politique et de se rassembler dans la rue à plus de cinq. Les Révolutionnaires confirment les craintes d’Olympe de Gouges : la Déclaration des droits de l’homme ne concerne bien que les hommes. Désormais, la Révolution qui s’est faite avec les femmes, est hostile à leur présence et à leur action dans la sphère publique. Leur place est au foyer.
Les féministes divisées sur le port du voile
(Deux siècles et de nombreuses avancées plus tard, à l’aube du XXIe siècle), les nouveaux droits acquis par les femmes concernent essentiellement les homosexuelles : droit de se lier juridiquement, comme toute personne, par un pacte civil de solidarité (Pacs, 1998) puis de contracter mariage (loi Taubira, 2014), les deux promus par des gouvernements de gauche ; ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires (2021). Ces réformes sont le résultat d’amples mobilisations du mouvement LGBT (lesbiennes, gays, bisexuel·les, transgenres) qui revendique, au-delà de la binarité homme-femme, la fluidité des identités et la diversité des orientations sexuelles. Ces mobilisations ont rencontré de fortes résistances, notamment de la droite traditionnelle et d’associations confessionnelles rassemblées, à partir de 2012, dans le collectif La Manif pour tous, qui dénonce une dangereuse rupture anthropologique et défend le mariage et la filiation hétérosexuels.
Parfois mixtes, les mouvements féministes d’aujourd’hui sont interpellés par la question des identités, centrale dans la société française postcoloniale. Les uns défendent un universalisme des droits et une ferme laïcité, d’autres dénoncent l’intersectionnalité des discriminations en matière de genre, de race, de classe et de religion. Le port du voile divise les militantes depuis 1989.
Le 7 juillet 2015 encore – peu avant la deuxième journée mondiale contre le voile –, le collectif Femmes sans voile d’Aubervilliers y voit un instrument de la domination masculine imposé, selon le modèle de pays étrangers, par des intégristes religieux qui considèrent le corps des femmes comme impur. Il accuse ce tissu d’interdire des activités émancipatrices et rejette l’argument d’une mode ou d’un choix individuel. Les initiatrices du collectif sont issues de familles de culture musulmane, tout comme Fatiha Agag-Boudjahlat, auteure en 2019 de Combattre le voilement, ouvrage préfacé par Élisabeth Badinter. Elles appellent intellectuel·les et politiques à ne pas laisser faire par crainte d’être taxés d’islamophobes. Inversement, la journaliste et essayiste Rokhaya Diallo, qui se revendique féministe et antiraciste, considère que l’oppression réside dans le non-respect de la volonté des femmes de porter le voile et que ce dernier n’est pas plus contraignant que toute autre pratique normative corporelle ou code vestimentaire. Elle invite à écouter ce que disent les Françaises voilées et non à se poser en « preux sauveteur des femmes victimes de l’islam ». Elle dénonce avec ironie et colère une instrumentalisation du féminisme par les élites françaises qui, malgré des pratiques sexistes au quotidien, ne voient du sexisme que dans les signes liés à cette religion.
Écoféminisme et vague #MeToo
À l’aune de l’histoire, deux lames de fond feront sans doute date : l’affirmation d’un écoféminisme et, plus encore, la diffusion du phénomène #MeToo. Forgé dès 1974 par Françoise d’Eaubonne (1920-2005), le terme d’écoféminisme ne s’incarne dans un mouvement, en France du moins, que depuis quelques années, en lien avec l’acuité de la question environnementale et les mobilisations pour le climat. Journaliste et réalisatrice, fondatrice du collectif Les Engraineuses, Solène Ducretot en explique le fondement et la radicalité. Considérant que la domination de la nature et celle des femmes ou d’autres discriminés procèdent du même « système d’oppression patriarcale », l’écoféminisme appelle à « repenser la société dans sa globalité » et à favoriser la convergence des luttes.
La dénonciation des agressions et violences sexuelles contre les femmes n’est pas nouvelle non plus : « procès du viol » par Gisèle Halimi (1978), création de l’association contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) par Marie-Victoire Louis (1985), grande enquête nationale (2000). Elle a conduit à une évolution de la législation sur le viol et le harcèlement sexuel au travail. Mais, partie à l’automne 2017 des États-Unis où des actrices révèlent publiquement les crimes sexuels du producteur Harvey Weinstein, la vague #MeToo libère à une échelle inégalée la parole des femmes, désormais entendue. En janvier 2018, un dessin de la bédéiste féministe Emma en montre le caractère international et libérateur : femmes blanches ou de couleur vêtues différemment et à l’allure déterminée, même cri en diverses langues.
Dix mois plus tard, la une de Libération, qui frappe par la photographie d’un visage peint de la marque sanglante d’une gifle, souligne qu’elle investit « chaque pan de la société » et annonce avec optimisme « l’égalité qui vient » Si celle-ci reste un horizon à atteindre, #MeToo a de nombreux effets et englobe désormais la dénonciation de l’inceste, autre fléau longtemps minimisé. ♦
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur(s) auteur(s). Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
À lire
« La condition des femmes de 1789 à nos jours », Yannick Ripa et Françoise Thébaud, Documentation photographique, dossier 8147, CNRS Éditions, mai 2022, 64 p., 9,90 €.
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