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Gérard Mourou, prix Nobel de physique 2018

Gérard Mourou, prix Nobel de physique 2018

02.10.2018, par
Le 2 octobre, le prix Nobel de physique a été attribué à trois scientifiques pour leurs travaux sur les lasers. Parmi eux, le Français Gérard Mourou, qui a notamment dirigé le Laboratoire d'optique appliquée. Voici le portrait que le Journal du CNRS lui avait consacré en 2009.

Ils ont révolutionné la physique des lasers : Arthur Ashkin, Gérard Mourou et Donna Strickland sont les trois lauréats 2018 du prix Nobel de physique. Le scientifique américain Arthur Ashkin a été récompensé pour ses travaux sur des "pinces optiques" permettant de manipuler cellules vivantes, virus et autres bactéries. De leur côté, la Canadienne Donna Strickland et le Français Gérard Mourou se voient distingués pour leurs recherches sur la génération d'impulsions optiques très intenses et ultra-courtes. En 2009, le Journal du CNRS avait rencontré Gérard Mourou au Laboratoire d'optique appliquée (LOA). Voici le portrait qui avait été publié à l'époque :

  

Gérard Mourou, l’as du laser
Portrait paru dans Le journal du CNRS n°228-229, janvier-février 2009

L'élégance sied autant à l'homme qu'à ses travaux sur la physique du laser. En quarante ans, ceux-ci ont révolutionné la science de l'optique et suscité une reconnaissance mondiale. Dernière preuve en date, l'admission de Gérard Mourou à la très exigeante Académie des sciences russe. « Cela m'honore beaucoup ! D'autant que les Russes sont en lice pour participer au projet européen Extreme Light Infrastructure (ELI), prévu pour être d'ici à 2013-2015 le laser le plus puissant du monde. » Objectif : ouvrir la voie de la physique du vide, grâce à la capacité d'ELI à le décomposer en particules et antiparticules élémentaires. « Père spirituel » et directeur du projet, notre physicien coordonne, dans le cadre du tout récent Institut de la lumière extrême (ILE), cinquante laboratoires européens, sans compter les sept pays candidats à rejoindre le consortium. Un défi qui ne l'empêche pas de porter d'autres casquettes : directeur du Laboratoire d'optique appliquée (LOA)1 et professeur de physique à l'École polytechnique.
 

Dans son laboratoire américain, un étudiant reçoit dans l'œil une dose de lumière. À l'examen clinique, surprise : l'impact du laser sur la rétine est parfaitement rond.

Retour en 1967 : le jeune Grenoblois « monte » à Paris pour un DEA. C'est le début du laser, et, pour Gérard Mourou, d'une passion inoxydable envers le dispositif. Après un passage par les grands espaces « romantiques » du Canada et une initiation à l'optique non linéaire2, il fait ses premières armes de physicien au LOA. Trois ans plus tard, il sent qu'une révolution se prépare ailleurs. Et de débarquer, en 1977, à l'université de Rochester, aux États-Unis. « Mes collègues français me considéraient comme fou de quitter le pays ! Mais c'était la seule possibilité de combiner physique de la matière condensée, électronique et photonique ultrarapide. Et puis j'avais envie de donner de la puissance au laser. » À l'époque, impossible de dépasser le gigawatt : des phénomènes venaient alors altérer la qualité du faisceau laser.

Tenace et créatif, notre homme invente, en 1985, la méthode d'amplification dite CPA3 : elle élève la puissance du laser d'un facteur compris entre 1 000 et 100 000 ! De quoi aborder de nouvelles sphères telles que la physique des très hautes intensités et surtout, l'optique relativiste. « Celle-ci permet d'accélérer des particules jusqu'à des énergies de l'ordre du GeV (gigaélectronvolt), sur des distances extrêmement courtes. »

Le succès le pousse vers d'autres horizons. Avec une quinzaine de collaborateurs, il pose ses lasers à l'université du Michigan. En 1988, la National Science Foundation (NSF) lance la création d'une vingtaine de centres d'excellence. Le chercheur décroche le CUOS (Center for Ultrafast Optical Science), unique en son genre et consacré à l'optique ultrarapide. Sous sa houlette, une centaine de personnes œuvrent au montage de lasers flirtant avec le térawatt (l'équivalent de 1 000 centrales nucléaires !). Énorme, mais pas encore suffisant. « Je savais qu'il était possible de gagner encore un facteur 1 000, mais il fallait un gros laser qui n'existait pas à Rochester. Le directeur du CEA de Limeil de l'époque, Jean Ouvry, nous a alors offert un vieux machin, le laser P102, destiné à la casse. Avec Arnold Migus, nous avons proposé de lui adjoindre le CPA pour en faire le laser le plus puissant du monde… » Pari gagné. Le P102 se retrouve, en 1991, à la première place mondiale…
 
La même année, toujours dans son laboratoire américain, un étudiant reçoit dans l'œil une dose de lumière. À l'examen clinique, surprise : l'impact du laser sur la rétine est parfaitement rond. L'équipe voit illico l'intérêt de leurs « monstres » en chirurgie de la myopie… et crée la société Intralase. Il s'agit de substituer le laser à la lame mécanique employée dans la technique du Lasik, afin de remodeler la cornée de l'œil myope ou hypermétrope. Résultat : plus de 2 millions de personnes ont d'ores et déjà bénéficié de cette procédure.
 
Depuis son retour en France, « motivé par les projets français… et par mon épouse », voilà trois ans, il multiplie les applications du laser, là au glaucome et à la cataracte, ici à l'archéologie en collaboration avec le musée du Louvre. Sans oublier ses autres passions – le ski, le squash, la musique, la natation… « mais il n'y a que mon métier que je sache vraiment bien faire ».

Patricia Chairopoulos
 

Notes
  • 1. Laboratoire CNRS / ENSTA / École polytechnique.
  • 2. Liées au puissant champ électrique du laser, les propriétés optiques du milieu traversé par le laser sont modifiées. Ceci entraîne la création de fréquences nouvelles du laser.
  • 3. La méthode CPA consiste à espacer dans le temps les nombreuses fréquences formant les impulsions ultracourtes et de faible puissance, afin d'amplifier celles-ci sans détruire aucun des composants optiques, puis à les comprimer pour qu'elles retrouvent leur brièveté initiale.