Vous êtes ici
La présidentielle 2017 au prisme de Twitter
Comment évoluent les communautés politiques sur Twitter en période électorale ? Comment émerge une information sur ce réseau et quels sont les critères qui en feront un événement voire un tournant de la campagne ? Les fake news ont-elles influencé le déroulement de l’élection présidentielle de 2017 ? Pour répondre (entre autres) à ces questions, l’équipe de David Chavalarias1, chercheur à l’Institut des systèmes complexes du CNRS et au Centre d’analyse et de mathématique sociales2, a mis au point un outil inédit : le Politoscope.
De juin 2016 à mai 2017, celui-ci a récolté et analysé en temps réel 60 millions de tweets, à travers les interactions entre plus de 2,4 millions de comptes individuels. En tentant de répondre à ce triptyque : qui interagit avec qui, sur quel sujet, et pourquoi. « Toutes les communautés politiques n’ont pas les mêmes stratégies de communication et certaines utilisent relativement peu Twitter. Mais pour le monde politique, les réseaux sociaux sont désormais un médium majeur qui leur permet de réagir et de commenter les affaires courantes, de donner de la visibilité à leurs opinions ou à leurs déclarations publiques », explique David Chavalarias. Lui et son équipe livrent aujourd'hui les résultats de leur étude dans la revue Plos One, qui décrit aussi leur méthodologie et leur gestion des données personnelles3.
Le rôle clé des retweets
Dans un premier temps, les chercheurs ont établi une liste de 3 700 comptes de personnalités politiques – candidats aux primaires, députés, sénateurs, personnes occupant un poste important au sein d’un parti – puis ils ont collecté le contenu rattaché à ces comptes. Afin d’élargir leur base de données, ils ont également identifié un certain nombre de mots clés reliés à la campagne présidentielle pour observer les groupes gravitant autour de chacun des candidats.
À partir de ces 2,4 millions de comptes utilisateurs, ils ont pu suivre l’évolution des communautés politiques en étudiant les retweets (un utilisateur peut répondre à un autre, citer, commenter ou simplement repartager un tweet – retweeter, donc – sans modifier le contenu initial du message) entre les comptes. « Dans notre optique, le retweet nous a paru le plus pertinent pour déterminer une relation entre deux comptes. En propageant des idées et des opinions à travers son propre réseau, le retweet peut être considéré comme une forme d’agrément avec les idées d’un candidat ou d’un parti et il permet de quantifier une certaine influence sociale », développent David Chavalarias et ses collègues.
L’analyse de ces retweets a finalement permis d’identifier plusieurs dynamiques au sein des communautés et entre celles-ci : la fusion, la scission, l’émergence, la disparition progressive ou encore les changements brutaux de taille des groupes. « Le principal résultat de notre étude est que l’analyse automatique des retweets permet de mesurer, parfois avant que les médias ne l’annoncent, les réorganisations des communautés politiques, et ce en réponse ou en amont de certains événements clés », relatent les chercheurs.
Des reconfigurations ultrarapides
Notamment lors de la renonciation de François Hollande pour sa réélection : son abandon a revitalisé la communauté du candidat Emmanuel Macron au détriment de celle de Manuel Valls. Ils ont également pu suivre la distanciation d’une partie des sarkozystes avec la communauté Fillon quelques jours avant le « Pénélope Gate ». Autre reconfiguration après le grand débat du 4 avril 2017 et en réaction à la sortie de Philippe Poutou : « Nous quand on est convoqué par la police, on n’a pas d'immunité ouvrière, désolé, on y va. » Une remarque largement relayée par les médias. « Avec cette intervention, sa communauté Twitter, jusque-là inexistante et qui se confondait avec celle de Jean-Luc Mélenchon, s’est considérablement développée, sur plus de 13 000 comptes et sur une courte période », détaille David Chavalarias. Sur Twitter, les communautés politiques peuvent ainsi se reconfigurer de manière très rapide lors de victoire, de défaite aux primaires ou d’alliances entre leader par exemple.
Les fake news, un phénomène mal estimé
En cela, le Politoscope montre un aperçu de la dynamique du paysage politique français. Mais pas seulement. Les chercheurs ont également analysé le phénomène fake news, terme aujourd’hui largement exploité et qui révèle une réalité plus nuancée que celle souvent relayée. Y a-t-il eu un « tsunami » de fausses informations durant la période électorale ?
David Chavalarias et son équipe se sont appuyés sur la liste de fake news répertoriées dans le Decodex, outil de vérification des informations développé par Le Monde – 179 fausses informations, comme « Jean-Luc Mélenchon a une Rolex » ou encore « Plus de 30 % de la campagne d’Emmanuel Macron a été financée par l’Arabie Saoudite », associées à 179 rectifications.
Pour David Chavalarias, sur Twitter, ce phénomène est resté à la marge. « Sur les 60 millions de tweets collectés, nous avons recueilli seulement 4 888 tweets comportant un lien référencé comme une fausse information par les décodeurs du Monde, soit 0,0081%. » Si les chercheurs estiment toutefois ce chiffre en dessous de la réalité, c’est le rôle des communautés politiques dans leur circulation qui reste à souligner : sur Twitter, la plupart des fausses informations circulant proviennent de certaines communautés politiques et non de comptes isolés.
En effet, gravite autour des réseaux politiques ce que les chercheurs ont nommé « la mer », soit 2 millions de comptes non rattachés à une formation politique, mais publiant plus ou moins fréquemment des tweets politiques. « Cette mer a engendré 43 % des 60 millions de tweets que nous avons analysés, mais seulement 19 % des tweets relayant des fausses nouvelles ! Parallèlement, ce sont les communautés de François Fillon et de Marine Le Pen qui ont été les plus actives et les plus promptes à leur diffusion : respectivement 50,75 % et 22,21 % du nombre total de fausses nouvelles », développe David Chavalarias. Tout en soulignant que leur analyse ne fait pas la distinction entre les comptes officiellement affiliés à une communauté, les militants ou d’éventuels « trolls ».
Une propagation locale
Les chercheurs ont ainsi relevé qu’en l’absence de couverture médiatique, ces fausses informations restaient largement cantonnées à leur communauté, c’est-à-dire qu’elles se propageaient localement, ce qui a été appelé effet « chambre d’écho ». Ils ont aussi démontré que l’effet chambre d’écho est plus fort pour les fausses nouvelles que pour leur réfutation et autres types de nouvelles. Aussi, « combattre les fausses nouvelles est une tâche délicate, expliquent les scientifiques. Dans notre analyse, les fausses informations ont été 4 fois plus partagées que leurs rectificatifs. On observe donc deux “hémisphères” : celui qui produit les fausses informations, les lit et les partage, et celui qui produit leurs décryptages et reste attaché au fact-checking. Il ne s’agit pas ici de stigmatiser telle ou telle communauté politique ni de seulement évaluer le nombre de personnes atteintes par ces fake news, plus faible, ici, que nous pouvions l’imaginer, mais également de mesurer la diversité des communautés qu’elles touchent afin de mener la meilleure stratégie possible pour pallier ce phénomène. »
Dans la poursuite de ces travaux, David Chavalarias et son équipe développent actuellement une application autour du Politoscope. Celle-ci permet de suivre l’actualité politique dans toute sa diversité et en temps réel à travers ce que disent et relaient plusieurs milliers de personnalités politiques françaises, toutes tendances confondues. « Il y a une modification sensible, sous l’effet de la numérisation de nos interactions sociales, du rapport de nos sociétés à l’information. Notre objectif est de mettre les outils de la recherche publique à la disposition des citoyens pour qu’ils puissent eux-mêmes mieux comprendre et analyser les prises de paroles et de positions des personnalités politiques. De faire du big data un bien commun », conclut David Chavalarias. ♦
- 1. Noé Gaumont, post-doctorant au Centre d’analyse et de mathématique sociales (CNRS/EHESS) et résidant à l'Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France (CNRS), et Maziyar Panahi, ingénieur à l'Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France.
- 2. Unité CNRS/École des hautes études en sciences sociales.
- 3. « Reconstruction of the Socio-Semantic Dynamics of Political Activist Twitter Networks – Method and Application to the 2017 French Presidential Election », D. Chavalarias. N. Gaumont et al., « Plos One », 19 septembre 2018 (https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0201879).
Voir aussi
Auteur
Anne-Sophie Boutaud est journaliste à CNRS Le journal.