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Tara : dernières nouvelles du corail
Quel était l’objectif principal de l’expédition Tara Pacific qui a réuni 70 experts internationaux en écologie marine, en biologie cellulaire et moléculaire, en génomique et en bio-informatique, et dont vous étiez le directeur scientifique ?
Serge Planes1 : L’idée de base de cette mission d’exploration était de « redécouvrir » les récifs coralliens de l’océan Pacifique en les étudiant non pas à l’échelle macroscopique, comme habituellement, mais à l’échelle microscopique. Ce changement de focale était nécessaire pour mieux appréhender les liens complexes et encore largement méconnus qui unissent ces animaux aux micro-organismes vivant dans ou autour d’eux et contribuant à leur santé. Ce que l’on appelle le « microbiome corallien » comprend une multitude de virus, de bactéries, de champignons et, surtout, d’algues unicellulaires nommées zooxanthelles que les coraux hébergent dans leurs tissus, qui les nourrissent et qui leur donnent leurs couleurs éclatantes. Dévoiler les caractéristiques chimiques et génétiques de populations coralliennes issues de nombreux sites, dont certains très isolés et très peu - voire jamais - étudiés, va nous permettre de nous faire une idée précise de la diversité globale de ces milieux. Cela va également nous aider à évaluer leur état et à mesurer leur capacité d'adaptation aux changements climatiques (amplification des phénomènes El Niño, acidification des océans, montée des eaux…) et aux perturbations anthropiques plus directes (mauvaise gestion du littoral, rejet d’effluents agricoles, surpêche…). Pour cela, nous avons parcouru plus de 100 000 kilomètres, passé au crible 32 îles dans 26 pays, effectué plus de 2 650 plongées et ramené plus de 30 000 échantillons de tissus coralliens appartenant à trois espèces très différentes présentes dans tout le Pacifique, de poissons associés, de sédiments, d’eau à différentes profondeurs…
Pourquoi tant d’intérêt pour les récifs coralliens qui ne représentent que 0,2 % de la surface totale des mers ?
S.P. : Parce qu’ils jouent un rôle capital en offrant abri et nourriture à 30 % des quelque 100 000 espèces marines connues. À titre de comparaison, j’ai l’habitude de dire que 1 km2 de barrière corallienne concentre l’équivalent de la biodiversité marine de l’ensemble des côtes françaises ! Par ailleurs, 500 millions d’humains dépendent directement d’eux pour leur subsistance, soit environ 8 % de la population mondiale. Sans oublier que ces bioconstructions visibles depuis l’espace constituent une formidable protection en amortissant les grosses houles, notamment en cas de cyclone, limitent l’érosion du littoral et permettent la pratique d’activités touristiques qui représentent la deuxième source de revenus de la Polynésie, par exemple.
S’agissant du blanchissement des coraux, un phénomène de stress provoqué par le réchauffement de l’eau et susceptible d’entraîner leur mort, qu’avez-vous constaté lors de votre périple ?
S.P. : Le Pacifique n’est pas un endroit où on peut dire que tout a blanchi ou que tout n’a pas blanchi. On est face à un immense patchwork, à une superposition de situations contrastées, avec des sites en très bonne santé, d’autres en reconstruction, d’autres encore où il y a clairement du blanchissement et des mortalités massives ou alors du blanchissement mais pas de mortalité… Par exemple, nous avons observé beaucoup de mortalité corallienne due au blanchissement aux Samoa, aux Tuamotu, aux îles Cook… Mais on ne peut pas parler d’un traumatisme flagrant dans tout le bassin Pacifique. J’ai tendance à dire que presque chaque groupe d’îles représente un cas particulier..
Plus largement, quel est aujourd’hui l’état des récifs coralliens dans l’ensemble des Tropiques ?
S.P. : Schématiquement, on estime que 20 à 25 % des récifs ont irrémédiablement disparu, surtout à cause d’un aménagement côtier incontrôlé, que 50 % sont en situation critique et que 25 % en bonne condition. Il est difficile d’être plus précis car les chiffres varient beaucoup d’une zone géographique à l’autre. Globalement, la Caraïbe est la zone la plus dégradée et le Pacifique celle la mieux préservée, même si les épisodes de blanchissement liés au réchauffement climatique mais n'entraînant pas forcément la mort des récifs y sont de plus en plus fréquents et intenses, mais aussi de plus en plus localisés. En 2017, par exemple, seule la zone centrale de la Grande Barrière longue de 2 300 km a souffert d’un grave blanchissement, alors qu’en 2016, seule la zone nord avait été touchée. On est vraiment dans des systèmes de warm bloop (« bulles d’eau chaude ») de quelques centaines de kilomètres carrés et à l’origine de blanchissements très circonscrits.
Quelles solutions existent pour protéger les récifs menacés ?
S.P. : On peut notamment collecter des œufs ou des coraux naissants, les élever en laboratoire et les réimplanter en milieu naturel, une fois arrivés à maturité. Mais il faut être réaliste. Les opérations de restauration de sites endommagés par un événement naturel ou anthropique ont beau se multiplier de par le monde, ce genre de procédé d’ingénierie écologique ne peut produire d’effets que sur de petites surfaces. L’impact de ces techniques restera toujours très limité.
Une autre approche vise à créer des coraux « superrésistants » via des techniques génétiques de sélection et d'hybridation. Qu’en pensez-vous ?
S.P. : C’est ce qu’on appelle « l’évolution assistée ». Scientifiquement, c’est intéressant. Toute notre agriculture, depuis le Néolithique, cherche à faire émerger des variétés « mutantes » qui présentent des avantages et repose sur le principe de la vigueur hybride. Il ne faut donc pas bloquer cette voie de recherche très active en Australie et aux États-Unis. Mais il ne faut pas non plus la présenter comme LA solution. Cela pourrait donner à penser aux décideurs que détruire les récifs coralliens n’est pas si grave puisque nous allons bientôt disposer de coraux « superévolués » capables de régénérer des centaines de milliers de kilomètres carrés.
Et l’idée d’immerger de grosses quantités de pneus, comme cela s’est beaucoup fait dans les années 1980-1990, pour tenter de construire des récifs artificiels ?
S.P. : C’est une catastrophe ! Les pneus usagés attachés les uns aux autres ne résistent pas à la houle et aux courants. Ils s’éparpillent et détériorent les écosystèmes voisins, sans compter qu’en se décomposant, ils libèrent des substances toxiques pour les organismes marins.
Mettre dans l’eau des blocs de béton ou des modules en métal, des matériaux « intrus » plus « neutres », est un peu moins grave. Mais j’avoue avoir du mal à comprendre comment il est possible de recréer de la nature avec des structures artificielles, même si cela reste en vogue.
Selon vous, que faudrait-il faire en priorité pour améliorer l’état de santé des récifs coralliens ?
S.P. : Le plus important serait de mettre en place de vraies politiques de gestion et d’aménagement du littoral. Aussi surprenant que cela puisse-t-il paraître, la protection des récifs devrait d’abord passer par des actions à terre puisque ces écosystèmes côtiers sont directement concernés par les modifications apportées au littoral. Freiner la construction de grandes infrastructures immobilières sur le littoral, installer des bassins de rétention en aval pour empêcher les sédiments de finir leur course dans les lagons et de recouvrir les coraux, limiter les rejets d’eaux usées dans la mer, encourager une agriculture plus durable…, sont autant de mesures que l’on pourrait appliquer sans attendre. Cela donnerait du temps aux récifs coralliens pour mieux amortir le choc du réchauffement climatique contre lequel il est bien entendu indispensable de continuer à lutter. ♦
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- 1. Directeur du Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement de Moorea (CNRS/École pratique des hautes études/PSL Université Paris/Univ. Perpignan Via Domittia.
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Auteur
Philippe Testard-Vaillant est journaliste. Il vit et travaille dans le Sud-Est de la France. Il est également auteur et coauteur de plusieurs ouvrages, dont Le Guide du Paris savant (éd. Belin), et Mon corps, la première merveille du monde (éd. JC Lattès).
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