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Les cellules embryonnaires se parlent pour s’organiser
Comment se forme un animal à partir d’un simple œuf fécondé ? Le problème agite les biologistes depuis des siècles déjà. Il est d’autant plus ardu qu’il implique un double processus : en même temps que les cellules se différencient en cellules de muscle, de peau... , etc., elles s’organisent dans l’espace de manière à constituer un embryon à la forme bien définie. Mais comment les cellules des embryons s’y prennent-elles pour produire la forme larvaire caractéristique de l’espèce considérée ?
« Depuis un siècle déjà, on sait que les cellules embryonnaires doivent communiquer entre elles pour arriver à un tel résultat, explique Patrick Lemaire, embryologiste au Centre de recherche en biologie cellulaire de Montpellier1. Elles ne peuvent décider toutes seules du destin qui les attend… Et ce, même chez les ascidiesFermerorganismes marins, filtreurs d’eau de mer. Leur nom est tiré du grec askós qui signifie « outre » en référence à la forme de ces petits animaux. Les ascidies seraient nos plus proches parents invertébrés., des organismes marins où l’embryogenèse précoce est si reproductible d’un individu à l’autre – on peut nommer une cellule et la retrouver exactement au même endroit chez tous les individus ! – que l’on avait initialement pensé que chaque cellule héritait d’une portion précise de l’œuf qui, contenant toutes les instructions pour le devenir de la cellule, l’affranchissait du besoin de se concerter avec ses voisines. »
Mais les cellules embryonnaires se parlent-elles de la même manière dans toutes les espèces ? C’est la vaste question à laquelle l’étude que le biologiste cosigne cet été dans Science2apporte un développement inattendu.
Les signaux chimiques : les mieux connus
Les signaux les plus étudiés pour la communication cellulaire sont les signaux chimiques, très bien conservés au cours de l’évolution. Chez les vertébrés, ces petites protéines sécrétées par les cellules voyagent sur des distances pouvant atteindre jusqu’à sept diamètres cellulaires – une communication adaptée au comportement très dynamique des cellules embryonnaires de ces animaux, promptes à migrer et à changer de place entre voisines. « Les signaux qu’elles échangent, qu’on pourrait caractériser de cris, ont une longue portée, explique Patrick Lemaire. Dans cette communication à distance, c’est la concentration locale de la protéine qui va permettre aux cellules qui reçoivent le message de choisir leur destin – c’est-à-dire quel type de cellule elles vont devenir, pour former quel type de tissu. »
Ce type de communication à distance est-il un principe général de l’embryogenèse ? Pour le savoir, les scientifiques se sont penchés sur les fameuses ascidies, qui présentent l’avantage de ne compter que quelques centaines de cellules aux stades embryonnaires précoces (contre quelques dizaines de milliers chez la mouche ou la souris, par exemple). Ils ont marqué les cellules avec des protéines fluorescentes et ont utilisé un microscope nouvelle génération à feuille de lumière pour scruter leur comportement. « Dans notre dispositif, la membrane devient fluorescente, on est donc capable de suivre la position, la forme, les divisions, mais aussi les contacts de chaque cellule avec ses voisines », explique Patrick Lemaire. C’est une première : jamais la totalité des cellules d’un embryon n’avaient été suivies sur un temps long auparavant.
Une communication par contact chez l'ascidie
Le résultat de ces observations, complété par le travail de modélisation réalisé notamment en partenariat avec des chercheurs d'Inria, a mis au jour un fonctionnement étonnant. « Nous avons montré que les cellules embryonnaires des ascidies bougeaient très peu les unes par rapport aux autres, contrairement à ce que l’on peut observer chez les vertébrés, raconte Patrick Lemaire. Plus surprenant, cette immobilité s’accompagne d’une conservation quasi parfaite des surfaces de contact entre cellules voisines, la variation enregistrée d’un individu à l’autre étant inférieure à 20 %. » Statiques, les cellules embryonnaires ont opté pour un mode de communication à courte portée : les cellules se parlent en lisant la surface des cellules avec lesquelles elles sont en contact direct – elles « chuchotent », pour poursuivre l’analogie proposée par les chercheurs.
Ces résultats suggèrent que la dynamique des mouvements cellulaires varie beaucoup entre animaux – bien plus qu’on aurait pu l’imaginer –, et semble fortement liée à la portée des signaux que les cellules échangent entre elles. En étendant le répertoire des mécanismes de communication cellulaire, ils ouvrent de nouvelles perspectives sur la compréhension des stratégies d’auto-organisation des formes vivantes. ♦
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Auteur
Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.
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