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Autisme et Alzheimer : des robots médiateurs ?
Une fois par mois, retrouvez sur notre site les Inédits du CNRS, des analyses scientifiques originales publiées en partenariat avec Libération.
La médiation robotique consiste à utiliser un robot comme intermédiaire entre une personne et le monde qui l’entoure. Dans le cadre des programmes Rob’Autisme et Rob’Zheimer, initiés par l’association loi 1901 Robots !, notre équipe mène depuis 2014 des recherches sur la médiation robotique dans l'accompagnement thérapeutique d’adolescents présentant des troubles du spectre autistique (TSA) et de personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer. Une progression jugée spectaculaire des participants en termes d’habiletés sociales a été constatée dès les premiers ateliers. Innovation internationale, la façon dont nous utilisons les machines est bien particulière, en marge du robot dit « compagnon » souvent décrié du point de vue éthique et qui a montré ses limites.
L’intérêt pour un médium robotique est apparu dans les années 1990 quand les chercheurs anglais Kerstin Dautenhahn et Iain Werry remarquèrent une affinité forte des enfants présentant des TSA pour des objets électroniques : ceux-ci réagissaient aux sollicitations de la machine bien plus qu’à celles d’un thérapeute humain. Les chercheurs ont alors initié en 2000 le programme européen Aurora d’applications thérapeutiques avec des plateformes robotiques. Et Kerstin Dautenhahn introduisit le concept jugé prometteur de robot compagnon, avatar mécanique en mesure de solliciter son interlocuteur comme le ferait un thérapeute.
Les recherches qui ont suivi depuis ont proposé des déclinaisons d’exercices classiques se concentrant sur la communication volontaireFermerFait d’établir une relation réciproque avec quelqu’un ou quelque chose, et qui résulte d'un acte de volonté (et non de l'automatisme, des réflexes ou des impulsions). Elle inclut l’expression de l'intention de communiquer, l’offre de partage, la recherche de réconfort chez l’autre, l’apprentissage approprié des normes sociales, etc., la concentration, le soin aux objets ou aux personnes, la gestion des émotions, etc. Le projet Aurora mettait quatre robots à disposition : deux véhicules à roues et deux humanoïdes à visages expressifs. D’autres robots d’apparence animalière ont également été utilisés en dehors du projet. Toutes machines confondues, l’analyse montre que les affinités entre l’enfant TSA et le robot sont bien plus fortes avec la forme humanoïde. Mais aucun lien n’a été établi avec la capacité verbale de la machine (toutes se limitaient aux sons, clignotements de différentes couleurs et mouvements).
Du compagnon à la prothèse en communication
Selon les observations, la progression de la communication des enfants a été plus rapide qu’avec une médiation reposant sur des animaux ou une musicothérapie. L’évolution cependant reste lente, estimée de plusieurs mois à plusieurs années pour en voir les effets en dehors des séances, alors que les publications scientifiques relatant ces expériences mentionnent souvent des temps d’interaction courts et peu fréquents. Enfin, les expériences publiées ne concernent qu'un à cinq participants, pour un nombre d’interactions limitées en face-à-face avec la machine, avec des conclusions généralement tirées sur peu de séances et souvent mal décrites.
Difficile donc de conclure sur les recherches utilisant le robot compagnon. De fait, il n’existe pas de réel programme thérapeutique d’interaction construit sur celui-ci et permettant d’être reproduit. Pour la systématisation des exercices, des entreprises développent plutôt des « auticiels », programmes informatiques pour supports numériques variés. Et une importante question demeure : comment obtenir la même qualité de réponse et d’interaction entre le participant et l’être humain qu’avec le robot compagnon ?
Ou encore : comment réintroduire l’être humain dans la démarche de communication avec la personne autiste ou souffrant de troubles cognitifs ? En 2014, notre équipe a proposé une alternative : il s’agit du robot extension. Plutôt qu’un interlocuteur robotique qui sollicite le participant, le robot extension est vu comme une prothèse en communication : le participant le programme pour lui faire dire ou faire tout ce qu’il veut, dans les limites technologiques de la machine. Si le participant ne le programme pas, le robot ne fait rien.
Très rapidement, le Laboratoire des sciences du numérique de Nantes (LS2N)1 et l’École centrale de Nantes sont devenus des soutiens au projet expérimental. Alors que le monde médical considère que l’accompagnement individuel est nécessaire, les ateliers Rob’Autisme, réalisés tous les ans depuis 2014, se composent d’une microsociété de six adolescents présentant des TSA, d'un responsable opérationnel (doctorant LS2N), de trois accompagnants et de deux référents techniques, et ce sans limitation à une partie spécifique du spectre autistique si ce n’est la notion de lettreFermerCapacité à savoir qu’une forme de caractère écrit correspond à un son particulier, sans forcément savoir lire et écrire.. Ils sont accompagnés pendant 20 heures d’ateliers pour co-construire un spectacle mettant en scène un ou plusieurs robots et restitué publiquement en fin de programme. Les vingt ateliers alternent à parts égales activités de construction du spectacle (son, décors, histoire, contexte et voix) et activités de programmation des robots.
Des progrès significatifs pour les patients
Les effets sur les participants montrent une amélioration rapide et permettent en quelques semaines d’en constater des effets à l’extérieur des séances2,3. Le travail de recherche mené sur ces ateliers a également permis de mieux comprendre les mécanismes mis en jeu, le rôle du robot dans l’évolution des participants, et, lors de Rob’Zheimer portant sur la maladie d’Alzheimer, les apports exacts du robot.
Grâce à ce programme-ci, les participants ont montré un apaisement conséquent de l’angoisse découlant de leurs ruptures cognitives, donc une augmentation de la capacité à se socialiser : meilleure capacité pour se concentrer et se rappeler, augmentation de la communication volontaire, du suivi de conversation cohérente, avec plus de soin aux objets et personnes les entourant pour lier des relations affectives, etc. Une participante Alzheimer a même reconnu son fils, ce qui ne lui était pas arrivé depuis deux années.
Ils ont ainsi pu reconstruire, au travers de la microsociété, un groupe soudé où la place sociale de chacun était redéfinie. Ils ont retrouvé un sens de l’humour et un désir de séduire l’autre, s’identifiant mieux et en conséquence l’identifiant mieux. Loin du robot compagnon, avatar auquel on cède le rôle de thérapeute, nos robots extensions gardent leur place de machine et permettent de réintroduire l’être humain dans la démarche de communication. C’est ainsi qu’ils semblent en mesure d’apporter le plus de bienfaits à l’accompagnement thérapeutique. ♦
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
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- 1. Unité CNRS/École centrale de Nantes/Univ. Nantes/IMT Atlantique – Institut Mines-Télécom/Inria.
- 2. “A robotic puppet master application to ASD therapeutic support”, S. Sakka, R. Gaboriau, International Journal of Mechanical, Aerospace, Industrial, Mechatronic and Manufacturing Engineering, vol. 11, p. 1483-1491, 2017.
- 3. “Rob’Autism: how to change autistic social skills in 20 weeks”, S Sakka, R. Gaboriau et al., International Workshop on Medical and Service Robots, 2016.