Sections

Arthur, premier robot archéologue des abysses

Arthur, premier robot archéologue des abysses

31.03.2025, par
Temps de lecture : 10 minutes
Le robot archéologue Arthur – conçu par des chercheurs du Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier (Lirmm) en collaboration avec la Drassm) – peut explorer les mers jusqu’à 2 500 mètres de profondeur.
Voici un robot aux performances et à la polyvalence inédites en archéologie sous-marine : il dévoile les trésors des épaves comme les mystères de la vie jusqu’à 2 500 mètres de fond ! Le roboticien Vincent Creuze vous présente Arthur, le nouveau roi des eaux profondes.

En 2014, vous avez démarré une collaboration avec le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm),1 qui souhaitait lancer un programme de développement de robots pour l’archéologie sous-marine. En quoi consistait-il ?
Vincent Creuze2 L’objectif était de parvenir à développer, en moins de 10 ans, des dispositifs destinés à fouiller à plus de 2 000 mètres de profondeur. En 2012, la France avait investi dans un nouveau navire, l’André-Malraux. Ce bateau de 36 mètres, spécialement dédié à l’archéologie sous-marine, possédait déjà des systèmes de levage et un laboratoire. La première étape, en 2013, a consisté à évaluer les systèmes existants, à savoir les robots industriels ROV3 utilisés dans les systèmes offshore.

Le Drassm s’est aperçu que ces appareils n’étaient pas faits pour l’archéologie sous-marine, car ils endommageaient souvent les objets prélevés. Il en a conclu qu’il devait développer ses propres systèmes robotiques. Il a alors lancé un programme destiné à tester, sur un chantier laboratoire à 100 mètres de profondeur, différents matériels et robots conçus au Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier (Lirmm)4.

Quelles étaient les caractéristiques des premiers robots ?
V. C. Le premier, Speedy, tout comme son frère jumeau, Leonard, a été conçu pour emporter un système de préhension à griffes pour se saisir des objets. Nous avons ensuite développé Flipper. Celui-ci comportait un aspirateur pour nettoyer les zones de fouille, en dégageant du sable, afin de récupérer les objets sans les abîmer. En parallèle, nous avons défini, avec le Drassm, le cahier des charges d’Hilarion, un robot spécialisé dans la photographie et fabriqué par une PME française. Nous avons ensuite conçu Basile, qui peut travailler pour le prélèvement ou pour l’aspiration et le soufflage, selon la mission et les accessoires utilisés5.

Le véhicule sous-marin téléopéré (ROV) Basile, lancé en 2020, compte parmi les premiers robots archéologues conçus par le Lirmm et la Drassm. Il descendait jusqu’à 120 mètres.
Le véhicule sous-marin téléopéré (ROV) Basile, lancé en 2020, compte parmi les premiers robots archéologues conçus par le Lirmm et la Drassm. Il descendait jusqu’à 120 mètres.

De 2019 à 2021, le Drassm a construit un second navire, long de 46 mètres, l’Alfred-Merlin, qui a navigué en Méditerranée durant ses premières années. En parallèle, on m’a demandé de concevoir le robot Arthur. Autonome, celui-ci peut embarquer conjointement toutes les technologies développées sur nos robots précédents.

Les algorithmes de pilotage lui permettent d’être suffisamment stable et précis pour récupérer les objets délicatement.

Les robots conçus jusqu’alors ne pouvaient pas descendre à plus de 500 mètres. Arthur, mis à l’eau en 2022, est capable d’atteindre 2 500 mètres de profondeur. Quelles sont ses particularités ?
V. C. Il possède un système d’éclairage puissant et prend des photos et vidéos en très haute définition. Les caméras, qui enregistrent et restituent les images en direct au pilote, sont installées dans une sphère en verre de gros diamètre. Les images nous permettent, par la suite, de réaliser des modélisations en 3D.

Passé cette première étape, Arthur utilise l’aspirateur pour dégager le sédiment, avant d’utiliser ses griffes pour récupérer les objets et les déposer dans une caisse de prélèvement. Les algorithmes de pilotage lui permettent d’être suffisamment stable et précis pour récupérer les objets délicatement. Nous avons ainsi prélevé, sans aucune casse, des objets très petits tels qu’un bijou de la taille d’un grain de café et d’autres, plus gros, tels qu’un bassin romain en bronze pesant 5 kg. Une fois le travail terminé, le robot remonte tous les objets prélevés.

Le robot d’archéologie sous-marine Arthur lors d’une exploration au large de la Corse, en 2023.
Le robot d’archéologie sous-marine Arthur lors d’une exploration au large de la Corse, en 2023.

À bord du bateau, le système de pilotage permet aux archéologues de diriger eux-mêmes les robots sans l’assistance d’un pilote professionnel, ce qui offre des temps de réaction plus rapides. Quels que soient le type d'appareil utilisé et la profondeur, nous travaillons dans les mêmes conditions de confort. Qui plus est, la salle de contrôle peut recevoir simultanément les équipes de quatre robots.

Comment avez-vous pallié les contraintes inhérentes aux grandes profondeurs ?
V. C.
Il y a bien sûr des problématiques liées à la pression – jusqu’à 250 kg/cm². Nous avons donc conçu des systèmes remplis d’huile pour les moteurs, les systèmes de prélèvement et les actionneurs, afin de compenser la pression extérieure.

Mais le robot serait incapable de tracter seul son câble ombilical jusqu’à ces profondeurs. C’est pourquoi nous avons conçu un garage de 700 kg, sous la forme d’une grande cage suspendue sous le bateau par un câble d’acier de 2,6 km, qui fournit l’alimentation électrique et transmet les données par fibre optique. Quand le garage est proche du fond, un treuil interne déroule un câble souple de 50 mètres relié au robot, qui peut ainsi évoluer aisément. La cage contient également des caissons électroniques destinés à convertir les données.

À gauche : sur le pont de l’Alfred Merlin, Arthur est encore dans son garage. À droite : le ROV s’en extrait pour explorer les profondeurs.
À gauche : sur le pont de l’Alfred Merlin, Arthur est encore dans son garage. À droite : le ROV s’en extrait pour explorer les profondeurs.

Une fois la mission terminée, le robot revient au garage, remonté ensuite par le treuil du navire. À 2 500 mètres, plus de 40 minutes sont nécessaires pour remonter le robot. En Méditerranée, le temps se dégrade très vite. Nous devons donc anticiper la météo afin de remonter la cage sur le pont en sécurité. Car, bien que nous ayons développé un système de verrouillage du garage au-dessus de l’eau pour éviter qu’il ne se cogne contre la coque, la moindre déconvenue pourrait endommager le matériel.

Des épaves antiques reposaient à 900 mètres de profondeur. L’une d’elles contenait des colonnes destinées à la construction d’un temple. C’était spectaculaire.

Arthur a été imaginé pour être facilement réparable. Cela s’est révélé être un atout majeur lors de sa première plongée dans le canal de Sicile, en 2022. Quels sont vos souvenirs de cette mission ?
V. C.
Pendant une semaine, nous étions à une vingtaine d’heures du port le plus proche. Un jour, Arthur a subi une panne. Mais, ayant à notre disposition tous les éléments et les compétences pour y remédier, nous avons pu le réparer dans la nuit. Cette mission internationale, réalisée sous l’égide de l’Unesco, avec des scientifiques de sept pays, est probablement la plus belle à laquelle j’ai participé. Des épaves antiques reposaient à 900 mètres de profondeur. L’une d’elles contenait des colonnes destinées à la construction d’un temple. C’était spectaculaire. De plus, il n’y avait aucune pollution lumineuse. La nuit, nous pouvions admirer des myriades d’astres et des étoiles filantes. Le soir, des dauphins et des baleines nageaient autour du bateau. Ce fut une expérience merveilleuse.

À chaque mission, des biologistes marins s’associent aux archéologues. Comment les qualités d’Arthur nous permettent-elles d’en apprendre plus sur le monde des profondeurs ?
V. C. Sur les images prises par le robot, on peut observer des animaux et des végétaux. J’ai en mémoire l’épave du Francesco-Crispi, un bateau de croisière italien coulé pendant la Seconde Guerre mondiale, reposant par 500 mètres de fond. Il était recouvert de massifs de corail blanc exceptionnels. La photogrammétrieFermerTechnique consistant à effectuer des mesures d’une scène à l’aide de photos afin d’en réaliser un modèle 3D.du navire a permis aux biologistes de récupérer les données pour réaliser un modèle 3D de ce corail, afin d’étudier son rythme de croissance, notamment.

Arthur en mission sur le Francesco Crispi, un bateau italien coulé lors de la Deuxième Guerre mondiale. La caméra située à l’avant du robot permet de filmer l’intérieur de l’épave.
Arthur en mission sur le Francesco Crispi, un bateau italien coulé lors de la Deuxième Guerre mondiale. La caméra située à l’avant du robot permet de filmer l’intérieur de l’épave.

Avoir des biologistes à bord permet également de nous éclairer sur ce qu’on peut prélever ou non. En effet, des objets archéologiques peuvent abriter des organismes biologiques rares. Dans d’autres cas, nous remontons à bord des objets couverts de concrétions qui peuvent contenir des micro-crustacés ou des petits bouts d’éponges. Les biologistes peuvent alors faire des prélèvements d’ADN.

Comment l’étude des épaves et des abysses peut-elle nous renseigner sur la fragilité de ces écosystèmes ?
V. C.
Les épaves sont des concentrateurs de vie. Elles font office de nid pour de nombreuses espèces. Par ailleurs, elles créent des écosystèmes particuliers, avec des paramètres spécifiques de courantologieFermerScience qui étudie les mouvements internes des masses d’eau, des courants marins ou de chimie, avec la dissolution des éléments métalliques de la coque, par exemple. Dans les fonds marins, on observe aussi, malheureusement, les effets de la pêche en profondeur. Les chaluts sont parfois utilisés à plus de 1 000 mètres. Les panneaux métalliques qui les encadrent peuvent détruire une épave en la traversant. Parfois, le filet peut complètement enrober l’épave et rester sur place, continuant de capturer inutilement des poissons pendant des décennies et empêchant tout accès aux robots.

Photogrammétrie de l’épave de la Lune (navire de la flotte royale qui a coulé en novembre 1964), dans la rade de Toulon.
Photogrammétrie de l’épave de la Lune (navire de la flotte royale qui a coulé en novembre 1964), dans la rade de Toulon.

Cartographier les épaves permet à l’État de protéger les plus remarquables, en mettant en place des zones d’exclusion. Lors des plongées des robots, les biologistes peuvent également mesurer la température en eaux profondes et la quantité d’oxygène dissous, contribuant ainsi à l’étude de l’impact du changement climatique sur les écosystèmes. ♦

Consultez aussi :
BathyBot : le robot des profondeurs
Une épave antique sortie de l’eau

Notes
  • 1. Créé en 1966 par André Malraux, le Drassm a pour vocation de gérer le patrimoine archéologique subaquatique et sous-marin dans le domaine maritime français, qui s'étend sur plus de 11 millions de kilomètres carrés.
  • 2. ​​​​​​​Professeur des universités et responsable de l’équipe Robotique sous-marine au Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier (Lirmm).
  • 3. Un ROV (pour « Remotely operated vehicle ») est un véhicule sous-marin téléopéré.
  • 4. Unité CNRS/université de Montpellier.
  • 5. Le robot Basile reste utilisé aujourd’hui pour des missions à moins de 150 mètres, dans la Manche et l’Atlantique.

Auteur

Matthieu Stricot

Spécialisé dans les thématiques liées aux religions, à la spiritualité et à l’histoire, Matthieu Sricot collabore à différents médias, dont Le Monde des Religions, La Vie, Sciences Humaines ou encore l’Inrees.