Logo du CNRS Le Journal Logo de CSA Research

Grande enquête « CNRS Le Journal »

Votre avis nous intéresse.

Le CNRS a mandaté l’institut CSA pour réaliser une enquête de satisfaction auprès de ses lecteurs.

Répondre à cette enquête ne vous prendra que quelques minutes.

Un grand merci pour votre participation !

Grande enquête « CNRS Le Journal »

Sections

Une vie complexe, deux milliards d’années avant les dinosaures

Une vie complexe, deux milliards d’années avant les dinosaures

25.06.2014, par
Macrofossile
Macrofossile de type lobé avec une structure périphérique radiale.
Le géologue Abderrazak El Albani a découvert en 2008 au Gabon les plus vieux fossiles d’organismes pluricellulaires jamais observés. Grâce aux travaux menés depuis, dont les résultats viennent d'être publiés dans «PLoS One», on en sait plus sur les premières formes de vie complexe qui ont peuplé notre planète.

La publication de votre découverte à la une de Nature en 2010, qui reculait de 1,5 milliard d’années le curseur de l’apparition de la vie complexe sur Terre, a fait l’effet d’une bombe…
Abderrazak El Albani1 : Pour ne rien vous cacher, certains collègues de la communauté scientifique ont eu du mal à admettre que des macrofossiles aussi anciens puissent exister ! Jusque-là, les plus vieux organismes pluricellulaires connus remontaient à 600 millions d’années : ils ont été trouvés à Ediacara, en Australie. Il était communément admis qu’avant cette date la vie sur Terre se résumait à une « simple » vie microbienne : bactéries, algues unicellulaires… Trouver de la vie complexe et organisée de 2,1 milliards d’années, soit 1,5 milliard d’années plus tôt, bouleverse tout le calendrier de l’apparition de la vie sur Terre. Le plus incroyable, c’est que les fossiles extraits des sédiments argileux de Franceville sont dans un état de conservation exceptionnel. Pour chaque spécimen, nous disposons de l’empreinte, de la contre-empreinte, ainsi que du spécimen fossilisé pris en sandwich entre les deux. Pour comparaison, à Ediacara, les traces retrouvées sont des empreintes laissées dans la roche…

Que nous disent ces fossiles de la vie dans le bassin de Franceville il y a 2,1 milliards d’années ?
A. E. A. : Au total, nous avons mis au jour environ 450 fossiles… Mais il en reste encore dans ces sédiments argileux, car ce site est vraiment exceptionnel ! Après nous être assurés de leur origine organique, nous avons passé tous les fossiles au microtomographe à rayons X – un appareil semblable à un scanner médical – afin d’en déterminer la morphologie mais aussi la structure interne. Les clichés en 3D révèlent des organismes de texture médusaire, molle et gélatineuse. Le plus petit fait environ 2 centimètres, et le plus grand, 17 centimètres… Ces spécimens vivaient vraisemblablement en colonies au fond de la mer, à 30 ou 40 mètres de profondeur, dans un écosystème révélant ainsi une biodiversité représentée par des macro- et des micro-organismes : en effet, nous avons aussi retrouvé des micro-organismes de 50 microns, invisibles à l’œil nu, « des algues marines », dans les roches sédimentaires. Les formes observées sont très caractéristiques. Dans l’article que nous publions dans Plos One ces jours-ci, nous décrivons plusieurs morphotypes différents : circulaires, allongés, lobés…

Macrofossile
Macrofossile de type allongé avec, à droite, son image en 3D obtenue par microtomographie à rayons X.
Macrofossile
Macrofossile de type allongé avec, à droite, son image en 3D obtenue par microtomographie à rayons X.

Sait-on pourquoi la vie complexe est apparue il y a 2,1 milliards d’années ?
A. E. A. : L’émergence de cette biodiversité suit la première augmentation d’oxygène dans l’atmosphère terrestre, il y a environ 2,3 milliards d’années. Un scénario identique s’est reproduit juste avant la parution des formes de la vie édiacariennes, il y a 600 millions d’années en Australie. À la différence du deuxième pic d’oxygène qui s’est prolongé jusqu’à nos jours, la première grande oxydation n’a duré que de 200 à 300 millions d’années et s’est estompée il y a environ 2 milliards d’années : le taux d’oxygène s’est brutalement effondré plongeant la Terre dans une relative anoxie pendant environ 1 milliard d’années (entre 2 milliards et 900 millions d’années), ce qui a probablement entraîné l’extinction du biotaFermerEnsemble des êtres vivants (plantes, micro-organismes, animaux...) que l’on trouve dans un biotope (région ou secteur donné). francevillien et le retour à une vie exclusivement microbienne.

L’émergence de
cette biodiversité
suit la première
augmentation
d’oxygène dans
l’atmosphère terrestre.

Comment les traces d’un tel écosystème ont-elles pu parvenir jusqu’à nous ?
A. E. A. : La conservation exceptionnelle des fossiles est due à deux facteurs. Le premier, c’est un processus de fossilisation extrêmement rapide par phénomène de pyritisation des individus, du fait de la présence de bactéries dans le milieu : grâce à ce phénomène, la matière organique a été transformée en matière minérale, la pyrite, et a été piégée dans les sédiments argileux. Le deuxième tient à l’incroyable stabilité du bassin de Franceville. C’est rare, car la plupart des roches de cet âge sont déformées, compressées, transformées par la tectonique…

Peut-on imaginer trouver des fossiles d’organismes pluricellulaires aussi anciens ailleurs sur la planète ?
A. E. A. : Quelques rares endroits en Afrique du Sud et en Australie possèdent des affleurements de cette qualité… Y retrouvera-t-on un jour des fossiles ? À l’heure où nous nous parlons, il est impossible de savoir si le biota gabonais est un phénomène unique ou si la vie a éclos ailleurs sur la planète. Une chose semble sûre, en revanche : des organismes aussi complexes et aussi organisés ne sont pas apparus subitement, ils avaient déjà évolué… L’espoir est réel de trouver des « ancêtres » à ces formes de vie.

Voir aussi : « Quand la vie animale s’est diversifiée »

Notes
  • 1. Professeur à l’université de Poitiers et chercheur à l’Institut de chimie des milieux et matériaux de Poitiers (CNRS/Univ. de Poitiers).

Commentaires

1 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS