Vous êtes ici
À la poursuite des ondes gravitationnelles
Aux lecteurs : cet article a été publié le 6 mars 2014, avant l’annonce - puis la rétractation- de l’équipe internationale qui pensait - à tort, comme l'a prouvé la mission Planck - avoir détecté des ondes gravitationnelles à l’aide du radiotélescope Bicep-2, installé en Antarctique.
« La première observation d’une onde gravitationnelle ? Ce sera avant la fin de la décennie. » Benoît Mours, du Laboratoire d’Annecy-le-Vieux de physique des particules1, en est persuadé : ces vibrations de la trame de l’espace-temps, prévues il y a un siècle par la théorie de la relativité générale d’Einstein, et dont personne aujourd’hui ne doute de l’existence, sont enfin sur le point d’être découvertes. Certes, les instruments installés au sol qui tentent de détecter ces ondes depuis les années 2000 n’ont rien vu pour le moment. Mais d’importantes améliorations de ces détecteurs sont en cours qui augmenteront énormément leur sensibilité dans les années qui viennent. Les ondes gravitationnelles ne devraient alors plus leur échapper.
Des ondes porteuses de précieuses informations
Produites par des cataclysmes cosmiques dans notre galaxie et au-delà, ces ondes se propagent à travers l’Univers à la vitesse de la lumière. Comme elles interagissent très peu avec la matière, elles nous arrivent presque intactes depuis leur lieu d’émission. S’ils parviennent à les capturer, les astrophysiciens disposeront ainsi d’un moyen unique pour étudier le cosmos et qui leur donnera des informations inaccessibles par les autres méthodes d’observation. Elles pourraient les renseigner aussi sur les tout premiers instants de l’Univers, puisque des ondes gravitationnelles émises par le Big Bang sont, en théorie, toujours perceptibles. Enfin, leur détection constituerait une confirmation supplémentaire des prédictions d’Einstein.
D’après la théorie de la relativité générale, tout objet massif déforme l’espace-temps à son voisinage. Et quand cet objet est accéléré très rapidement, ces déformations se propagent, un peu comme des vagues à la surface de l’eau : ce sont les ondes gravitationnelles. Seuls des événements astrophysiques violents sont capables de créer de telles ondes. Par exemple, lorsque deux étoiles à neutrons ou deux trous noirs tournent l’un autour de l’autre puis fusionnent. Ou encore lorsqu’une étoile massive explose en supernova. En observant ces ondes, les astronomes espèrent ainsi mieux comprendre ces phénomènes sur lesquels ils se cassent aujourd’hui la tête.
Des perturbations très difficiles à mesurer
Mais comment détecter une onde gravitationnelle ? Lorsqu’elle passe entre deux objets, celle-ci modifie la distance qui les sépare. Cet effet est toutefois extrêmement faible : en arrivant sur Terre, l’onde entraîne une distorsion de seulement 1 milliardième du diamètre d’un atome (10–19 mètre) pour une distance de quelques kilomètres ! En 1993, la France et l’Italie se sont lancées dans la construction d’un instrument capable de mesurer des perturbations aussi ténues : l’interféromètre Virgo, installé à Cascina, près de Pise. Dans cette installation de grande taille, un rayon laser est séparé en deux faisceaux. Ceux-ci sont alors dirigés dans deux bras perpendiculaires de 3 kilomètres de long. Chaque faisceau parcourt plusieurs allers-retours en se réfléchissant sur des miroirs. Il finit par sortir et croise l’autre faisceau avec lequel il se recompose. Si les deux faisceaux ont parcouru la même distance, les ondes lumineuses se compensent parfaitement et la sortie de l’interféromètre reste obscure. En revanche, si une onde gravitationnelle passe par là, elle raccourcit un bras et allonge l’autre. Les deux faisceaux se recomposent avec un léger déphasage et de la lumière sort de l’interféromètre.
En 2007, Virgo a commencé ses observations. Vu sa sensibilité, l’instrument ne pouvait détecter que des événements particulièrement intenses : des fusions d’astres compacts ou des explosions de supernovæ qui auraient eu lieu dans notre galaxie ou des galaxies proches. « Nous espérions détecter ces événements à raison de quelques-uns par an, confie Benoît Mours, membre de l’équipe scientifique de Virgo. Finalement, ces phénomènes se sont révélés plus rares que prévu et après plusieurs années d’observation, aucune trace d’onde gravitationnelle n’a été repérée. » Même constat du côté de Ligo, l’autre interféromètre construit aux États-Unis, qui a commencé à prendre des mesures en 2002.
Pas de quoi décourager les scientifiques pour autant. Les responsables de Virgo, tout comme ceux de Ligo, ont en effet décidé d’installer une version améliorée de leur expérience. Le chantier est en cours et devrait se terminer fin 2015. Baptisé Advanced Virgo, l’interféromètre nouvelle génération aura une sensibilité dix fois plus grande que celle de son prédécesseur, ce qui lui permettra de rechercher des sources dix fois plus lointaines. « Avec Advanced Virgo, on pourra sonder un volume d’Univers mille fois plus grand, se réjouit Benoît Mours. Nous aurons alors de très fortes chances de détecter des ondes gravitationnelles. »
Un projet de mission spatiale baptisé eLisa
Mais les astrophysiciens ne comptent pas s’arrêter là. Ils rêvent en effet d’une mission d’observation spatiale dédiée à ces ondes. Comme dans les interféromètres terrestres, on comparerait les distances parcourues par des faisceaux lasers, mais cette fois ceux-ci voyageraient entre des satellites. L’avantage majeur serait de s’affranchir des perturbations, notamment des vibrations sismiques, qui viennent compliquer les expériences au sol. Une telle mission est en projet depuis plusieurs années à l’Agence spatiale européenne. Baptisée eLisa, elle comprendrait trois satellites distants de 1 million de kilomètres entre lesquels deux faisceaux laser circuleraient en formant un « V ».
En raison de sa taille et parce que les perturbations qui existent sur Terre sont absentes dans l’espace, cette expérience serait sensible à des phénomènes cosmiques mettant en jeu des astres beaucoup plus massifs et beaucoup plus lointains que ceux visés par les détecteurs au sol. Par exemple le rapprochement et la fusion de deux trous noirs supermassifs nichés au centre de galaxies. Et ce n’est pas tout. « Avec cet observatoire spatial, il est même possible qu’on puisse détecter des ondes gravitationnelles produites très peu de temps après le Big Bang, s’enthousiasme Pierre Binétruy, chercheur au laboratoire Astroparticule et cosmologie2 à Paris et responsable scientifique d’eLisa pour la France. On obtiendrait ainsi la photo de l’Univers la plus ancienne jamais réalisée. »
En juillet 2015, un satellite démonstrateur, appelé Lisa Pathfinder, devrait être lancé pour tester les différentes technologies utilisées dans le projet. « À l’intérieur du satellite, un faisceau laser circulera entre deux masses distantes de 30 centimètres, précise Pierre Binétruy. L’objectif ne sera pas de détecter des ondes gravitationnelles, mais de s’assurer que les masses sont bien isolées des perturbations non gravitationnelles comme le vent solaire ou la présence d’un champ électrique résiduel dans le satellite. » Si le succès est au rendez-vous, eLisa aurait alors de bonnes chances de décoller en 2034. Encore un peu de patience donc !
À suivre :
Seconde édition du forum du CNRS, à Grenoble.
Conférence « À la poursuite des ondes gravitationnelles », samedi 11 octobre 2014, de 10 heures à 11 heures.
Voir aussi
Mots-clés
Partager cet article
Auteur
Julien Bourdet, né en 1980, est journaliste scientifique indépendant. Il a notamment travaillé pour Le Figaro et pour le magazine d’astronomie Ciel et Espace. Il collabore également régulièrement avec le magazine La Recherche.