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Au Botswana, en quête des origines de l’humanité
Cet article a été initialement publié dans le n° 12 de la revue Carnets de science
#1 – 21 novembre – En route à travers le bush
17 heures. Notre convoi de 4x4 suit depuis plus de trois heures la longue piste sableuse qui s’étire vers l’ouest, en direction de la frontière namibienne. Des panaches de poussière s’élèvent de chaque véhicule, éclairés par la lumière rougeâtre de cette fin de journée. Nous sommes encore loin du camp, mais il faut que nous arrivions avant la nuit. Il n’est pas prudent de circuler dans l’obscurité car la faune, ici, est abondante. Pas question de percuter un animal ou, tout simplement, de prendre le risque de tomber en panne et de devoir sortir des véhicules pour des réparations de nuit.
Nous avons atterri ce matin même à Maun, une ville située dans le centre du Botswana. Récupérer les véhicules 4X4, faire les courses pour les deux semaines que va durer la mission : la matinée a été chargée, ne nous permettant pas de partir avant le début d’après-midi. À bord du convoi, nous sommes huit chercheurs français, paléontologues, archéologues, géologues spécialistes des analyses d’images satellitaires et, bien sûr, géomorphologues et karstologues capables d’étudier les terrains calcaires où se forment les grottes que nous allons explorer dans le cadre de notre mission : « Human Origins in Botswana: Karst Research Program ». Dans nos bagages, nous emportons des images satellites, des drones, du matériel pour étudier les vestiges paléontologiques, mais aussi beaucoup d’équipement de marche et de spéléologie, car l’objectif est de travailler sur et sous le sol, aussi loin que nous pourrons mener nos explorations.
19 heures. Nous arrivons juste avant la nuit noire à notre campement de Gcwihaba Hills, où nous retrouvons nos collègues botswanais qui ont préparé le camp de base, un luxe tout nouveau pour nous ! Il ne nous reste plus qu’à déplier les tentes fixées sur le toit des 4x4. Pas question de dormir au sol par ici, car c’est la nuit que les animaux chassent ou tout simplement se déplacent, ce qui est à considérer dans le cas des éléphants par exemple…
#2 – 22 novembre – Un long cheminement scientifique
6 heures. À peine levé, le soleil tape sur les toiles de nos tentes, nous réchauffe et nous pousse à sortir de notre torpeur. Aujourd’hui, nous finirons de monter le camp, avant de suivre nos collègues botswanais vers un site tout proche, où des affleurements calcaires et des ossements sont bien visibles – rien qui semble suffisamment riche pour qu’on s’y intéresse, mais ce n’est que le début ! Plusieurs mois ont été nécessaires pour préparer cette expédition que nous attendons depuis deux ans maintenant. La pandémie mondiale de Covid-19 a compliqué les choses, nous forçant à repousser plusieurs fois la mission : hors de question de prendre le moindre risque d’apporter le virus ici, dans ces régions reculées du Botswana où les Bushmen ont difficilement accès aux services de soins.
Cette mission est pour nous à la fois l’aboutissement d’un long processus de recherche et le début d’une nouvelle aventure humaine et scientifique. Tout a commencé en 2015 lorsque nous avons publié dans la revue Nature la nouvelle datation de l’australopithèque Little Foot découvert en 1998 en Afrique du Sud par le paléoanthropologue Ron Clarke. Little Foot, le squelette le plus complet jamais découvert à ce jour, avec 95 % des ossements retrouvés, a vécu il y a 3,7 millions d’années, soit un demi-million d’années avant Lucy. Une datation qui a sérieusement ébranlé le scénario de nos origines.
Jusqu’alors, la région du rift, et particulièrement l’Éthiopie où Lucy a été retrouvée en 1974, était considérée comme le berceau de l’humanité, qui avait vu apparaître les premiers hominines : le genre Homo auquel nous appartenons, ses ancêtres comme les australopithèques et ses cousins d’évolution comme les paranthropes. Il était admis que l’Afrique du Sud livrait des fossiles plus jeunes que les sites d’Afrique de l’Est. Avec la nouvelle datation de Little Foot, puis d’autres australopithèques du même site, il faut désormais compter avec deux « berceaux », contemporains mais séparés de plus de 4 000 kilomètres. Comment imaginer une évolution parallèle avec des hominines qui se ressemblent tant, sans arriver à la conclusion qu’ils font plutôt partie d’un seul et même berceau, que nous devons considérer à l’échelle du continent africain ?
C’est là que j’entre en jeu. Le rift, tout comme les grottes karstiques dont je suis spécialiste sont des pièges naturels où tombe par accident la faune – animaux, mais aussi hominines –, la préservant de la destruction à laquelle elle était promise en surface. Partant du postulat qu’il y a eu des hominines dans une grande partie du continent africain, il ne reste plus qu’à chercher de nouveaux pièges dans des pays n’ayant pas encore livré ce type de vestiges.
Les collines calcaires où nous nous trouvons, à cheval entre la Namibie et le Botswana, font sur le papier de parfaites candidates. Elles rassemblent toutes les caractéristiques que nous recherchons : une roche calcaire, apte à la formation de cavités, et des reliefs peu marqués signes d’une très lente évolution du paysage. Pour autant, les fouilles que nous avons menées ces dernières années côté namibien nous ont laissés sur notre faim. Le Botswana, où des grottes ainsi que quelques sites fossilifères sont connus de longue date dans les Koanaka et les Gcwihaba Hills, pourrait-il receler ce que nous cherchons ?
#3 – 23 novembre – Une école sous tente
7 heures. Avant de partir en reconnaissance dans la grotte de Gcwihaba, tout près du campement, nous sommes tous réunis sous la tente commune pour discuter des objectifs de la mission qui nous a amenés au Botswana. Cette année, grâce au soutien du CNRS, nous avons la chance d’accueillir sur le terrain 19 collègues botswanais. Ce sont des géologues, des archéologues, des paléontologues, des conservateurs et des assistants issus du muséum national du Botswana ou de l’université de Gaborone. Certains d’entre eux connaissaient les lieux car ils y travaillent depuis plusieurs années, mais pour d’autres, en poste dans tout le Botswana, c’est une première.
L’échange de connaissances et de bonnes pratiques sera au centre de notre collaboration : en plus de la prospection à proprement parler, pendant laquelle nous profiterons de la connaissance de terrain de nos collègues botswanais, une vingtaine d’heures d’enseignement sont prévues afin d’aller plus loin dans certains domaines moins connus des scientifiques du pays, comme l’utilisation de la télédétection, la muséologie, la conservation et la valorisation. Ces sessions, contrairement à aujourd’hui, auront plutôt lieu le soir, après les prospections de la journée, transformant notre lieu de vie commun en véritable école d’été sous tente.
#4 – 26 novembre – Notre premier piège à fossiles
Dans le cadre de son travail de thèse, Bastien Chadelle a identifié par télédétection quelques anomalies de terrain intrigantes. En analysant des images satellites à haute résolution et en les couplant à des représentations en 3D du paysage, ce géologue a une vision très détaillée des reliefs du secteur, lui permettant d’identifier les affleurements de calcaires, là où se forment les grottes, mais aussi des effondrements pouvant correspondre à l’entrée d’une cavité. Il ne nous reste plus qu’à aller vérifier par nous-mêmes, car pour découvrir de nouveaux sites, il n’y a pas d’autre choix que de prospecter ! Après une heure de 4x4, nous nous retrouvons à pied dans le bush, marchant dans les hautes herbes, zigzaguant entre les arbustes. Nous devons aller reconnaître une dépression fermée d’environ 200 mètres de diamètre, en forme d’entonnoir. Ce type de paysage est caractéristique d’une vidange des sables du Kalahari par en dessous, ce qu’on appelle un soutirage. Cela signifie qu’il existe une cavité plus en profondeur, certainement développée dans les calcaires, qui aspire la couverture de sable pourtant épaisse de plusieurs dizaines de mètres. Malheureusement, nous ne trouvons aucun trou au fond permettant d’accéder à la cavité qui doit pourtant exister plus bas.
Nullement découragés, nous poursuivons la prospection vers une colline calcaire qui émerge de la plaine sableuse. Cette fois-ci, nous sommes sûrs que le calcaire est affleurant et que les grottes ou les indices de grottes seront visibles en surface. Mais d’abord, il faut faire quatre kilomètres à pied, dans le sable et… à découvert ! C’est dans ces grands espaces ouverts que l’on se sent le plus vulnérable. Aucun refuge possible et une multitude de buissons et d’arbustes pour une faune aux aguets. Cela nous rappelle trop une mauvaise rencontre lorsqu’en 2016, dans un contexte très comparable, nous étions tombés sur un clan de lions… qui avaient fini par s’éloigner nonchalamment : par chance pour nous, ils n’avaient pas faim ce jour-là. Maintenant, nous savons lire les traces au sol, nous faisons du bruit pour annoncer notre arrivée et nous développons instinctivement un sens souvent négligé : le flair. L’odeur des animaux de la brousse est très forte et dès que nous sentons quelque chose, nous nous regroupons, faisons du bruit avec nos bâtons de marche et continuons à avancer calmement.
15 heures. Après deux heures de marche en plein soleil, nous parvenons au pied de la colline. À peine avons-nous mis le pied sur le rocher que nous reconnaissons de la calcite, le carbonate de calcium déposé par les infiltrations d’eau dans les grottes. Cette dernière est disposée en fines couches concentriques, un peu comme un oignon tranché, ce qui est caractéristique des stalactites et stalagmites que l’on trouve dans les grottes. Pourtant nous sommes ici à l’air libre, pas au fond d’une grotte ! Leur présence en surface indique que nous sommes dans une ancienne cavité dont la voûte a été totalement détruite par l’érosion. Parmi les concrétions, nous identifions très vite le second ingrédient fondamental dans notre quête : les brèches. Il s’agit des cailloutis et de la terre tombés dans la grotte par une entrée aujourd’hui disparue et qui ont été cimentés par la calcite, un béton naturel en quelque sorte. Sauf que celui-ci s’est formé il y a plusieurs centaines de milliers, voire plusieurs millions d’années, lorsque la grotte avait encore un plafond et donc avant que l’érosion ne fasse disparaître plusieurs mètres à plusieurs dizaines de mètres de roche au-dessus.
Très vite, parmi les blocs cimentés, nous apercevons des os, beaucoup d’os, de toutes tailles. En certains points, il y en a même plus que de fragments de roches, le site est incroyablement riche ! Les exclamations fusent, c’est la joie puis l’euphorie la plus totale. Nous avons trouvé exactement ce que nous cherchons depuis si longtemps : un site fossilifère qui nous rappelle très fortement les sites sud-africains et dont l’ancienneté ne laisse pas de doute si l’on considère la longue évolution géomorphologique qui a conduit ces dépôts souterrains à se retrouver aujourd’hui en surface. Nous foulons littéralement les traces de notre passé lointain. Nous reviendrons demain !
#5 – 27 novembre – Que d’os ! Et un hominine ?
5 heures. La nuit a été courte et tout le monde descend du toit des 4x4 avant même que le soleil n’effleure les toiles de nos tentes. Petit-déjeuner rapide en préparant le matériel et le convoi se met en route sur les pistes sableuses. À l’aide du GPS, des images satellites mais surtout de l’expérience de nos collègues, nous créons un itinéraire nous permettant d’arriver jusqu’au site au prix de quelques détours pour éviter les épineux qui provoquent de fréquentes crevaisons. L’objectif de la journée est d’évaluer le site en dégageant le maximum de brèche. Une reconnaissance rapide nous montre que c’est encore plus grand que ce que l’on pensait. Plusieurs blocs de brèche emballant d’anciennes stalagmites émergent du sable sur près de 500 m² ! Il faut donc évaluer le potentiel de ce site avant de choisir un point en particulier pour la fouille.
Armés de balayettes, de pelles et de seaux, nous enlevons le sable qui recouvre la brèche. C’est un travail plaisant, il ne fait pas trop chaud aujourd’hui, et l’excitation va crescendo au fur et à mesure que le sable laisse la place à la brèche fossilifère. Si les premiers coups de brosse ne laissent entrevoir que du remplissage de sédiments durcis, très vite un premier indice apparaît sous nos yeux : un os ! Le premier d’une longue série. Ce sont tout d’abord de simples éclats… Si l’identification est difficile, leur état de préservation suggère un potentiel incroyable. En dépit de l’ancienneté du site (sûrement au-delà du million d’années), les surfaces osseuses sont aussi fraîches que dans nos sites du Paléolithique supérieur en France, qui n’ont que quelque 45 000 à 12 000 ans. Au fur et à mesure, l’espace s’ouvre. À chaque passage de la brosse, une nouvelle surface de brèche apparaît et, bien souvent, des ossements.
Jean-Baptiste Fourvel, Francis Duranthon et Camille Thabard (qui démarre une thèse sur les guildes de carnivores fossiles et leurs relations avec nos ancêtres) sont très sollicités. Se déplaçant d’un groupe à l’autre, d’un bloc de brèche à un autre, ils voient tout un écosystème ancien commencer à se dessiner. Souvent des restes de micro-vertébrés, de rongeurs, à ne surtout pas négliger, car ils nous renseignent souvent sur les animaux plus gros. Puis les premiers spécimens de grande taille apparaissent, avec d’abord un fragment de phalange d’antilope, puis un premier primate, non humain, grâce à un fragment de mâchoire. Probablement un babouin ou un colobe. Les carnivores sont rares, mais un fragment de coprolithe, une déjection fossilisée, indique leur présence. Peu à peu, tout un cortège d’animaux apparaît : des herbivores, des carnivores, des primates… Nous avons sous les yeux tout ce qui constitue les sites fossilifères que nous connaissons bien en Afrique du Sud.
L’ambiance est au beau fixe et des chants en tswana résonnent à plusieurs reprises, nous donnant encore plus de cœur à l’ouvrage. Marc Jarry scrute les affleurements pour voir s’il n’y a pas quelques outils taillés, mais rien. C’est bon signe car pour les périodes qui nous intéressent, nous ne connaissons pas encore d’industrie lithique en Afrique australe. Parmi les os identifiés, l’un d’eux nous laisse perplexes… C’est un rocher, non pas un rocher minéral, mais bien un ossement de l’oreille interne aussi appelé « rocher » ou « os pétreux ». Au premier regard, sa forme évoque un primate. Puis à force d’observation, le doute s’immisce : il ressemble beaucoup à un rocher d’hominine ! Il est partiellement pris dans la brèche, scellé dans son écrin, et nous n’aurons pas le temps de l’extraire d’ici à la fin de la mission. Il faudra revenir en 2022. Aurions-nous déjà trouvé ce que nous cherchons : un hominine contemporain des fossiles trouvés en Afrique du Sud, soit entre 2 et 3 millions d’années ?
#6 – 28 novembre – Nouvelle moisson d’ossements
Aujourd’hui, nous retournons visiter une grotte vue pour la première fois en 2017, avec un double objectif : rechercher des fossiles bien sûr, mais également étudier l’impact de la présence de colonies de chauves-souris sur les parois et les concrétions de la cavité, un autre thème de recherche qui nous intéresse. Le guano des chauves-souris est en effet hautement corrosif et modifie la physionomie des grottes lorsqu’elles sont habitées par celles-ci.
Depuis l’entrée, on descend un chaos de blocs. Au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans l’obscurité, la chaleur moite et les effluves d’ammoniaque sont de plus en plus prégnantes. Mais ce qui frappe le plus, c’est l’allure des parois et l’aspect fantomatique des concrétions. La surface des calcaires est profondément ciselée et ressemble à de la peau d’éléphant. Les grandes concrétions de calcite sont tronquées, creusées de coupoles, ou ont l’aspect rachitique d’un trognon de pomme. Évidemment, ce n’est pas leur état initial et elles témoignent d’un intense processus d’altération. Inutile de dire que s’il y avait le moindre ossement, il aurait été dissous par les jus acides provenant du guano. Pas la peine de chercher plus longtemps dans ces grands volumes marqués par la biocorrosion.
En remontant vers la surface, nous visitons une petite galerie latérale débouchée par nos collègues botswanais il y a quelques années déjà. Celle-ci n’est pas impactée par la biocorrosion. Au premier coup d’œil, des os apparaissent. Il ne s’agit pas de quelques poignées d’ossements, mais de milliers de pièces qui affleurent de toutes parts, et dont une partie a déjà été déposée au muséum de Gaborone, la capitale du Botswana, où nous avons prévu – cela tombe bien ! – de faire une étape avant notre retour en France. Un premier examen mené sur place nous indique que la grotte renferme toutes les espèces composant un écosystème complet, riche et diversifié, allant des plus petits rongeurs jusqu’aux phacochères et antilopes de grande taille. Des léopards, des lions et même des machairodontes, les célèbres félins à dents de sabre, récurrents dans les sites à hominines d’Afrique du Sud, sont aussi de la partie. C’est un site ancien, peut-être dans la fenêtre de temps qui nous intéresse…
Mais ce n’est qu’à l’examen des fossiles entreposés au muséum, quelques jours plus tard, que nous en aurons la confirmation. Au milieu des restes de chacal, un élément attirera notre attention : les restes d’un chien viverrin, une espèce actuellement strictement confinée à l’Eurasie, mais dont les ancêtres ont foulé le continent africain. Cette simple pièce est d’autant plus intéressante que l’on sait que les traces de l’animal en Afrique remontent au minimum à 1,4 million d’années… Exactement la période qui nous occupe dans notre quête des premiers hominines. C’est sûr, nous reviendrons l’année prochaine !
#7 – 1er décembre – Un forage dans le karst
Aujourd’hui, c’est à notre tour de prendre une leçon. Nos collègues botswanais, dirigés par le géologue Oaitse Ledimo, nous emmènent visiter une grotte découverte il y a quelques années. Cette cavité n’étant pas accessible naturellement, ils ont utilisé une méthode hors du commun pour la localiser et surtout pour y accéder. Tout a commencé par une série de mesures en géophysique : une méthode permettant d’ausculter le sous-sol en y envoyant de l’électricité afin d’y trouver des vides, donc des grottes. Ces analyses ont révélé la présence de galeries entre 20 et 40 mètres de profondeur, mais sans accès connu. Qu’à cela ne tienne, les scientifiques botswanais ont fait venir dans le bush des camions 4x4 équipés de carottiers qui ont foré un puits de 50 centimètres de diamètre sur 40 mètres de profondeur, le tout en pleine roche. Ils ont alors pu accéder à plus d’un kilomètre de galeries totalement vierges, un écrin minéral intact sous le désert que nous sommes venus visiter à notre tour.
Nous arrivons devant le tube métallique qui émerge du sol et qui correspond au sommet du forage. Comme il n’y a pas de points d’ancrage, nous avançons le 4x4 juste au-dessus de l’orifice. C’est le pare-buffle qui nous servira d’amarrage pour descendre en rappel dans le puits. Visiblement, cette grotte est intacte et l’on ne trouve aucune trace de chauve-souris. Cela signifie donc qu’il n’y a jamais eu d’entrée et que nous pourrons enfin lire sur les parois les formes révélatrices du mode de creusement des galeries.
Après examen du site, le doute n’est plus possible pour Grégory Dandurand, karstologue : ces cavités se sont formées par fantômisation, un très lent processus de dissolution partielle de la roche qui laisse un résidu très poreux, mais encore en place, le fantôme de roche. C’est la première fois que ce type de creusement est mis en évidence au Botswana ! Ce n’est pas la seule bonne nouvelle : les cavités formées par fantômisation sont en effet très favorables au piégeage et à la conservation des formations de surface. Elles constituent tout autant de pièges pour préserver les fossiles et cela est de très bon augure ! Après 8 heures passées sous terre, assommés par la chaleur, nous retrouvons le soleil couchant et l’air de la surface devenu frais. Les visages sont fatigués et maculés de boue mais les yeux remplis de joie…
#8 – 4 décembre – Retour dans le monde réel
C’est déjà la fin de cette mission au Botswana. C’était dense, très riche et pourtant nous avons l’impression d’être arrivés hier ! Et ce n’est que le début ! Les sites que nous avons attaqués sont déjà très prometteurs, ils livrent une grande quantité de faune qui semble couvrir exactement la période chronologique qui nous intéresse. Il ne reste donc plus qu’à les fouiller et à exhumer le maximum d’ossements. Trouver de l’hominine, c’est aussi une question de statistiques : en moyenne, on trouve un ossement pour mille os de faune…
Le camp est démonté, les 4x4 chargés, et vient le moment des adieux, ou plutôt des « au revoir », avec nos collègues botswanais. Car on se reverra très bientôt. Le soutien du ministère des Affaires étrangères, de l’Institut des déserts et des steppes et celui initié par le CNRS cette année pour les collaborations avec l’Afrique, nous permettent déjà de programmer deux nouvelles missions de terrain en 2022. Et ce, sans compter sur le soutien du gouvernement botswanais très intéressé par ce programme de coopération et les perspectives de classement de ces grottes auquel nous contribuerons.
Nous reprenons la longue piste, en direction de la ville de Maun. Une fois arrivés, vient le moment difficile où l’on va devoir connecter nos téléphones au WiFi de l’hôtel. Une avalanche de mails nous fait déjà regretter d’avoir quitté notre camp. Parmi eux, plusieurs messages inquiets de collègues ou de proches. Pendant que nous vivions au milieu du bush, le variant Omicron est apparu et a notamment touché l’Afrique du Sud et le Botswana classés « écarlates ». Nous étions finalement plus en sécurité au milieu du bush que plus d’un qualifierait d’inhospitalier, que dans les halls d’aéroports que nous allons devoir traverser. ♦
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Auteur
Laurent Bruxelles est géomorphologue et karstologue au laboratoire Travaux et recherches archéologiques sur les cultures, les espaces et les sociétés (Traces - CNRS/Ministère de la Culture/Université Toulouse Jean-Jaurès). Il dirige le programme de recherche « Human Origins in...