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Au pic du Midi, la tête dans les étoiles
30/09/2018. L'arrivée au pic du Midi
Il est 16 heures, en ce dimanche de septembre et nous roulons depuis près de dix heures quand, nappé d’un nuage, il apparaît dans notre champ de vision. Le pic du Midi et son observatoire planté à son sommet se dressent devant nous comme une promesse : celle de nouvelles observations astronomiques avec la caméra infrarouge à très haute dynamique (HDR) que je suis en train de mettre au point. Je suis parti de mon laboratoire parisien1 avec François Colas de l’Observatoire de Paris2, qui a fondé au pic la station de planétologie des Pyrénées consacrée à l’étude de notre Système solaire, des météores aux planètes.
Rejoindre ce lieu chargé d’histoire est toujours une grande émotion. L’observatoire du pic du Midi, d’abord dédié à la météorologie, a été érigé à la fin du XIXe siècle à 2 877 mètres d’altitude. Les premiers locaux de cet édifice de science extraordinaire ont été achevés le 8 septembre 1882 ; et en 1907, fut montée une lunette astronomique de 50 centimètres de diamètre, l’un des plus grands instruments au monde pour l’époque, qui permit en 1909 de démentir l’existence de canaux sur Mars en propulsant l’observatoire à la pointe de la recherche en astronomie. Menacés de fermeture à la fin des années 1990, l’observatoire et ses deux télescopes à miroir de 1 m (T1m) et de 2 m (T2m) de diamètre sont aujourd’hui devenus des auxiliaires précieux pour expérimenter de nouveaux outils d’observation, comme ma nouvelle caméra.
18 heures. La cabine du téléphérique reliant le village de la Mongie à l’observatoire, remplie de matériel et de victuailles, s’élance vers le pic du Midi à travers quelques nuages. Les deux tronçons du téléphérique et les 1 400 m de dénivelé nous séparant du sommet sont avalés en quelques minutes. Je suis, comme à chaque fois, saisi par la beauté de cette ascension. Une fois en haut, le pic du Midi et ses coupoles d’observation semblent flotter, tel un navire, sur la mer de nuages.
Après un rapide café, nous nous rendons, François et moi, sous la coupole Gentilly pour découvrir le télescope T1m de ses protections, le sortir de son sommeil et vérifier que tout fonctionne (il n’a pas été utilisé depuis des semaines). Les 4 tonnes de métal de ses assemblages mécaniques (monture et tube), ainsi que les 400 kg de verre de son miroir se mettent en mouvement au gré des différents tests : tout va bien. Il s’agit ensuite de monter la caméra sur le télescope.
Au pic, la station de planétologie des Pyrénées et son télescope T1m servent à une veille et une étude constante de l’ensemble des objets plus ou moins gros (astéroïdes, comètes, satellites, planètes…) et des phénomènes de notre Système solaire. Les caméras utilisées pour observer le ciel travaillent soit dans la lumière visible – elles traitent alors les mêmes longueurs d’onde que l’œil humain –, soit dans l’infrarouge. L’infrarouge, comparé au visible, permet d’étudier des caractéristiques physiques des corps célestes qui nous seraient autrement inaccessibles : chaque longueur d’onde est en effet porteuse d’une information sur la matière qui a émis la lumière récupérée par le télescope.
L’infrarouge permet également de « voir » au travers de nuages de poussières fines qui sont opaques dans le visible. J’ai pu profiter de cette propriété pour pouvoir découvrir la surface de Mars en juillet dernier, malgré la tempête de sable planétaire qui y faisait alors rage. Ou bien encore pour plonger en profondeur dans les nuages de poussières interstellaires du cœur de la nébuleuse d’Orion, révélant des étoiles naissantes cachées dans leur cocon.
01/10/2018. L’attente
À 19 h 30, après une journée de mise en place et de traitement des courtes observations réalisées la veille au soir, nous sommes fin prêts pour notre première nuit sous la coupole. François pointe Saturne qui est encore assez haute dans le ciel. Au chercheur, il vérifie que la planète est bien centrée. Pour ma part, je l’avertis, en reprenant les commandes de pointage du télescope depuis la control room, lorsque Saturne apparaît bien sur mon écran. Le télescope T1m associé à la caméra infrarouge permet de voir parfaitement la planète, bien qu’il fasse encore jour. Cependant, les conditions, vent et chute de la température (on prévoit –10 °C ce soir avec un vent supérieur à 60 km/h) empêchent de bonnes acquisitions. Heureusement, il me reste encore quatre nuits au pic pour tester ma caméra infrarouge nouvelle génération.
Les caméras scientifiques, qu’elles travaillent dans l’infrarouge ou dans la lumière visible, utilisent, à l’instar de nos appareils photo, un mode d’acquisition d’images exploitant la technologie HDR : celle-ci permet, grâce à la combinaison de plusieurs images prises avec des temps de pose plus ou moins longs, de faire figurer sur un même cliché des zones à forte luminosité et des zones à faible luminosité. Mais elle présentait jusqu’ici un inconvénient : pour obtenir une seule image, il fallait enregistrer toutes les images intermédiaires, ce qui est très gourmand en ressources (mémoire, calculs) tout en proposant au final une dynamique limitée.
La caméra infrarouge HDR que j’ai créée il y a un an et demi à partir du détecteur de la société française NIT (New Imaging Technologies) suit une tout autre approche : elle choisit les temps de pose nécessaires pixel par pixel, et ce, « au fil de l’eau », pendant toute la durée de la prise de vue. Les faibles et fortes luminosités figurent sur un seul et même cliché, sans avoir besoin de combiner (et de stocker) plusieurs images intermédiaires.
Autre avantage de ma caméra : même quand le signal lumineux augmente de façon spectaculaire, le détecteur ne sature pas, car il fonctionne alors comme l’œil humain, de manière logarithmique : plus le signal lumineux est fort, moins la réponse du détecteur (électronique ou humain, donc) augmente vite. Ainsi, nous pouvons regarder (brièvement) le Soleil de face tout en continuant de voir le ciel bleu juste à côté, quand l’image prise avec notre appareil photo numérique apparaîtra, elle, blanche et saturée…
Mon objectif sur cette mission est de faire un maximum de nouvelles acquisitions avec les meilleures conditions météo possible. Ensuite, il faudra que je les traite, pour optimiser les performances de la caméra. Une partie de mon métier consiste à « chasser le bruit », qui correspond à tout élément indésirable qui s’ajoute au signal lumineux. Il peut être d’origine électronique, thermique, mécanique, météorologique (turbulence…) Il peut aussi être lié à la pollution lumineuse issue de l’éclairage artificiel nocturne, qui empêche de détecter les signaux de très faible luminosité. Par chance, cette pollution lumineuse reste faible au pic du Midi : ici, le ciel est si pur qu’il a été labellisé Réserve internationale de ciel étoilé (Rice) par l’International Dark-sky Association.
02/10/2018. L'attente, encore…
Aujourd’hui, Julien Dubois, maître de conférences à l’Image et Vision Artificielle3, rejoint l’équipe. Il est spécialisé dans la conception de systèmes d’acquisitions et de traitements d’images en temps réel. Le brevet déposé pour la caméra HDR est né de discussions entre Julien et moi, il y a déjà un an et demi. Julien est de fait le coïnventeur de la méthode de reconstruction HDR intégrée sur la caméra. Cette collaboration m’a offert une relation rare et privilégiée avec Julien et les membres du labo, ouvrant sur nombre de nouveaux sujets et projets.
Les prévisions pour la nuit annoncent que le vent sera encore présent sur le pic. Pour l’heure, des nuages lenticulaires, nuages stationnaires qui doivent leur nom à leur forme de lentille optique (ou de soucoupe volante), s’amassent sur les sommets environnants. La visibilité de nuit est à nouveau moyenne et c’est a priori la nuit de demain qui sera idéale au niveau des conditions météorologiques.
03/10/2018. Les observations merveilleuses
Malgré les cumulus qui accrochent le pic, la météo prévoit une nuit belle et dégagée, idéale pour nos observations. Le ciel finit par se découvrir complètement : la mer de nuages est sous le pic et un bleu immaculé se déploie au-dessus. L’excitation monte…
À 19 heures, François pointe Jupiter, juste à côté du Soleil. L’atmosphère est encore très instable, l’image n’est pas très bonne. Encore un peu de patience et d’attente… À 19 h 30, Saturne est positionnée dans le champ de la caméra. L’image captée est de bonne qualité, très nette par moments, la turbulence chute ! J’enregistre. Après quelques minutes passées à affiner la mise au point, les résultats sont très satisfaisants, le rendu non traité est déjà très net et plein de détails.
Les milliers d’images s’accumulent sur le disque dur au rythme de 24 par seconde. Ce n’est pas si rapide : la prochaine version de ma caméra (en cours de développement) pourra en capturer plus de 250 par seconde. Les images HDR de Saturne sont belles : tout en laissant la visibilité sur les nuances de la planète et ses anneaux, de faibles objets sont révélés en arrière-plan, essentiellement des étoiles du fond galactique et une partie du cortège de ses satellites. À 20 h 48, un satellite entre dans le champ et paraît s’approcher de l’anneau externe. François essaie de trouver lequel c’est, d’après les éphémérides… Aucun candidat ne semble possible. En fait, il s’agit d’une étoile en arrière-plan qui s’apprête à être occultée par les anneaux de Saturne. Nous vivons en direct un moment rare : la caméra parvient à capter l’instant où l’étoile apparaît, disparaît, réapparaît, au gré de son passage derrière les anneaux.
À 21 h 15, c’est au tour de Mars d’avoir les honneurs et, malgré une multitude de détails qui apparaissent en direct, François n’est pas tout à fait satisfait. La turbulence n’est pas idéale. Après la pause dîner (de 23 heures à minuit), François vise Uranus qui navigue actuellement à près de 3 milliards de kilomètres de la Terre. Elle ressemble à une petite bille, un peu aplatie, entourée de ses principaux satellites : Ariel, Umbriel, Titania, Obéron… reste Miranda trop faible pour être visible ce soir. Nous arrivons néanmoins à saisir quelques nuances de son atmosphère.
À 2 heures du matin, nous orientons le télescope vers la nébuleuse d’Orion. Une « carte du ciel » informatisée nous aide à situer précisément le « minuscule » champ d’étoiles, dans cette région qui en fourmille. Les images sont très bonnes et laissent apparaître un nombre incroyable de ces astres en gestation, habituellement cachés dans le visible par leur cocon de poussières interstellaires.
Vers 5 h 30, nous allons nous coucher satisfaits et surtout impatients d’analyser les résultats après quelques heures de sommeil.
04/10/2018. Sirius B, l’étoile mythique, fait son apparition
Vers 19 h 15, François pointe Saturne avec le télescope. L’observation de la planète sur trois jours à la même heure devrait permettre de suivre l’évolution de la tempête qui sévit actuellement dans ses hautes latitudes. L’image est d’excellente qualité, encore bien supérieure à la nuit précédente.
À 22 h 15, François oriente le télescope vers Mars. L’image captée est très bonne également. Il est même possible de voir les satellites de la planète, Deimos et Phobos sur la même image que Mars. Pendant les acquisitions, je fais travailler mon ordinateur à son maximum pour traiter une des séquences de Mars que nous venons d’acquérir… Elle est superbe ! C’est incroyable de vivre ce moment en direct : nous distinguons même, sans traitement, Olympus Mons, la chaîne des 3 volcans, la calotte glaciaire, les « canaux » (qui n’en sont pas). Puis à 1 h 15, c’est au tour d’Uranus d’apparaître sur la même image que tous ses principaux satellites, même Miranda, encore invisible hier. C’est fascinant…
François, qui était parti se reposer, revient frais et disponible à l’heure où je pensais trouver un peu de quiétude. Il souhaite pointer le cœur d’Orion. Je ne peux pas refuser une telle opportunité, je dormirai plus tard. D’autant que le programme s’étoffe encore : après Orion, à 5 h 15, direction Sirius, l’étoile la plus brillante du ciel.
L’objectif est de détecter Sirius B, son compagnon, une petite étoile, naine blancheFermerÉtoile extrêmement dense, peu lumineuse, d’un rayon proche de celui de la Terre. toute proche, qui orbite en moins de cinquante ans. Nous y parvenons : Sirius B est dans l’image, proche de Sirius ! Elle est noyée et presque cachée par le flot de lumière incroyable de l’étoile principale, mais la caméra s’en sort et révèle le couple grâce à sa très haute dynamique.
En terminer ainsi pour cette nuit est symbolique, car Sirius est une étoile spéciale. Elle était un repère pour différents peuples, des Dogons d’Afrique aux Chinois, en passant par les Grecs et les Romains. Pour les Égyptiens de l’Antiquité, en apparaissant au début de l’été elle était le signe annonciateur des fortes chaleurs. Comme elle était l’étoile la plus brillante de la constellation déjà appelée le Grand Chien ou Canis Major, le terme « canicule » vient de là.
05/10/2018. La fin n’en est pas une
La dernière nuit consiste essentiellement à refaire des images de Saturne et de Mars. Comme les conditions continuent à être propices, j’engrange un maximum de données pour avoir un rendu optimal. En comparant les images de Mars de ce soir et d’hier soir, on voit le mouvement que la planète a opéré en 24 heures et des aspects d’elle qui diffèrent : Olympus Mons est passé dans l’ombre de la planète et la chaîne des trois volcans de Montes Tharsis s’est rapprochée du terminateur, zone de séparation entre le jour et la nuit. C’est beau, c’est précis… et c’est émouvant. La perspective de la planète Mars que j’ai sous les yeux fait montre d’une précision et de détails que je n’avais jamais vus et qui me laissent rêveur.
Elles sont magnifiques aussi, les images que je ramènerai de Saturne. Ça tourne, l’heure, et aussi les planètes. Tout vient à point à qui sait attendre… et éteindre. Comme lors de mes précédentes missions ici, au pic du Midi, il a fallu patienter pour que les conditions d’observation deviennent idéales. J’ai eu la chance qu’elles s’installent pendant trois bonnes nuits, ce qui n’est pas toujours le cas ! Beaucoup de données sont enregistrées sur les disques durs, prêtes à être regardées et analysées. Débrancher la caméra, la démonter… Pour la remonter plus tard. En constante évolution, elle intéresse pas mal d’acteurs dans le monde de l’astronomie. À terme, grâce à son économie de ressources et à ses images toujours plus détaillées, elle pourrait même être embarquée à bord de sondes spatiales… Une chose est sûre : d’autres tests me ramèneront très vite ici. ♦
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Auteur
Au Laboratoire de physique de l’École normale supérieure de Paris1, David Darson travaille entre autres sur une caméra infrarouge HDR (à très haute dynamique) ayant notamment des applications en astronomie.
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Commentaires
"Par chance, cette pollution
Challéat le 18 Janvier 2019 à 15h00Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS