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Sandra Lavorel, une écologue au sommet
« On n’a aucune chance de résoudre la crise climatique actuelle si on ne travaille pas en proximité avec les gens. » Ce qui frappe d’emblée chez Sandra Lavorel, lauréate de la médaille d’or du CNRS 2023, c’est à la fois son amour de la nature et le profond respect qu’elle a pour son prochain. Elle passe d’ailleurs une bonne partie de son temps à faire dialoguer, fine ambassadrice, les humains avec les éléments. « C'est une pionnière, au moins en France et en Europe, du travail à l'interface entre sciences de la nature et sciences humaines et sociales, confirme Éric Garnier, du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive1 (Cefe) de Montpellier, avec qui elle a travaillé dans le passé. Elle est incroyablement brillante. »
Directrice de recherche à l’université Grenoble-Alpes, elle est spécialiste d’écologie fonctionnelle, c'est-à-dire du fonctionnement des écosystèmes et des services qu’ils sont susceptibles de rendre aux sociétés humaines. « Un écosystème peut par exemple fournir de la nourriture, des combustibles, des matériaux, mais aussi réguler le climat en stockant du carbone, nettoyer les eaux, assurer la pollinisation des cultures, etc., détaille l’experte. Il offre aussi des avantages plus culturels : un beau paysage, comme une prairie fleurie par exemple, invite à la contemplation et procure un sentiment de bien-être. » Sandra Lavorel consacre spécifiquement ses recherches à l’étude de l’impact du changement climatique et de l’exploitation des sols sur ces contributions de la nature aux humains. Son terrain de jeu favori : la montagne, et plus particulièrement, la vallée de la Haute-Romanche, au-dessus de Grenoble, où elle mime les effets du réchauffement climatique sur les prairies alpines.
Une pionnière de l'écologie fonctionnelle
Sa carrière d'écologue commence à la fin des années 1980. Après un bac mention très bien et deux ans de classes préparatoires scientifiques, elle décroche un diplôme d'ingénieur agronome2. « Je suis ravie d'avoir démarré mon cursus avec cette formation, qui m'a non seulement initiée à l’écologie et la biologie, mais également aux sciences sociales », se félicite-t-elle. Ce premier bagage hybride en poche, la chercheuse poursuit son parcours avec une thèse de doctorat en écologie et sciences de l’évolution à l’université de Montpellier 2. Quand elle soutient sa thèse en 1991, l’écologie fonctionnelle commence tout juste à émerger en tant que discipline.
« Durant mon postdoc de trois ans à Canberra, en Australie, j’ai eu la chance de travailler auprès de chercheurs qui classaient les plantes non pas selon leur identité, mais d’après leurs fonctions. Ce, dans le but de modéliser des écosystèmes entiers et d’analyser leur réponse au changement climatique. C’était une première », se souvient Sandra Lavorel. Et une réelle source d’inspiration pour l’écologue qui a l’idée, avec des collègues, de déployer cette méthode d’écologie fonctionnelle en Europe, à l’échelle locale, pour suivre l’évolution des fonctions d’un écosystème selon l’exploitation des sols, le changement climatique, l’essor des espèces invasives…
La montagne pour terrain de jeu
On comprend pourquoi Éric Garnier dit qu’elle a « une capacité de détection et de synthèse des idées, courants, disciplines, hors du commun ». Ses travaux pionniers, elle les mène dès 1994 sur les écosystèmes méditerranéens, au Cefe où, à peine rentrée du bout du monde, elle obtient son premier poste CNRS. « C’était très intéressant et formateur, mais mon truc à moi, c’est la montagne. Je le sais depuis que j’ai effectué des stages de jeunesse dans les parcs nationaux du Mercantour ou des Écrins. Mon terrain de jeu, c’est ça ! » déclare-t-elle en pointant fièrement l’image, affichée derrière elle, de la vallée de la Haute-Romanche où de nombreux sommets frôlent les 4 000 mètres.
« Quand je suis arrivée en 2003 au Laboratoire d’écologie alpine3 (Leca) de Grenoble, le CNRS m’a donné les moyens de monter une équipe, et j’ai fait décoller la thématique de l’écologie fonctionnelle », souligne Sandra Lavorel. Pour déterminer comment évoluent les écosystèmes et les services qu’ils rendent aux humains, il faut d’abord les connaître précisément. Avec ses collègues, la chercheuse s’attelle donc à modéliser ultra finement des pans entiers de territoires alpins : « il s’agit de cartographier les différents milieux, de répertorier plantes, insectes, animaux et les services qu’ils rendent aux humains, de mesurer le stockage des nutriments par les feuilles, le taux de pollinisation, etc. Puis d’entrer toutes ces données dans des modèles statistiques informatiques ».
Une fois le terrain de jeu appréhendé dans les moindres détails, il ne reste plus qu’à faire varier les paramètres. Comprenez : à accélérer le changement climatique, pour mieux mesurer son impact sur les écosystèmes et les services qu’ils rendent à nos communautés. Pour ce faire, Sandra Lavorel a mis en place plusieurs projets innovants. Avec ses collègues du Leca par exemple, elle réchauffe, assèche ou déneige des parcelles entières de ses montagnes bien-aimées à la station scientifique du Lautaret, située juste au-dessous du col rendu célèbre par le Tour de France. « Sandra aurait pu se "contenter" d'être une brillante écologue. Mais elle a fait le choix de sortir de sa zone de confort et de s'intéresser aux contributions de la nature aux sociétés locales dans les Alpes, souligne Isabelle Arpin, l’une de ses collègues proches à l’Inrae. Elle a en particulier développé des relations de confiance avec les acteurs de la vallée de la Haute-Romanche, et notamment avec les acteurs agricoles. Elle travaille avec eux depuis vingt ans, ce qui nécessite une grande persévérance, et beaucoup de diplomatie et d'humilité. »
Réconcilier les hommes avec leur environnement
Les gens, évidemment. L’une des contributions majeures de Sandra Lavorel à la discipline, c’est en effet d’avoir réussi à mesurer précisément l’impact de l’utilisation des sols, par les habitants, sur les écosystèmes et les services qu’ils rendent à cette même communauté. Pour ce volet de ces recherches aussi, elle a développé des méthodes inédites. « Afin de déterminer comment exploiter les sols tout en préservant les services écosystémiques, nous impliquons les premiers intéressés, c'est-à-dire les acteurs locaux : les agriculteurs, mais aussi les instances départementales, les agences de planification urbaines, le ministère en charge de l'environnement, détaille-t-elle. Avec eux, nous organisons régulièrement des ateliers au cours desquels chacun s’exprime sur ses contraintes et ses souhaits. Notamment grâce à des jeux de plateau de notre conception, nous réfléchissons ensemble à l’impact de telle ou telle pratique : que se passe-t-il si l’on fertilise un peu moins, si on arrête de faucher, si l’on plante des arbres, si l’on pratique une agriculture extensive plutôt qu’intensive… Ces échanges réguliers avec les gens, ce travail sur le terrain, c’est capital pour mes recherches. » À n’en pas douter l’une des clés de leur succès.
Au fil de sa carrière, Sandra Lavorel a publié plus de 300 articles dans des revues de référence, compte parmi les auteurs les plus cités de son domaine et, avant que la médaille d’or du CNRS ne lui soit décernée, elle était déjà lauréate de 14 prix prestigieux. En résumé, dixit Isabelle Arpin : « Elle a joué un rôle essentiel dans l’essor de l’écologie fonctionnelle en France et à l’échelle internationale. » Pas étonnant donc qu’elle se soit vu confier le pilotage des évaluations de la biodiversité au niveau national (Évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques) comme au niveau international. En effet, entre 2018 et 2022, elle a été membre du comité interdisciplinaire de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), rien d’autre que le Giec de la biodiversité, pour lequel elle a co-édité le rapport paru en 2021.
« Je suis désormais engagée dans la rédaction du prochain rapport de l’IPBES, à paraître en 2024, et orienté non plus sur les simples constats, mais sur les solutions à mettre en place pour préserver les écosystèmes et les nombreux services qu’ils nous rendent », explique-t-elle. Qu’elle rédige d’expertes synthèses au niveau mondial, qu’elle invente d’ingénieux jeux de plateau ou qu’elle imite les éléments, Sandra Lavorel œuvre finalement pour la même cause : réconcilier les hommes avec leur environnement. ♦
Commentaires
on ne pourra JAMAIS sauver
DENISE le 19 Mars 2024 à 13h57Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS