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L’écriture inclusive par-delà le point médian

L’écriture inclusive par-delà le point médian

05.02.2024, par
La langue inclusive est l’objet de vives polémiques, mais aussi de travaux scientifiques qui montrent que son usage s’avère efficace pour réduire certains stéréotypes induits par l’usage systématique du masculin neutre.

Où sont les femmes dans une langue où le genre masculin peut désigner à la fois le masculin et le neutre générique universel ? En effet, si vous lisez ici : « Les chercheurs s’intéressent aux discriminations de genre », comprenez-vous « chercheurs » en tant que « les hommes qui contribuent à la recherche » ou comme « les personnes qui contribuent à la recherche » ? Impossible de trancher.

Sharon Peperkamp, chercheuse au sein du Laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique1 explique : « Il existe une asymétrie linguistique en français où le genre masculin est ambigu et peut être interprété de deux manières, soit comme générique – incluant des personnes de tous genres, soit comme spécifique, incluant uniquement des hommes. Or, on sait depuis longtemps que ce phénomène peut induire un biais masculin qui peut avoir a des conséquences sur les représentations. » Partant de ce postulat que les usages langagiers participent aux représentations sociales, les psycholinguistes ont voulu vérifier dans quelle mesure une modification contrôlée de ces usages, notamment par le recours à des tournures dites « inclusives », pouvait affecter certains stéréotypes de genre.

L’inclusivité, la langue française connaît déjà !

Un large mouvement a été engagé il y a déjà plusieurs décennies pour reféminiser les usages de langue et la rendre plus égalitaire, à travers l’usage de ce qu’on qualifie aujourd’hui d’ « écriture inclusive ». Mais cette dernière fait polémique. Des controverses qui se sont invitées jusqu’au Sénat : le mercredi 25 octobre 2023, la Commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport a adopté la proposition de loi visant à interdire l'usage de l'écriture inclusive. Les parlementaires ont en effet estimé « que l'impossibilité de transcrire à l'oral les textes recourant à ce type de graphie gêne la lecture comme la prononciation, et par conséquent les apprentissages ». Jugeant, en outre, que « l'écriture inclusive constitue, plus généralement, une menace pour la langue française ». Cependant, si tous les regards sont tournés vers l’écrit et plus précisément vers le point médian, cet aspect-là ne constitue qu’une infirme partie des nombreuses stratégies linguistiques proposées pour rendre la langue moins sexiste, tant à l’oral qu’à l’écrit.

Des jeunes militants du syndicat étudiant UNI échangent autour d'affiches contre l'écriture inclusive lors de la première journée du Campus des Jeunes LR ( Les Republicains), à Valence, dans la Drôme, en octobre 2023.
Des jeunes militants du syndicat étudiant UNI échangent autour d'affiches contre l'écriture inclusive lors de la première journée du Campus des Jeunes LR ( Les Republicains), à Valence, dans la Drôme, en octobre 2023.

Dans son guide « Pour une communication publique sans stéréotype de sexe », publié en 2022, le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) définit ainsi le langage égalitaire (ou non sexiste, ou inclusif) comme « l’ensemble des attentions discursives, c’est-à-dire lexicales, syntaxiques et graphiques qui permettent d’assurer une égalité de représentation des individus ». Il signale que « cet ensemble est trop souvent réduit à l’expression “écriture inclusive”, qui s’est imposée dans le débat public mais qui ne devrait concerner que les éléments relevant de l’écriture (notamment les abréviations) ». Nous adopterons donc ici l’expression « langage inclusif » ou « langue inclusive » pour désigner les usages oraux et écrits qui permettent d’exploiter les ressources linguistiques à notre disposition pour noter les différents genres.

Aujourd’hui, on reféminise la langue française parce qu’elle a été masculinisée. (...)  Tous les noms féminins de métiers, de fonctions sont là depuis toujours – sauf évidemment s’ils correspondent à des activités nouvelles. 

« Ce n'est pas la langue française qui est sexiste, ce sont ses locuteurs et locutrices. Qui ne sont pas responsables de ce qu'on leur a mis dans la tête, mais de ce qu'elles et ils en font », affirme Éliane Viennot, professeure émérite de littérature. Ce que nous faisons aujourd’hui, c’est que l’on reféminise la langue. On ne la féminise pas, on la reféminise parce qu'elle a été masculinisée. En fait, il s’agit de la faire fonctionner comme elle sait faire. Tous les noms féminins de métiers, de fonctions sont là depuis toujours – sauf évidemment s'ils correspondent à des activités nouvelles. »

Et de poursuivre : « Les accords égalitaires sont là. Depuis le latin, nous savons faire des accords de proximité ou des accords de majorité. Nous savons utiliser d'autres termes pour parler de l'humanité que le mot “homme”. Nous savons faire des doublets – il y en a plein les textes anciens, notamment les textes réglementaires. C'est une question de justesse, ce n'est pas une question de féminisme. Nos ancêtres n'étaient pas plus féministes que nous ; simplement, ils utilisaient leur langue comme elle s'est faite, comme elle est conçue pour le faire ».

Le langage inclusif en pratique

De fait, le français met à notre disposition différentes stratégies permettant une meilleure représentation des femmes et des minorités de genre dans ses usages. Il est possible de distinguer deux types de stratégies.

D’une part, les stratégies dites « neutralisantes ». « Il s’agit, non pas d’utiliser du neutre tel qu’il est présent dans la langue aujourd’hui – puisque ce neutre est pensé comme masculin, mais de retrouver du neutre, de retrouver du commun », expose Eliane Viennot. Cela passe notamment par le recours à des termes épicènes, c’est-à-dire des termes qui ne varient pas en fonction du genre comme « scientifique », « architecte », « artiste »… ou encore le pronom « iel » qui est employé pour définir une personne quel que soit son genre (« les architectes ont reçu des appels à projet auxquels iels peuvent répondre »).

Cours de grammaire dans une classe de 6e au collège Charles Peguy (Le Chesnay, Yvelines).
Cours de grammaire dans une classe de 6e au collège Charles Peguy (Le Chesnay, Yvelines).

Cela passe aussi par l’usage de mots génériques tels que « personnes » ou « individus ». Également par des formules englobantes avec des singuliers collectifs : « l’équipe » (plutôt que « les salariés »), « l’orchestre » (plutôt que « les musiciens »), « la population étudiante » (plutôt que « les étudiants »), « bonjour tout le monde » (plutôt que « bonjour à tous »). Ou encore par des tournures en apostrophe (« Vous qui lisez cet article » au lieu de « Chers lecteurs ») et autres reformulations, avec, par exemple, le recours à des formulations passives : « L’accès à la bibliothèque est libre » plutôt que « Les utilisateurs ont librement accès à la bibliothèque »).

Exemple d'écriture inclusive avec points médians.
Exemple d'écriture inclusive avec points médians.

D’autre part, les stratégies dites « féminisantes », qui reposent notamment sur la féminisation des noms de métiers, de fonctions et de qualités : « professeur » = « professeure » ; « Madame le directeur » = « Madame la directrice » ; « L’écrivain Virginie Despentes » = « L’écrivaine Virginie Despentes ». Autre exemple, la double flexion, également appelée « doublet », qui consiste à décliner à la fois au féminin et au masculin les mots : « les lecteurs de cet article » = « les lecteurs et les lectrices de cet article » ; « les auditeurs peuvent nous écrire à cette adresse » = « les auditeurs et les auditrices peuvent nous écrire à écrire à cette adresse ».

Ces stratégies féminisantes englobent aussi les points médians (préférés aux barres obliques et aux parenthèses), qui sont des abréviations de la double flexion : « les lecteur·ices de cet article » ; « Les auditeur·ices », etc. À l’oral, à l’instar des abréviations comme « Dr » ou « Mme » que tout le monde lit « docteur » et « madame », ces termes se prononcent simplement « les lecteurs et les lectrices » ou les « auditeurs et les auditrices » (plus rarement « les lecteurices »; « les auditeurices »). 

On y trouve également des modalités d’accords grammaticaux qui permettent de bannir la règle selon laquelle « le masculin l’emporte sur le féminin ». Les accords de proximité, ou accords de voisinage, qui consistent en l’accord de l’adjectif, du déterminant et/ou du participe passé en genre avec le nom qui se situe au plus proche et qu’il qualifie. Par exemple : « Les auditeurs et les auditrices sont priées d’écrire à cette adresse »; « Les policiers et les policières sont prêtes à intervenir ». Et les accords de majorité, qui consistent à accorder l’adjectif, le déterminant et/ou le participe passé avec le terme qui exprime le plus grand nombre, par exemple : « Les éditrices et l’écrivain se sont mises d’accord sur le titre du livre ».

Si le recours à ces différentes stratégies constitue un marqueur social et culturel pour le ou la locutrice, il est loin de ne relever que de la simple posture et produit des effets concrets qui font l’objet de nombreux travaux de recherche.

Pour le cerveau, le masculin n’est pas neutre 

Des psycholinguistes se sont ainsi penchés sur les différences entre usage du masculin générique, des formules neutralisantes et des formulations féminisantes comme l’usage d’un pronom ou d’un article féminin et la double flexion pour dire les noms de métiers et de fonctions.

Des études ont montré que les femmes sont davantage susceptibles de postuler à des annonces d’emploi dans lesquelles l’écriture inclusive est utilisée.

C’est notamment le cas de Sharon Peperkamp2 : « Nous avons fait lire à nos sujets un court texte portant sur un rassemblement professionnel et leur avons demandé d’estimer le pourcentage d'hommes et de femmes présents à ce rassemblement. Lorsqu’il s’agissait d’une profession non stéréotypée – c’est-à-dire exercée de manière égale par des hommes et des femmes – et lorsque nous avions recours au masculin dit “générique”, les sujets sous-estimaient la proportion de femmes dans le rassemblement. En revanche, lorsque nous utilisions une double flexion, les sujets estimaient un ratio correspondant au ratio effectif dans la société. »

La chercheuse poursuit : « Lorsqu’il s’agissait d’une profession stéréotypiquement masculine, et que la double flexion était utilisée, la proportion de femmes par rapport à la réalité était en revanche surestimée. » Pour cette psycholinguiste, ces résultats confirment que « il est faux de dire que le langage inclusif ne sert à rien. Il permet au contraire de donner un vrai boost à la visibilité des femmes et permet d’attirer davantage d’entre elles dans des filières supposées masculines. » Elle rappelle, en outre, que des études ont montré que les femmes sont davantage susceptibles de postuler à des annonces d’emploi dans lesquelles l’écriture inclusive est utilisée.

De son côté, Heather Burnett, chercheuse CNRS au Laboratoire de linguistique formelle3, a travaillé sur les différences de représentation engendrées par l’usage d’un article au masculin dit « générique » et d’un article au féminin sur les noms de métier épicènes4 : « L’usage du masculin générique, supposé neutre, engendre un biais masculin. Alors, le masculin est interprété comme référant aux hommes. » Par exemple, « le journaliste » est compris comme un homme exerçant la profession de journaliste.

Campagne de recrutement de conducteurs et conductrices de bus pour la RATP, Paris, Novembre 2022.
Campagne de recrutement de conducteurs et conductrices de bus pour la RATP, Paris, Novembre 2022.

C’est aussi ce qu’ont mis en évidence, dans une étude parue en septembre 20235, les psycholinguistes Elsa Spinelli, Jean-Pierre Chevrot et Léo Varnet6. Ce dernier expose : « Nous avons utilisé un protocole expérimental permettant de détecter des différences fines concernant le temps de réponse du cerveau pour traiter le genre des mots. Lorsqu’un nom épicène non stéréotypé est utilisé avec un article également épicène (par exemple “l’otage”ou “l’adulte”), les participants ont largement tendance à l’interpréter comme masculin. Autrement dit, notre cerveau n’interprète pas le masculin comme neutre ». Suivant le même protocole, l’équipe s’est ensuite penchée sur l’usage du point médian. Pour Léo Varnet, les conclusions sont très claires : « L’usage du point médian permet de supprimer le biais de représentation vers le masculin. »

On constate par ailleurs que l’écriture inclusive peut parfois rallonger le temps de lecture. Ce qui est normal pour Heather Burnett : « Les mots les plus courts et les plus fréquents sont simplement lus plus rapidement ». De son côté, Léo Varlet souligne que si le point médian ralentit un peu la lecture au début d’un article, les sujets s’adaptent et retrouvent rapidement leur rythme de lecture habituel.

Ces travaux, les tout premiers s’appuyant sur des expériences contrôlées de psycholinguistique et menés avec des sujets francophones, n’épuisent certainement pas le débat scientifique sur les effets cognitifs du langage inclusif. Mais ils indiquent clairement que le recours à certaines tournures inclusives – en particulier dans des stratégies dites « féminisantes » (re)mobilisant des ressources présentes depuis longtemps dans la langue française –, a bien l’effet pour lequel il est préconisé : réduire les stéréotypes de genre et augmenter la visibilité des femmes.♦

Notes
  • 1. Unité CNRS/EHESS/ENS-PSL.
  • 2. Xiao, H., Strickland, B. & Peperkamp, S. (2023). “How Fair is Gender-Fair Language? Insights from Gender Ratio Estimations in French”, Journal of Language and Social Psychology, 42(1), 82-106. https://doi.org/10.1177/0261927X221084643
  • 3. Unité CNRS/Université Paris Cité.
  • 4. Richy, C. et Burnett, H., « Démêler les effets des stéréotypes et le genre grammatical dans le biais masculin : une approche expérimentale », GLAD! (2021), https://doi.org/10.4000/glad.2839
  • 5. Spinelli E., Chevrot J-P., Varnet L., (2023), Neutral is not fair enough: testing the efficiency of different language gender-fair strategies, Frontiers in Psychology, https://doi.org/10.3389/fpsyg.2023.1256779
  • 6. Chercheur CNRS au Laboratoire des systèmes perceptifs, unité CNRS/ENS-PSL.

Commentaires

4 commentaires

Merci pour cet article passionnant. Quelques précisions sur un point de droit, mais un point important, au sujet de la proposition de loi du Sénat : il est très important de rappeler que ni le Sénat, ni aucune autre institution en France n'ont le pouvoir "d'interdire" tel ou tel mot ou tournure de langage à l'ensemble de la population. Ce serait une très grave remise en cause de la liberté d'expression. La proposition de loi de Pascale Gruny, dont le texte initial se présente pourtant comme une proposition "visant à interdire l’usage de l’écriture inclusive", emploie un titre abusif, qui a été hélas amplement repris tel quel dans les médias. En effet, quand on lit le détail du texte, on voit qu'il consiste à ajouter des articles à la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française. Or cette loi ne régente pas l'emploi du français dans tout le pays ! Elle concerne les textes administratifs et juridiques ainsi que la publicité. C'est déjà très contraignant, et cela pose des questions éthiques en termes de respect des idéaux républicains par les institutions françaises mais aussi de respect de la liberté d'engagement éthique des entreprises. Mais cette loi n'a nullement le pouvoir d'interdire le recours à ces tournures à tou-te-s les citoyen-ne-s dans tous les contextes. À toutes fins utiles, je rappelle aussi que l'Académie française n'a pas le pouvoir d'interdire quoi que ce soit : elle se contente de fournir des recommandations sur le bon usage de la langue française. Par exemple, les mesures souvent présentées comme une "réforme de l'orthographe" constituent au départ une série de propositions de "rectifications" (ce qui n'est pas une réforme, au sens juridique du mot : la langue n'est pas une loi qu'on pourrait réformer). Ces rectifications ne sont pas obligatoires et l'Académie a bien précisé que les formes adoptant l'orthographe antérieure ne sont pas à considérer comme fautives. En 2008, le gouvernement a promu ces rectifications en les incluant dans le Bulletin officiel de l'Éducation nationale hors série n°3 du 19 juin 2008, où l'on apprend dans un coin que ces rectifications font référence. Mais leur application n'a rien de systématique. Lors de la réforme du collège en 2016, le gouvernement a beaucoup promu ces rectifications et les a largement présentées comme une réforme obligatoire, ce qui pose fortement question en termes de droit et a valu un rappel, sceptique, de l'Académie française elle-même, qui a constaté que ces rectifications restaient peu usitées. Bref, on parle comme on veut et rien ne peut nous empêcher d'utiliser — ou de ne pas utiliser — telle ou telle forme ou tournure d'écriture inclusive. Seul l'usage tranchera, avec le temps. En ce qui me concerne, c'est très bien ainsi...

Vous passez très rapidement sur l'abréviation de la double-flexion, qui me semble ainsi très sous-estimée. Le "tout le monde lit" me semble très rapide. Tout d'abord il ne me semble non seulement pas clair qu'il y ait une absolue évidence pour des usages pourtant relativement courants et installés, et cette convention fait partie d'un apprentissage supplémentaire. Ensuite les formes "Mme" ou "Dr" sont bien définies, tandis que l'abréviation dont vous parlez dans ce paragraphe est dynamique où chaque mot a sa propre flexion et sa propre abréviation... je veux bien croire que "toute le monde" maîtrisant la lecture puisse s'y retrouver rapidement, mais pas "tout le monde" tout court : un apprentissage spécifique serait sans doute nécessaire. Enfin vous apportez très rapidement une solution bien plus simple et viable à la fin : la forme "lecteur·ices" ne semble pas à première vue très efficace par rapport à "lecteurices" qui se lit et écrit très facilement. Ce que je vois ici comme une "solution", de manière peut-être abusive mais c'est justement le point de départ d'une discussion, ne me semble pas être de l'ordre d'une féminisation mais d'une neutralisation : il y aurait ainsi le mot "lecteur", le mot "lectrice" et le mot "lecteurice" qui serait neutre. Pour être plus global, je suis un peu ennuyé par le débat sur la langue française quant à la féminisation. Je comprends tout à fait l'idée que cela permet de représenter dans la langue la différenciation sociale que nous faisons des hommes et des femmes. Cependant j'y vois justement un risque de systématiquement participer à cette différenciation. D'une part ça ne va pas dans le sens de certains qui revendiquent un certain flou à ce niveau, d'autre part si on donne l'impression de mettre fin à l'exclusion des femmes à un rôle marqué par le genre masculin il me semble que ce faisant on reste dans le domaine de l'injonction de genre, juste on ouvre celle-ci. Une injonction de genre moins restrictive qu'avant reste une injonction, je ne vois pas d'évolution qualitative. Ici aussi la neutralisation me semble plus efficace : une population avec des "auteurices" me semble ainsi désigner une communauté formée autour d'une activité et sans doute d'une compétence tandis qu'une population avec des "auteur·ices" ou " des auteurs et des autrices" me semble désigner deux communautés distinctes basées d'abord sur leur genre puis ensuite sur leur activité et leur compétence. Alors oui bien sûr ça peut correspondre à une partie des pratiques, volontés ou revendications, mais aussi en contradiction d'autres. C'est à dire que je ne vois pas conciliable la revendication d'être reconnue en tant que femme et la revendication de ne pas être reconnue en tant que femme ; il va falloir choisir. L'indistinction me semble personnellement une voie vers plus d'émancipation que la distinction, la lutte contre les injonctions de genre plutôt que l'élargissement de celles-ci... on peut débattre de la justesse de mon opinion, et on peut débattre de la justesse de lutter pour une émancipation, cependant j'ai l'impression qu'il y a une confusion de deux luttes contradictoires (une sorte de "convergence des luttes" qui ne semble avoir qu'un intérêt médiatique puisque profondément contradictoire et non juste une articulation ?). Faut-il absolument identifier ses interlocuteurices comme des femmes ou des hommes, est-ce si primordial ? A l'injonction "à quel pronom tu réponds"' la juste réponse ne serait-elle pas "tu" ? Et... je me pose la question sincèrement si en posant ce genre de question on ne cherche pas à deviner une orientation sexuelle définitive de l'autre, avec peut-être derrière le sous-entendu qu'une fois cette question réglée on pourrait ou non considérer l'autre comme une proie, comme si la réciprocité du désir pouvait se décider à l'avance. C'est une autre question, cependant encore une fois : pourquoi cherche-t-on d'abord à connaître le genre des gens à qui et dont on parle, quel intérêt, quelle est la motivation ?

Quand une idéologie se sent un peu fragile, elle appelle « la science » et la blouse blanche à sa rescousse. Cet article du Centre national (français) de la recherche scientifique sur « l’écriture inclusive par-delà le point médian » nous en donne une superbe illustration. Pourtant, et contrairement à ce qui y est doctement expliqué, le « genre masculin » n’a rien d’ambigu. Le genre est grammatical, il est soit masculin (ou neutre), soit féminin. Trois genres grammaticaux. Les personnes, elles, dans la vraie vie, sont soit hommes (mâles), soit femmes (femelles). Ultra-marginalement, leur sexe, constaté et certainement pas « assigné à la naissance ») est quelque peu brouillé, incertain. Deux sexes biologiques Trois genres (grammaticaux) / Deux sexes (biologiques). Il n’y a rien à discriminer, sauf à convoquer deux travers très humains, l’un consistant à vouloir se faire remarquer, ou plaindre, à tout prix ; l’autre à dénoncer, critiquer, écarter, exclure, pourchasser les gens qui ne sont pas comme « tout le monde ». L’autrice, qui, elle, tient absolument à démontrer l’existence de discriminations (et leur solution !), débute son article en « partant de ce postulat que les usages langagiers participent aux représentations sociale ». Sortons donc le Larousse : « Postulat : Proposition que l'on demande d'admettre avant un raisonnement, que l'on ne peut démontrer et qui ne saurait être mise en doute ». Elle nous précise bien ici qu’on part d’une idée non vérifiée, non démontrée, arbitraire donc, et qu’on va dérouler un fil de raisonnement à partir de cette idée, aux fins d’une démonstration. Soit un exercice du style : « Dieu le père existe, il a fait ceci et cela, donc vénérez dieu le père » (ou la mère si vous préférez, c’est tout pareil). Elle nous explique qu’une fois ce postulat admis, il s’agira de se doter d’un outil de « modification contrôlée ». Bonne chance pour le contrôle des conséquences d’une idée sans autre fondement que celui de l’affirmation gratuite (on n’est pas en mathématiques ici, ni en physique, mais en sociologie, soit sur un terrain ultra-changeant, mouvant et contradictoire dans l’espace et dans le temps (sauf à mettre pour l’éternité 15 gendarmes et 25 caméras de surveillance derrière chaque individu). « Féminiser les usages de langue » pour la rendre plus égalitaire, ça ne peut être qu’une excellente et fort sympathique idée. L’écriture « inclusive » que je qualifie pour ma part de « profondément excluante » est, par contre, une affaire sacrément différente. L’autrice nous montre alors du doigt la Commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport du Sénat, coupable d’avoir adopté une « proposition de loi visant à interdire l'usage de l'écriture inclusive » et estimant que « l'impossibilité de transcrire à l'oral les textes recourant à ce type de graphie gêne la lecture comme la prononciation, et par conséquent les apprentissages ». Et bien oui, et merci au Sénat ! Tout cela pour venir à la défense du « point médian » vers lequel « tous les regards sont tournés » alors qu’il ne constituerait « qu’une infirme partie des nombreuses stratégies linguistiques proposées pour rendre la langue moins sexiste ». Et, incidemment, le titre même de cet article. Mais si cette partie est si « infime », pourquoi y revenir, encore et encore, au point d’en faire un étendard ?.Pôôôvre point médian … quelle idée aussi, d’avoir absolument voulu réinventer l’eau tiède, comme aurait dit ma mère ? On avait déjà pour ce même but les parenthèses, utilisées avec parcimonie et intelligence. Elles suffisaient très largement, sans polémiques ni roulements de tambour, pour simplement signifier à des lecteurs supposés intelligents (et non par nature d’indécrottables machistes) que femmes et hommes étaient pris en considération. C’était unanime, discret et sans histoire (leur défaut peut-être ?) Pis … rendre la langue moins sexiste …. J’ai failli rougir. Le CNRS Osera-t-il un jour confondre aussi lexique et biologie et prétendre « genrer » la langue ? Distinguer la féminine de la masculine ? Alors que tout un chacun (et chacune) sait bien qu’au-delà des sons qu’elle permet d’émettre, elle peut servir à toutes sortes de choses fort sympathiques, dans toutes sortes de situations. « Ce n'est pas la langue française qui est sexiste, ce sont ses locuteurs et locutrices ». Merci de l’avoir dit ! Mais alors, pourquoi vouloir à tout prix la changer plutôt que les changer ? Pourquoi inventer des « iels », des « celleux », des « Mix », des « di », des « li », des « ouxces », des « trexes »)et autres incongruités ? Pourquoi faire entrer subrepticement, par la porte de derrière, une filiation fort hypothétique entre la « reféminisation » et « l’inclusion » ? Pourquoi confondre langue et idéologie ? Pour celles et ceux qui voudraient s’amuser un peu, voir, entre autres innombrables lexiques « inclusifs » : https://divergenres.org/wp-content/uploads/2021/04/guide-grammaireinclusive-final.pdf Pourquoi s’aventurer dans le marécage tels que « les architectes ont reçu des appels à projet auxquels iels peuvent répondre »). Pourquoi, de confusion en approximation, de dérive en glissade, faire avancer l’inclusivisme à marche forcée ? Après avoir argué que la langue française peut répondre bien facilement à l’obstacle de la masculinisation, pourquoi miner le chemin alors qu’il suffisait d’écrire « les architectes ont reçu des appels à projets auxquels la profession (et non pas “iels”) peut répondre » ? Tout le monde sait que les architectes, comme les pilotes d’avion, peuvent aujourd’hui être femmes ou hommes, que cela ne s’est pas fait sans surmonter nombre d’obstacles, mais sans jamais le moindre accroc à la langue. Cherchant désespérément à être convaincante, l’autrice avance alors les « mots génériques tels que “personnes” ou “individus” ». Oui, assurément, ce sont des mots précieux. Mais répéter 15 fois sur une même page « les personnes étudiantes », « les personnes professeures » ou « la personne leadeuse accompagnatrice » (je vous jure que je n’invente rien!), n’est-il pas plus lourd et indigeste que n’import quel « machisme » langagier? Quant aux « singuliers collectifs : « l’équipe » (plutôt que « les salariés »), « l’orchestre » (plutôt que « les musiciens »), « la population étudiante » (plutôt que « les étudiants »), « bonjour tout le monde » (plutôt que « bonjour à tous »)… nous savons tout cela et depuis fort longtemps ! Merci au CNRS de doctement nous rappeler le B-A BA de l’école primaire. Et elle revient (encore !) sur « l’infime partie » … sur ces « points médians (préférés aux barres obliques et aux parenthèses), qui sont des abréviations de la double flexion : “les lecteur•ices”; “les auditeur•ices”, etc ». L’infime partie semble décidément obsessionnelle ! Pourquoi diable ? Avez-vous remarqué que cette « stratégie » élimine systématiquement les femmes ? Le mot au masculin est d’abord et prioritairement épelé lettre après lettre, sans en oublier aucune, puis on le fait suivre de quelques « appendices » symboliques, un petit « e », un petit « s », un petit « ice », en y intercalant de bons gros points « médians » qui me semblent très « mé-disants ». Médisants envers les femmes, jusqu’à les faire disparaître. Totalement ! Une stratégie de mise en « visibilité » des femmes qui les avale, les efface jusqu’à les faire totalement disparaître, est-ce bien raisonnable ? Il ne suffit pas d’affirmer que « des études » ont prouvé le contraire. Il ne suffit pas de réciter des mantras, lorsque la réalité apparaît aussi clairement sous nos yeux, dans toute son incohérence. L’usage du point médian permet, d’abord et avant tout, l’occultation systématique des femmes. Pas l’inverse. Vient ensuit l’angoisse écolière de l’accord grammatical en genre et en nombre. Et la recherche d’accords dits « de proximité » ou « de majorité ». Pourquoi pas en effet ? Quoique les modèles proposés : « Les auditeurs et les auditrices sont priées d’écrire à cette adresse »; « Les policiers et les policières sont prêtes à intervenir » ; « Les éditrices et l’écrivain se sont mises d’accord sur le titre du livre » laissent un goût d’inachevé. Bien sûr, on peut tordre le bras de la règle grammaticale, comme dans ces exemples. Mais un zeste d’imagination et de connaissance du français aurait aussi permis de conserver la règle honnie tout en donnant pleine priorité aux femmes (au lieu de les effacer, comme on l’a vu plus haut). Par exemple, écrire : « Les auditrices et les auditeurs sont priés d’écrire à cette adresse », ou « L’équipe policière est prête à intervenir », ou encore « Les éditrices se sont mises d’accord avec l’écrivain sur le titre du livre ». Bref, je vais vous faire une confidence, ces petites astuces-là m’ont été apprises par les instituteurs de mon « école de garçons », laïque, gratuite, publique et obligatoire et nullement élitiste, bien au contraire, en France, quand j’avais 7-10 ans, il y a un peu plus de 60 ans, à une époque où personne, mais vraiment personne, ne parlait d’inclusion (mais où l’intégration des immigrants était la règle première). J’achèverai ce tour d’horizon avec un éclat de rire : « De son côté, Léo Varlet souligne que si le point médian ralentit un peu la lecture au début d’un article, les sujets s’adaptent et retrouvent rapidement leur rythme de lecture habituel. » Ce que je constate, moi, très régulièrement, dans mes travaux de révision linguistique, c’est l’incapacité des gens qui tentent d’imposer leur « écriture inclusive » à se plier à l’absurdité de leurs propres règles au-delà de deux ou trois pages d’écriture. Passé ce cap, ils (et elles bien évidemment) reprennent spontanément une écriture compréhensible par tout le monde et eux et elles-mêmes, tout en multipliant les erreurs d’accord, en accumulent les contradictions et les incohérences, bref …. À mission impossible, nul n’est tenu.

L'article traite plutôt de gloses et de conjectures que d'observations. L'idée de "déterminisme linguistique" est une légende académique post-romantique (fondée, entre autres, sur une théorie Sapir-Whorf très biaisée). D'autant que la féminisation des noms de professions, par exemple, est elle-aussi paradoxalement biaisée elle aussi (Voir "Parlez vous féministe?": http://www.exergue.com/h/2017-12/tt/parler-feministe.html).
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