Vous êtes ici
Depuis 2014, la grotte de Bruniquel, perdue dans les gorges de l’Aveyron, fait l’objet d’une nouvelle étude archéologique de la part d’une équipe pluridisciplinaire. L'objet de leur attention : une structure réalisée à base de stalagmites cassées et disposées en plusieurs cercles. Son étude est en train de révolutionner ce que l'on sait de Néandertal...
Sophie Verheyden, Paléoclimatologue
« Quand même, hein, on s’attendait pas à avoir des âges aussi anciens, hein ! »
Dominique Genty, Paléoclimatologue
« On n’avait aucune… aucune idée de cet âge si ancien… absolument aucune ! »
Jacques Jaubert, Archéologue
« Ouais, c’est énorme…! » (rires)
En 1990 des spéléologues de Caussade déblayent l’entrée d’une petite cavité obstruée par l’argile.
Une dernière étroiture est franchie, et au-delà ils découvrent une vaste galerie qui s’enfonce sous le Causse calcaire.
Michel : « Ah, tu vois, cette salle… avec son écho… oh ho!! »
Première surprise : de nombreuses bauges signalent que l'ours a hiberné ici dans un lointain passé. L'argile a conservé la trace des animaux.
Ils mettent en place un balisage pour préserver les sols argileux.
A 300 m de l'entrée, les voici dans une grande salle. Deuxième surprise : des stalagmites cassées ont été disposées en cercles. Cela ressemble à un barrage. Qui a pu faire ça ? Ils préviennent les archéologues et c’est François Rouzaud qui authentifie la découverte. Un foyer est repéré avec un os brûlé daté en 1992 d’au moins 47.600 ans, limite théorique de la datation au carbone 14. C’est une révélation. À cette époque, homo sapiens sapiens n’était pas encore arrivé en Europe. Si le foyer est contemporain de la structure, c’est l’œuvre de Néandertal.
20 ans ont passé quand Sophie Verheyden, géologue belge travaillant sur le paléoclimat, visite à son tour la grotte en 2012. Quand elle observe que de nouvelles concrétions se sont développées sur les anciennes, une idée jaillit :
Sophie : « Le but, c’est de dater le dessus des stalagmites utilisées dans la structure, et la base des stalagmites qui poussent sur la structure pour avoir une fourchette d’âge de la construction de la structure. »
Avec l’aval du service régional de l’archéologie de Midi-Pyrénées, une nouvelle équipe se met en place en 2014, codirigée par Jacques Jaubert, professeur de préhistoire à Bordeaux, et Sophie Verheyden.
Jacques : « Alors, les meilleures repousses ? »
Outre Michel Soulier, le noyau dur de l’équipe comprend également Dominique Genty, qui travaille au CEA/CNRS sur le paléoclimat.
Dominique : « Comme ça ! »
Jacques : « C’est un site qui est figé, comme s’il était glacé, nappé par un glacis de calcite, qui nous empêche d’avoir accès au sol d’origine… »
Jacques : « L’objectif principal, c’est d’essayer de comprendre cette structure, et surtout son âge. Le caractère structuré est à peu près indiscutable, mais son âge est vraiment très discuté. Un âge, c’est pas suffisant pour nos exigences… »
Sophie : « on va utiliser la méthode Uranium/Thorium… cette méthode là, elle peut aller jusqu’à 500 000… »
Jacques : « C’est notre seul espoir de dater cette structure. On est dans un contexte archéologique extrêmement particulier, une archéologie de l’extrême où il n’y a pas de vestiges ! Donc sans ces datations, on ne pourra pas aller plus loin. »
Imaginons le jour où cette concrétion a été brisée et déplacée. Les percolations d’eau du plafond apportent un peu de calcite. Lentement, une stalagmite repousse. La méthode uranium thorium permet de connaître l’âge de la cristallisation. En faisant une carotte qui prend à la fois la base de la nouvelle et une partie de l’ancienne, on obtient l’âge de la repousse. Une carotte prise à l’extrémité de la première concrétion permet de savoir quand elle cessé de croître. Ces deux dates encadrent l’événement qui nous intéresse c’est à dire quand les hommes ont cassé les concrétions et les ont agencées.
L’eau de pluie contient un tout petit peu d’Uranium 234, un élément radioactif instable, qui se fixe dans la calcite. Au fil du temps, il se désagrège en Thorium 230. Le rapport entre les deux donne la date.
Sophie : Oh, joli… !
Edouard : On l’a bien, là !
Sophie : « Donc là, voilà, ça c’est la structure, c’est toutes les carottes qui ont été prises. »
Prenons la 7e concrétion de la structure B. On en a carotté la base d’une repousse et son extrémité, recouverte elle aussi d’une couche de calcite plus récente. A l’œil, on voit la différence entre l’ancienne concrétion, de couleur sable, et les cristallisations récentes, plus translucides. L’ancienne concrétion sous la repousse affiche l’âge de 224.000 ans. Le début de la repousse est lui daté de 177.900 ans. A l’extrémité, la nappe de calcite qui a recouvert le tout a 175.200 ans. L’intervention des hommes se situe vers cette date… Si on prend l’ensemble des échantillons, et que l’on fait la moyenne pondérée des âges, en tenant compte de leurs incertitudes, on arrive à un âge très précis pour la structure de 175.900 ans.
Jacques : « Comme c’est un objet d’étude qui n’a pas d’équivalent, il faut mettre en place une équipe avec des compétences qu’on n’a pas trop l’habitude de croiser.
C’est quelque chose de très construit, d’assez complexe, or par rapport à la date, voilà, on n’est même pas sur Néandertal, on est sur des Néandertaliens très anciens… On sait pas ce qu’on peut faire sur un site comme ça. Une fois qu’on a les datations, bon, ok, ça a 180 000 ans, 175 000 ans, mais maintenant qu’est-ce qu’on en fait ? On va faire un travail, on va dire à distance, ce qu’on appelle non invasif, on va essayer de préciser encore des éléments de cette construction, mais on va pas la démonter. »
Le mystère de Bruniquel est loin d’être résolu. Une structure unique au monde, construite avec 400 morceaux de stalagmites brisées, totalisant plus de 2 tonnes, et mesurant bout à bout 112 mètres. Une grotte fréquentée aussi par les ours des cavernes. La nouvelle étude ne fait que commencer, comme une enquête policière, faite d’indices, d’hypothèses et de doutes. Mais une chose est sûre : il s’agit de la plus ancienne structure aménagée par l’homme dans une grotte.
Jacques : « Les conséquences sont énormes, parce qu’on fait bouger les lignes dans plein de domaines, et c’est surtout la démonstration que Néanderthal s’approprie le monde souterrain. Ça c’est complètement inédit. Enfin c’est quelque chose auquel on ne pensait même pas, on n’avait pas pensé à ça… Voilà, après il y a d’autres éléments qu’on rajoute, il y a la capacité à circuler dans un karst, donc à s’éclairer, à maitriser le feu, de manière autre que pour du foyer domestique, ou de la cuisson, et puis on va pas dans un milieu souterrain voilà, pour des raisons alimentaires ou de subsistance, c’est pour quelque chose qui est au-delà, c’est ce que l’on appelle de l’immatériel, donc il y a quelque chose de cultuel, de religieux, de symbolique, et ça c’est plutôt la chasse gardée des hommes modernes, c’est pas trop Néandertal. »
Bruniquel, la grotte qui bouleverse notre vision de Néandertal
Des humains occupaient déjà les grottes européennes il y a 176 500 ans, bien avant l’arrivée d’Homo sapiens ! La datation de stalagmites cassées puis agencées en rond dans la grotte de Bruniquel apporte une preuve formelle que l’homme de Néandertal y entretenait des feux, voire y pratiquait des comportements rituels.
Jacques Jaubert,
CNRS / Université de Bordeaux / Pacea / Ministère de la Culture et de la Communication
Sophie Verheyden,
Institut royal des sciences naturelles de Belgique
Dominique Genty,
Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement,
CEA / CNRS / Université Versailles Saint-Quentin
Mots-clés
Les vidéos récentes
Commentaires
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS
La cave de Bruniquel et son
Poluphemos le 14 Juin 2016 à 16h29