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Cinq robots au talent fou
Cet article est tiré du dossier « Ces robots qui nous veulent du bien », à découvrir dans le n° 8 de la revue Carnets de science en vente en librairies dès aujourd'hui.
1. La main aux doigts agiles
Avec ses trois doigts et un pouce possédant chacun quatre articulations, la main robotique développée à l’Institut P’ (Pprime) du CNRS, peut saisir des objets complexes : briquettes de bois, balle de tennis ou bouchon de plastique qu’elle dévisse haut la main... « Surtout, c’est la seule en France également capable de manipuler l’objet une fois saisi grâce à des mouvements coordonnés des doigts seulement, et ce en lui imposant une trajectoire précise et sans à-coups. Elles ne sont qu’une poignée dans le monde, notamment en Allemagne, capables de manipuler un objet avec une telle minutie », souligne Jean-Pierre Gazeau, ingénieur de recherche qui la développe avec ses collègues à l’Institut P’.
Résultat : alors que les robots industriels sont généralement ultraspécialisés, cette main dextre de taille humaine, aussi capable d’évaluer les efforts de serrage sur l’objet et déjà forte d’un dépôt de brevet CNRS, peut s’adapter à une large variété de tâches. En ligne de mire donc, un sérieux coup de main pour l’usine du futur où humains et robots devront travailler ensemble. Ce sont ces situations d’interactions qu’explore le laboratoire commun Mach4, doté par l’Agence nationale de la recherche, pour rendre la collaboration humains/robots plus efficace, notamment grâce à un partenariat avec l’entreprise Iteca, spécialiste des environnements virtuels.
Mais pas besoin d’attendre le futur pour obtenir de l’aide de cette main : une variante un peu plus grande, sans les capacités de manipulation, est déjà en cours d’adaptation pour l’archéologie sous-marine. Pour ce projet1, elle sera attachée à un petit sous-marin et téléguidée afin de saisir des vestiges extrêmement fragiles avec une grande précision et dans des milieux difficiles d’accès, comme le feraient les archéologues-plongeurs avec une ou deux mains.
2. BathyBot, le rover des profondeurs
Il ne détonnerait pas sur Mars, mais BathyBot préfère les fonds marins. Rover au faux air de Wall-E (le robot éboueur du film éponyme), il descendra en effet à 2 500 mètres de profondeur au large de Toulon d’ici à quelques mois. Ses chenilles le propulseront sur le plancher océanique, tandis qu’un immense câble le maintiendra connecté et alimenté en permanence depuis la terre.
« BathyBot complète un observatoire profond2 comprenant aussi la ligne instrumentée Albatross déployée sur la colonne d’eau qui le surplombe. L’objectif est d’étudier l’impact du changement climatique, la biodiversité, la bioluminescence et les flux de particules, pour une durée minimale de dix ans », expliquent Séverine Martini, post-doctorante à l’Institut méditerranéen d’océanologie3 et Christian Tamburini, directeur de recherche au CNRS au sein du même institut.
Rover sous-marin profond piloté à distance via Internet, le premier en Europe, BathyBot s’oriente à l’aide d’une caméra équipée d’une lumière blanche. Une seconde caméra scrutera la bioluminescence avec une telle sensibilité qu’elle n’aura pour seul éclairage qu’une lumière rouge connue pour ne pas effrayer les organismes des profondeurs. BathyBot « jouera » d’ailleurs avec le plancton grâce à plusieurs petites LED colorées afin de déterminer quelles teintes appâtent ou au contraire font fuir la faune du fond de la Méditerranée.
Également équipé de capteurs de température, de salinité, d’oxygénation de l’eau, ainsi que d’un système d’imagerie pour détecter les particules et le plancton, il permettra de révéler avec une grande précision un environnement quasi inconnu. Enfin, BathyReef4, rampe ajourée en ciment bio-inspiré, permettra au rover de se surélever pour accroître son champ d’observation et elle concentrera les organismes à étudier puisque ceux-ci coloniseront la structure sur plusieurs années.
3. Un robot industriel en bois
Premier robot industriel en bois au monde5, RobEcolo, fruit d’une collaboration entre le Laboratoire des sciences du numérique de Nantes6 (LS2N) et l’École supérieure du bois de Nantes, est né en Loire-Atlantique. « Le stock mondial de robots s’accroît fortement, mais personne ne réfléchit à leur impact environnemental au-delà des questions d’économies d’énergie », constate le responsable du projet Sébastien Briot, chargé de recherche au LS2N. « Or le bois, extrait de forêts bien gérées, offre un excellent bilan écologique, surtout comparé aux matériaux qui l’ont remplacé au quotidien comme l’aluminium », commente-t-il.
Question anatomie, RobEcolo est composé de quatre segments formant un losange articulé capable de manipuler et positionner des objets sur une surface plane. L’électronique, la motorisation et les articulations sont en métaux et plastique, mais tout le reste est en hêtre imprégné d’acide acétique pour mieux résister aux variations de dimension liées à l’humidité.
Au final, il affiche environ sept kilogrammes à la pesée, soit un ou deux kilogrammes de plus qu’un homologue en acier. « Certes la masse d’un robot joue sur sa consommation énergétique, mais, si besoin, il existe pour la réduire de nombreuses techniques que nous pourrions appliquer à l’avenir », commente le chercheur. Autre problème : le bois, matière vivante, présente des propriétés mécaniques très variables d’un arbre à l’autre, même au sein de la même espèce...
Pour compenser ces éventuelles variations sur les pièces dont il est fait, RobEcolo est doté d’une caméra qui lui permet de manipuler les objets avec une précision de 80 microns (soit moins d’un dixième de millimètre). Et ce robot « vert » n’a pas dit son dernier mot : non content d’améliorer encore ses performances, il devrait prochainement augmenter sa part de composants durables. De quoi convaincre les industriels !
4. Des robots mous pour arrondir les angles
Loin de l’habituelle raideur des machines, certains spécimens font sensation : ce sont les robots mous. Dotés d’articulations souples ou entièrement faits de matériaux facilement déformables, en forme de poulpe ou de chenille, ils lorgnent sur l’élasticité des tissus vivants. Intérêt : ils peuvent encaisser une perturbation ou un choc sans se casser ni en restituer brutalement l’énergie, qualité notable pour éviter de blesser les humains avec lesquels ils interagiront. Autre avantage : cette meilleure répartition des efforts mécaniques empêche de concentrer l’usure au niveau des articulations.
« Plus besoin non plus d’éviter forcément les obstacles : un robot déformable peut rebondir au contact de son environnement et l’utiliser pour accomplir sa tâche », commente Christian Duriez, directeur de recherche Inria au Centre de recherche en informatique, signal et automatique de Lille7, et concepteur de nombreux prototypes dont des modèles recouverts de silicone. « Ils sont capables de manipuler les matériaux les plus fragiles et offrent de nombreuses applications médicales puisqu’ils ne présentent aucun risque de blesser les patients », ajoute le chercheur.
Christian Duriez participe d’ailleurs à la création d’un robot qui permettrait d’insérer un implant cochléaire plus facilement dans l’oreille interne. Un autre de ses projets : la conception de robots capables de scanner des tissus en pleine opération afin d’aider les chirurgiens à repérer ceux qui sont cancéreux. Mais la mise au point de robots mous est un terrain glissant ! L’absence d’un nombre fixe d’articulations bien délimitées leur confère en effet une quasi-infinité de degrés de liberté dans leurs mouvements, ce qui demande des calculs particulièrement lourds. Reste donc à mettre au point des modélisations et des commandes ad hoc, repoussant les limites de la robotique classique...
5. Microrobots, la force du collectif
De la taille d’un dé à jouer, Alice sait trouver le chemin le plus court dans un labyrinthe. Ce robot format de poche n’erre cependant pas seul : il utilise des traces lumineuses laissées8 par d’autres robots identiques et qui doivent parfois s’y mettre à une bonne vingtaine ! Le principe est le même que chez les fourmis : quand l’une d’elles trouve une source de nourriture, elle dépose des phéromones en rentrant au nid. Le chemin ainsi balisé attire ses congénères qui laisseront à leur tour des molécules en rentrant. Au final, le chemin le plus court est le plus renforcé de phéromones car, durant le même laps de temps, il est forcément emprunté par une plus grande quantité d’insectes qu’une autre piste plus longue à parcourir9.
« Quand on veut créer des robots autonomes, le paradigme de l’intelligence artificielle classique consiste à construire une seule machine, très robuste et complexe, commente Guy Theraulaz, directeur de recherche au Centre de recherches sur la cognition animale10. Mais, sur le modèle des insectes sociaux, on découvre que des essaims de robots beaucoup plus simples peuvent aussi accomplir de nombreuses tâches s’ils interagissent correctement », insiste l’éthologue qui s’inspire depuis longtemps des groupes d’animaux pour concevoir des algorithmes.
Guy Theraulaz travaille aussi sur une nouvelle génération de microrobots, les Cuboïds, dans le but d’étudier la coordination des individus dans un banc de poissons. « Ces études ont montré que des mouvements collectifs complexes pouvaient être régis par des interactions simples entre chaque robot et seul un ou deux de ses voisins », explique le chercheur. De quoi aider à rendre plus autonomes les essaims de robots, notamment ceux composés de drones, qui sont pour l’heure encore pilotés un par un. ♦
- 1. Projet ANR Seahand, en collaboration avec le Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier (CNRS/Université de Montpellier), le Drassm (Département de recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines) et la société Becom-D.
- 2. Collaboration Emso/Meust/NUMerENV/KM3NeT.
- 3. Unité CNRS/Aix-Marseille Université/Université de Toulon/Institut de recherche pour le développement.
- 4. Collaboration Tangram Architectes/Vicat/MIO.
- 5. Il est le premier dont les performances en précision et raideur sont garanties.
- 6. Unité CNRS/École centrale de Nantes/Université de Nantes/Institut Mines-Télécom Atlantique.
- 7. Unité CNRS/Université de Lille/Centrale Lille Institut.
- 8. Les traces lumineuses sont projetées grâce à un vidéoprojecteur sur l’arène où évoluent les microrobots.
- 9. Ces observations ont conduit à l’« algorithme de colonies de fourmis » développé par le chercheur italien Marco Dorigo dans les années 1990.
- 10. Unité CNRS/Université de Toulouse Paul-Sabatier.
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Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.
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