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Des outils pour «prévoir» les feux de forêt ?
Une saison des feux toute l’année ? Les incendies de végétation se renforcent tant que les surfaces brûlées ont doublé en trente ans malgré l’efficacité accrue des moyens de lutte. En cause ? Des conditions climatiques et météorologiques favorisant l’ignition de grands incendies – quand plus de 100 hectares sont brûlés – et ce, même au cours de l’hiver. Preuve en est, les grands feux sont de plus en plus fréquents à travers le monde comme en Australie ou au Portugal et touchent désormais de nouveaux pays (Danemark, Suède, etc.).
En Corse, 100 % de la surface de la région sont potentiellement menacés par le feu. C’est pourquoi depuis plus de vingt ans, les chercheurs du laboratoire Sciences pour l’environnement (SPE)1, à Corte, ont placé la problématique des incendies de végétation au cœur de leurs recherches.
« L’éclosion de plusieurs dispositifs et résultats de notre équipe Feux nous permet aujourd’hui de sortir du laboratoire et de répondre aux besoins de la sphère opérationnelle », indique Lucile Rossi, maître de conférences au sein du laboratoire.
Les drones à la rescousse
L’utilisation de drones au cours d’opérations de lutte contre les feux de forêt se démocratise à travers le monde. Les missions de ces sentinelles volantes qui fournissent des images aux forces d'intervention sont multiples. Par exemple, les drones peuvent faciliter la localisation des différents fronts de feu ou offrir une vision d’ensemble d’une situation. Si l’expertise d’un pompier est irremplaçable, la science peut malgré tout l’aider à l’affiner. Dans le cadre de ses recherches, Lucile Rossi creuse le potentiel des drones sur le terrain en les équipant de stéréovision. Il s’agit d’un système de deux caméras prenant des images décalées et simultanées d’un même phénomène en infrarouge et dans le visible. À la clef, une représentation des flammes sous toutes leurs coutures en 3D, illustrant les caractéristiques essentielles à la dynamique d’un feu : forme, inclinaison, longueur et vitesse de propagation des flammes.
Depuis janvier 2020, ces drones sont également au cœur du projet corse multi-acteurs baptisé Goliat (Groupement d’outils pour la lutte incendie et l’aménagement du territoire)2. Dans ce cadre, Lucile Rossi travaillera pendant les trois prochaines années sur la géolocalisation de points chauds avec un traitement automatisé des images. Les drones serviront donc à identifier les endroits où pourrait repartir le feu après l’extinction des flammes. « Nous avons beaucoup de chance en Corse de pouvoir travailler si étroitement avec les forces opérationnelles et de construire ensemble des outils qui répondent à leurs besoins. J’ai notamment intégré le Service d'incendie et de secours de Haute-Corse lors du feu de Solaro en février dernier pour l’acquisition d’images, ce qui m’a fait gagner des années d’expérience et de recherches », rapporte la chercheuse.
Le brûlage dirigé est une autre pratique de terrain à laquelle contribue la recherche dans le cadre de Goliat. Celle-ci consiste à brûler une partie de la végétation dans des zones à risque pour prévenir l’éclosion de futurs incendies. « Des travaux pour identifier les bonnes pratiques (fréquence de réalisation, quantité de végétaux à brûler, etc.) et leurs impacts écologiques sont réalisés avec l’Office national des forêts », précise Lucile Rossi.
Goliat, c’est aussi le développement de plusieurs outils d’aide à la décision notamment pour prédire le comportement des feux et leur impact. Ce qui n’est pas une mince affaire... Thierry Marcelli, maître de conférences au laboratoire SPE, opte pour l’utilisation d’un modèle physique simplifié, rapide et robuste, utilisable lors de la lutte contre les flammes. Pour cela, la prise en compte des phénomènes radiatifs et convectifs – soit deux modes de transferts d’énergie importants – permet de caractériser la dynamique d’un front de flammes. Cette approche physique simplifiée permet en outre de prédire les conditions favorisant le déclenchement de feux éruptifs. Prédiction qui intéresse fortement les pompiers de par la dangerosité de l’accélération brusque de la vitesse de propagation du front de flammes de ce type de feux.
Un premier outil3 basé sur ce modèle a été développé en 2018 avec les forestiers sapeurs de Corse-du-Sud. « Il permettait de représenter des zones de rayonnement sur une carte afin de vérifier la validité et la sécurité de zones d’appui à la lutte », précise Thierry Marcelli. Ces zones correspondent à des bandes de végétation de plusieurs centaines de mètres de long et d’une centaine de mètres de large, que les pompiers brûlent ou défrichent volontairement pour freiner la progression d’un incendie en cours.
Un outil de prédiction
Avec Goliat, le chercheur souhaite aller plus loin grâce à un outil de prédiction de comportement et d’impact. « Cet outil permettra de prédire la forme tridimensionnelle d’un incendie au cours de son évolution, ainsi que la chaleur reçue par des cibles potentielles environnantes », explique le chercheur. Le programme aidera donc à cibler les zones prioritaires de dangerosité ou encore la distance à laquelle déployer des hommes tout en minimisant leur exposition au rayonnement.
À ce premier outil s'ajoutera une importante base de données d’historique des feux, également développée dans Goliat. « Un pompier se rappelle de caractéristiques de terrain (changement de vent, récurrence d’incendies dans des vallées, etc.) mais la Corse a une population vieillissante des combattants du feu et la mémoire des feux se perd. La base de données servira aussi à maintenir ces savoirs », ajoute le chercheur. À la frontière entre connaissances historiques et statistiques, les données collectées pourront servir à l’identification de zones de feux récurrentes qui pourraient bénéficier d’un aménagement territorial dédié à réduire les risques d’incendie.
Simuler la position du front de flamme
La modélisation pourrait-elle permettre de prévoir les incendies ? « Un feu de végétation est un phénomène météorologique », précise Jean-Baptiste Filippi, chercheur CNRS spécialisé en simulation des incendies.
Raison de plus pour élaborer un modèle de prévision prenant en compte le feu, la météorologie et leurs interactions mutuelles. En ce sens, le chercheur coordonne le programme national Firecaster4 financé par l'Agence nationale de la recherche, qui coordonne les codes français de prévision d’incendie de végétation. L’objectif ? Faire pour le feu ce qui est déjà fait pour les crues et les inondations. À savoir, mettre en place une chaîne de calcul feu-atmosphère utilisé en cas d’urgence et pouvant être intégrée au système de prévision de Météo France lorsque les risques d’incendie sont importants.
Pour cela, il utilise le simulateur open-source de propagation, de comportement et d’impact du feu ForeFire, fonctionnant de manière automatique au sein d’une plateforme opérationnelle, Firecaster API, depuis juin 2020. En quelques secondes, cette dernière permet de simuler la position du front de flamme, sa puissance et sa vitesse pour des incendies de plusieurs hectares. Le tout avec une résolution de l’ordre du mètre !
Les prochains outils opérationnels développés dans le programme de recherche FireCaster concernent la disponibilité de prévisions météorologiques à haute fréquence (deux minutes) et haute résolution (600 mètres) afin de répondre aux besoins des opérationnels. En effet, les interactions entre le feu et l’atmosphère peuvent modifier localement la direction des vents et donc le comportement d’un feu très rapidement. Un tel modèle où le feu est couplé avec l’atmosphère permet également une représentation plus précise de la composition, la densité, la structure et le transport des panaches de fumée. Et ses applications ne s'arrêtent pas là : les cartes de prévisions générées par Firecaster API servent en effet d’aide à la décision auprès des maires chargés d’enclencher l’évacuation de zones à risque en cas d’incendie.
Le modèle permet aussi d’estimer ce qu’une lutte a permis de préserver grâce à la comparaison de simulations de scénarios avec et sans action des pompiers. Ces derniers l’utilisent d’ailleurs dans leur plateforme de gestion des forêts OpenDFCI (Défense de la forêt contre les incendies). « Ils s’en servent pour inventer des scénarios dans lesquels ils choisissent les conditions météorologiques proches de la réalité du terrain et les appliquent à des cas d’entraînement », explique Jean-Baptiste Filippi. Bientôt, les pompiers pourront également simuler l’impact d’actions de lutte comme les largages de Canadair.
Afin de relier ces simulations à de nouveaux indicateurs, des indices économiques, humains et environnementaux sont développés dans le cadre d’un partenariat avec le laboratoire Lieux, identités, espaces, activités5. Des cartes de coûts de zones et de parcelles pouvant être soumises aux feux de forêt sont notamment réalisées. Le programme Firecaster, encore nouveau, et la disponibilité des infrastructures de calcul intensif devraient faire émerger d’autres usages en faveur de la lutte contre les incendies dans les années à venir. ♦
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- 1. Unité CNRS / Université de Corse Pasquale Paoli.
- 2. Il regroupe de nombreux partenaires dont l’Université de Corse, le CNRS, l’Office national des forêts, le Service d’incendie et de secours de Corse-du-Sud, le Service d’incendie et de secours de Haute-Corse, le syndicat mixte du Parc naturel régional de Corse, Aix-Marseille Université et la société Arobase.
- 3. DIMZAL : DIMensionnement de Zones d’Appui à la Lutte.
- 4. En partenariat avec le Centre national de recherches météorologiques (CNRS / Météo France), le Centre Européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique, le laboratoire Lieux, identités, espaces, activités (CNRS / Université de Corse Pasquale Paoli) et Inria.
- 5. Unité CNRS / Université de Corse Pasquale Paoli.
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Auteur
Après des études en environnement à l'Université Paul-Sabatier, à Toulouse, puis en journalisme scientifique à l'Université Paris-Diderot, à Paris, Anaïs Culot a été attachée de presse au CNRS et collabore à présent avec différents magazines, dont CNRS Le Journal, I'MTech et Science & Vie.
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