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« Il existe des options pour réduire les émissions de GES dans tous les secteurs »

Dossier
Paru le 30.11.2023
Climat : le défi du siècle

« Il existe des options pour réduire les émissions de GES dans tous les secteurs »

04.04.2022, par
Pour atténuer les effets du dérèglement climatique, tous les secteurs socio-économiques doivent enclencher dès maintenant une profonde transformation : c’est ce qui ressort du troisième et dernier volet du sixième rapport du Giec, publié aujourd'hui. Entretien avec Céline Guivarch, économiste et co-auteure de ce volet.

Spécialiste de l’économie du changement climatique, vous avez contribué à la rédaction de ce troisième volet, consacré à l'atténuation du changement climatique et de ses conséquences, ainsi qu'à celle du résumé aux décideurs. Quelle est la spécificité de ce dernier volume ?
Céline Guivarch1. Tout d’abord, il est important de le replacer dans la trilogie du sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Le premier volet, publié en août 2021, portait sur la physique du climat. Il atteste d’un fait scientifiquement établi : on observe de manière incontestable un réchauffement du globe – et ses effets – dû aux activités humaines et aux émissions de gaz à effet de serre (GES) qui en découlent.

Le développement durable en est le fil rouge : toute l’analyse est faite par son prisme et en lien avec des objectifs multiples de réduction de la pauvreté, des inégalités, ou encore d’éradication de la faim.

Le deuxième volet, dévoilé en février dernier, traitait des impacts, de la vulnérabilité et des stratégies d’adaptation face au changement climatique. Il est lui aussi sans équivoque : le réchauffement climatique représente une menace pour le bien-être humain et la santé planétaire. On constate déjà une augmentation de la fréquence des événements extrêmes, des pertes et des dommages pour la nature et pour les personnes.Il existe des solutions d’adaptation pour se préparer et anticiper les répercussions sur nos économies. Mais il y a des limites « dures » à ces adaptations, un seuil au-delà duquel chaque fraction de degré supplémentaire augmente les effets négatifs du changement climatique et en multiplie les risques. Pour éviter de les atteindre, nous devons contenir l’ampleur et la vitesse du changement climatique.

C’est là qu’intervient ce dernier volet sur l’atténuation : l’évaluation des moyens possibles et envisageables pour réduire nos émissions de GES. Car, de fait, leur accumulation dans l’atmosphère est la cause du réchauffement climatique anthropique qu’on observe. Adaptation et atténuation sont en fait deux voies d’actions complémentaires.

Quelles sont les principales conclusions de ce troisième volet ?
C. G. Au total, plus de 18 000 publications ont été étudiées par des scientifiques du monde entier pour ce rapport. Le Giec ne préconise pas de solutions mais évalue chacune des options possibles pour relever ce défi, à différents niveaux de gouvernance et dans différents secteurs économiques. Le développement durable en est le fil rouge : toute l’analyse est faite par son prisme et en lien avec des objectifs multiples de réduction de la pauvreté, des inégalités, ou encore d’éradication de la faim. Nous y faisons le bilan des émissions de GES passées et présentes dans les différents secteurs : énergétique, transports, bâtiment, industrie, agricole et alimentaire. Nous avons aussi évalué différentes trajectoires d’atténuation à court et à long terme compatibles avec, notamment, des objectifs de limitation à 1,5 °C et 2 °C d’augmentation de la température du globe par rapport à l’ère préindustrielle. Enfin, nous avons balayé les options de réduction des émissions par secteurs.

Le parc solaire Pavagada, en Inde, d'une superficie de 53 kilomètres carrés. Les coûts de production des énergies renouvelables, dont l'énergie photovoltaïque, ont diminué ces dix dernières années.
Le parc solaire Pavagada, en Inde, d'une superficie de 53 kilomètres carrés. Les coûts de production des énergies renouvelables, dont l'énergie photovoltaïque, ont diminué ces dix dernières années.

Un grand nombre de ces options ont pu être mises en œuvre dans cette dernière décennie et leurs coûts ont diminué. C’est le cas, par exemple, de l’énergie photovoltaïque. Nous montrons ainsi qu’il y a des options pour réduire les émissions disponibles dans tous les secteurs aujourd’hui à un coût raisonnable.

Ces options d’atténuation sont de nature multiple : adoption de nouvelles technologies mais aussi par la transformation de nos modes de production et de consommation.

Ce rapport compte également un focus inédit sur des options d’action passant par la demande, que ce soit la demande en énergie mais aussi la demande en biens et en matériaux. Ces options d’atténuation sont de nature multiple : par l’adoption de nouvelles technologies mais aussi par la transformation de nos modes de production et de consommation. Pour être efficace, la transformation doit se faire, en définitive, à toutes les échelles : au niveau de nos infrastructures collectives, de l’organisation de nos territoires et de nos villes, et également de nos organisations sociales. Nous montrons qu’il ne s’agit pas uniquement de choix de consommation individuels, plus sobres. 

Quelles différences avec le précédent rapport sur l’atténuation, paru en 2014 ?
C. G. Depuis 2014, des politiques d’atténuation ont été mises en œuvre dans de nombreux pays à travers le monde au niveau national, local, à l’échelle des villes et des entreprises. Dans les derniers chapitres du rapport, nous faisons le bilan de ces politiques : quelles sont celles qui ont fonctionné ou échoué et pourquoi ? quelles sont les barrières qu’elles peuvent rencontrer et leurs implications en termes environnementaux et sociaux ? Mais malgré ces initiatives, les émissions de GES sur la planète ont continué d’augmenter. La baisse de près de 5 % des émissions en 2020, due essentiellement au ralentissement des activités économiques durant la pandémie mondiale, a déjà été rattrapée. Le niveau des émissions est revenu à son niveau antérieur. 

Le 22 juillet 2019, Londres (Royaume-Uni) est officiellement devenue la première "ville parc national" au monde, avec un tiers de sa superficie végétalisée. Un titre qui peut paraître contradictoire pour la métropole britannique, mais qui évoque son engagement pour la nature selon le géographe Dan Raven-Ellison, à l'origine du concept.
Le 22 juillet 2019, Londres (Royaume-Uni) est officiellement devenue la première "ville parc national" au monde, avec un tiers de sa superficie végétalisée. Un titre qui peut paraître contradictoire pour la métropole britannique, mais qui évoque son engagement pour la nature selon le géographe Dan Raven-Ellison, à l'origine du concept.

En fait, sur la dernière décennie, les émissions ont augmenté de 1,3 % en moyenne par an. Or, ce qui compte pour le changement climatique, rappelons-le, c’est le cumul de ces émissions, en particulier du CO2. Un constat crucial est que pour le même objectif défini en 2014, la réduction des GES doit être entreprise plus rapidement encore. Si des efforts d’atténuation existent, ils restent pour l’heure insuffisants. Autrement dit, il sera de plus en plus difficile d’atteindre des niveaux de température bas sur le long terme et nos options pour y parvenir s’amenuisent à mesure de notre inaction. Nous avons également travaillé sur la question des financements en évaluant, d’un côté, les besoins d’investissements sous-jacents à des trajectoires compatibles avec les objectifs de l’Accord de Paris (contenir la hausse des températures sous les 2 °C) ; de l’autre, en confrontant ces investissements nécessaires avec les flux actuels. Le but étant ici de parvenir à une cartographie des solutions pour réorienter l’épargne mondiale disponible vers les chantiers de transformation prioritaires.
 
Vous avez travaillé en particulier sur le chapitre 3, consacré aux « Trajectoires d'atténuation compatibles avec les objectifs de long terme ». Comment avez-vous concilié vos propres travaux au Cired avec votre contribution au Giec ?
C. G. Le changement climatique est l’un des principaux défis du XXIe siècle. Mes recherches visent à comprendre l’ampleur de ce défi pour nos sociétés, et à évaluer les trajectoires pour le relever. Le Cired, qui va fêter ses 50 ans en 2023, a été précisément fondé pour analyser les articulations entre environnement et développement. C’est un laboratoire très interdisciplinaire avec un centre de gravité en économie. À l’origine, il n’était pas focalisé sur le changement climatique. Ce dernier en est aujourd’hui devenu l’une des articulations motrices avec d’un côté les impacts du changement climatique qui menacent le développement ; et de l’autre, la question de la conciliation entre le développement et la réduction des émissions de GES.

La société Chand'Énergies, portée par deux agriculteurs de l'Ain, a mis en place une unité de méthanisation qui traite les déchets organiques agricoles locaux pour produire du biogaz. Celui-ci est injecté du gaz dans le réseau exploité par GRDF.
La société Chand'Énergies, portée par deux agriculteurs de l'Ain, a mis en place une unité de méthanisation qui traite les déchets organiques agricoles locaux pour produire du biogaz. Celui-ci est injecté du gaz dans le réseau exploité par GRDF.

Au Cired, nous faisons partie de ceux qui produisent des trajectoires prospectives des émissions à l’échelle mondiale, pour la France mais aussi pour le Brésil ou l’Afrique du Sud. Tout cela entre en résonance avec mon travail au sein du groupe III du Giec. Ma participation s’est étalée sur quatre ans, avec des pics d’activité, notamment pour la rédaction du résumé aux décideurs. Je remercie d’ailleurs l’École des Ponts et mon laboratoire de m’avoir permis d’y consacrer une partie de mon temps. Le troisième chapitre auquel j’ai contribué permet de conclure sur les trajectoires compatibles avec le maintien sous la barre des 2 °C et 1,5 °C, et sur ce que cela implique en termes de réduction des GES entre aujourd’hui et 2030, ou à l’horizon 2050 pour les émissions mondiales.
 
Que pensez-vous de la couverture médiatique autour de ce sixième rapport ?
C. G. Je formule le souhait que le changement climatique, que les solutions pour y faire face et, plus largement, que les crises environnementales ne soient plus traités comme des actualités ponctuelles, dont l’intérêt n’est suscité qu’à la sortie d’un rapport ou lorsqu’un événement climatique extrême survient. Les bouleversements en cours et nos solutions pour s’y adapter ou les atténuer concernent de manière très large toutes nos activités et tous nos choix, que ce soit la façon dont on se déplace, dont on se loge, dont on produit, dont on consomme. Le changement climatique est aussi une question d’inégalités qu’il faut prendre à bras-le-corps. Nous avons besoin d’un traitement et d’un relai médiatique constant. C’est désormais l’affaire de tous. ♦

Pour consulter les rapports du Giec (en anglais)
https://www.ipcc.ch/reports

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Notes
  • 1. Économiste, directrice de recherche au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired - CNRS/Cirad/École des Ponts ParisTech/AgroParisTech).
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Auteur

Anne-Sophie Boutaud

Anne-Sophie Boutaud est journaliste à CNRS Le journal.

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