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« Le changement climatique nous touche déjà de plein fouet »

Dossier
Paru le 30.11.2023
Climat : le défi du siècle

« Le changement climatique nous touche déjà de plein fouet »

09.08.2021, par
Mis à jour le 27.08.2021
Il y a presque un an, le Giec publiait le premier volet de son sixième rapport, accompagné d'un résumé aux décideurs, sur le changement climatique et ses impacts sur la planète. Co-auteur de ce rapport, Christophe Cassou, directeur de recherche CNRS au laboratoire Climat, environnement, couplages et incertitudes, nous en expliquait la teneur. Cet entretien fait partie des 10 contenus qui vous ont le plus intéressé cette année sur notre site.

Vous êtes co-auteur du premier volet du sixième rapport du Giec. Comment ces documents sont-ils organisés ?
Christophe Cassou 1: Le Giec fonctionne par cycles. Le nôtre a démarré en 2015 et se terminera en 2022, avec la sortie d’un rapport de synthèse. Le rapport général est composé de trois volets. Le premier, que nous publions ce mois-ci, traite de la compréhension physique du système climatique et du changement climatique. Le second portera sur les impacts, l’adaptation et la vulnérabilité des sociétés humaines et des écosystèmes au changement climatique, tandis que le dernier abordera les solutions globales à mettre en œuvre pour atténuer le changement climatique et ses effets. Trois rapports spéciaux complètent ce cycle. Publiés en 2018 et 2019, ils se focalisent sur les impacts climatiques à un niveau de réchauffement précis, à savoir 1,5 degré, les impacts du changement climatique sur l’océan et la cryosphère et, enfin, sur les zones continentales.
 
Quelles sont les grandes conclusions de ce premier volet, publié aujourd’hui ?
C.C. Si je devais le résumer en quelques lignes, je dirais qu’il montre que le changement climatique c’est maintenant, c’est partout sur la planète. Il empire et nous le percevons sous diverses formes. J’ajouterais que c’est un voyage sans retour, nous décidons aujourd’hui de notre futur chemin. Il est écrit noir sur blanc dans le rapport que le rythme du réchauffement climatique que nous vivons est sans précédent depuis au moins 2000 ans, et que la décennie 2010-2019 est probablement la plus chaude depuis au moins 100 000 ans. Il est établi, de manière sans équivoque, que l’activité humaine est la cause du changement climatique observé depuis les 150 dernières années.
 

Le rythme du réchauffement climatique que nous vivons est sans précédent depuis au moins 2000 ans, et la décennie 2010-2019 est probablement la plus chaude depuis au moins 100 000 ans.

Concernant la température globale à la surface, les activités humaines expliquent la totalité du réchauffement observé sur la dernière décennie par rapport au climat préindustriel, calculé à partir d’une moyenne entre 1850 et 1900. Le seuil de 1,5 degré sera très probablement atteint sur les 20 prochaines années. Quelques fractions de degrés peuvent sembler minimes, mais c’est tout le contraire. Notre monde d’aujourd’hui, à +1,1 degré, n’est pas le même que celui à +0.9 des années 2000 ; on le sent bien. Le monde futur à +1,5 ne sera pas celui d’aujourd’hui et sans réduction immédiate, forte, soutenue et à grande échelle de nos émissions de gaz à effet de serre, nous ne parviendrons pas à limiter le réchauffement en dessous de ce seuil.

 
Quelles en sont les conséquences ?
C.C. Chaque fraction de réchauffement additionnel se traduit par des événements climatiques extrêmes plus fréquents et plus sévères, comme des vagues de chaleur, des sécheresses, des pluies diluviennes… Ces événements pourront aussi se produire dans des zones où ils étaient jusqu’alors inconnus. Le changement climatique n’est pas homogène, avec des signatures plus ou moins fortes selon les régions.

L’Europe méditerranéenne est particulièrement touchée. De même, le réchauffement est deux à trois fois plus rapide aux latitudes polaires de l’hémisphère Nord, avec une fonte rapide du Groenland et de la banquise de l’océan Arctique, mais aussi des canicules induisant des mégafeux de forêt en Sibérie ou en Amérique du Nord. À nos latitudes tempérées, des canicules et sécheresses inédites peuvent survenir comme c’est le cas au Canada, où des records de température ont été pulvérisés de plusieurs degrés le mois dernier. Normalement, ces records ne sont battus que de quelques dixièmes de degrés. C’est sans précédent de les voir être dépassés aussi brutalement, mais cela correspond bien à ce à quoi on s’attend lorsque le climat se réchauffe vite.

Iceberg tabulaire, vu d'avion, au milieu de la banquise disloquée, dans la mer de Ross, au large de l'Antarctique.
Iceberg tabulaire, vu d'avion, au milieu de la banquise disloquée, dans la mer de Ross, au large de l'Antarctique.

Le réchauffement climatique perturbe également tout le cycle de l’eau. Ainsi, même si les quantités moyennes de pluie ne changent pas forcément, elles peuvent se répartir différemment dans l’année. En France par exemple, nous avons des hivers plus pluvieux, des étés plus secs avec des épisodes de pluie diluvienne plus fréquents et plus intenses. Chaque degré de réchauffement supplémentaire augmente de 7 % l’intensité des précipitations diluviennes.
 
Quelles sont les solutions préconisées par le Giec ?
C.C. Le Giec n’est pas prescriptif et ne préconise rien. Il fournit une évaluation des solutions sur la base de publications scientifiques, mais ces problématiques seront abordées dans le troisième volet du rapport actuel. Dans le rapport du groupe 1, qui vient de sortir, nous montrons que d’un point de vue géophysique, il est encore possible de limiter le changement climatique à 1.5oC, mais nous réaffirmons avec force qu’il faut atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Nous démontrons que sans action immédiate, nous dépasserons ce seuil et que chaque incrément de température se traduit par des impacts démultipliés pour les sociétés humaines et les écosystèmes.  
 

Nous montrons que d’un point de vue géophysique, il est encore possible de limiter le changement climatique à 1.5oC, mais nous réaffirmons avec force qu’il faut atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Nous insistons donc sur la nécessité de réduire drastiquement les émissions de CO2, mais aussi des autres gaz à effet de serre comme le méthane ou les oxydes nitreux. Au-delà de la seule question du changement climatique, on améliorera ainsi la qualité de l’air, avec des bénéfices immédiats pour la santé. Le changement climatique a été souvent présenté comme un horizon lointain, alors que nous l’expérimentons déjà et qu’il nous touche de plein fouet. Nous devons nous adapter à ce changement, l’avenir est entre nos mains pour en limiter les effets. Ce nouveau rapport du Giec apporte des informations physiques importantes pour l’évaluation des risques futurs sur toutes les régions du monde. À la lumière de ces connaissances encore plus précises, on peut considérer qu’aujourd’hui toute tergiversation, tout retard ou ambition non respectée en matière de politique climatique, est irresponsable.

 
Comment avez-vous rejoint l’équipe de six chercheurs CNRS participant à la rédaction de ce volet ?
C.C. Mon expertise porte sur les fluctuations climatiques que l’on observe d’une année, ou d’une décennie, sur l’autre, ce que l’on désigne par « la variabilité interne du système climatique ». Pour évaluer correctement les effets des activités humaines sur le climat, nous devons comprendre comment ils sont modulés par cette variabilité interne. Elle se développe spontanément et peut soit amplifier les effets délétères liés aux activités humaines, soit les atténuer ou les masquer de manière temporaire, en particulier aux échelles régionales.

Entre 2009 et 2014, j’ai coordonné deux projets nationaux sur cette thématique, puis, de 2014 à 2018, un comité du Programme mondial de recherches sur le climat (WRCP) qui portait précisément sur la variabilité décennale du climat. Fort de ces expériences, j’ai candidaté pour devenir un des auteurs du sixième rapport du Giec. J’ai été affecté au chapitre traitant de l’influence humaine sur le climat, car pour la comprendre, il faut bien évaluer sa variabilité interne.
 

Les feux de forêts se multiplient chaque année en Amazonie.
Les feux de forêts se multiplient chaque année en Amazonie.

Les rapports du Giec sont accompagnés d’un résumé aux décideurs. Comment est-il conçu ?
C.C. Un rapport compte typiquement entre 1000 et 1500 pages, et celui que nous venons de publier se base sur l’évaluation d’environ 14 000 articles scientifiques. Nous y joignons donc un résumé de quelques dizaines de pages qui en rassemble les conclusions les plus fortes, et traduit en un langage plus accessible les connaissances scientifiques les plus robustes et les plus pertinentes pour les décideurs. Ce texte doit être un support objectif, complet, compréhensible et utilisable, afin de les guider, avec la société civile, dans leur choix des mesures à prendre pour limiter le réchauffement climatique et développer des stratégies d’adaptation.

Contrairement au cœur du rapport qui est produit de façon indépendante par les chercheurs, garants du contenu scientifique du texte final, le résumé aux décideurs doit être approuvé ligne par ligne par l’ensemble des délégués gouvernementaux. Nous avons envoyé au mois de mai une première version aux gouvernements, puis nous avons traité en retour leurs 3200 commentaires. Ils correspondaient à des demandes d’éclaircissements, des propositions d’ajout ou de retrait de certains contenus spécifiques. C’est cette version révisée qui est ensuite soumise à l’approbation politique sachant que, bien évidemment, le cœur scientifique du résumé n’est pas négociable.
 
Fin juin, un texte du Giec a fuité dans la presse et provoqué une certaine confusion. Quelle en était la nature ?
C.C. Il s’agissait d’un brouillon du résumé technique, qui sert à établir le résumé aux décideurs. Il ne concerne pas le rapport que nous venons d’approuver, mais celui du groupe 2 du Giec dont la version finale devrait sortir au printemps 2022. Je trouve que cet incident nuit au processus et à sa portée. Un rapport s’écrit sur l’évaluation commune des connaissances scientifiques entre les auteurs, suivie par une étape de relecture par d’autres chercheurs. Cela aboutit à la production de nouvelles versions bénéficiant à la fois des critiques et des propositions souvent constructives des pairs. À chaque étape, ces mécanismes de co-constructions incrémentales garantissent la robustesse et la traçabilité des conclusions, qui reflètent ainsi la parole de la communauté scientifique et non pas celle d’un chercheur individuel. Les brouillons sont au départ des textes individuels qui n’ont pas encore passé l’ensemble de ces filtres.

La force du Giec tient justement dans l’ensemble de ce processus, et bien évidemment dans le fait que l’approbation du résumé aux décideurs par les délégués gouvernementaux soit à l’unanimité. Après approbation, ce rapport n’est plus un simple rapport scientifique, mais un rapport pour l’ensemble des citoyens du monde.♦
 

Pour en savoir plus : le résumé du rapport aux décideurs (en anglais).

Notes
  • 1. Directeur de recherche CNRS au laboratoire Climat, environnement, couplages et incertitudes (Unité CNRS/ Cerfacs)

Auteur

Martin Koppe

Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.