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Les trésors des îles Éparses
Les 28 et 29 avril, un colloque s’est tenu à Paris pour présenter les résultats d’un programme de recherche sur les îles Éparses. Pouvez-vous nous rappeler de quoi il s'agit ?
Marc Troussellier1 : Sous ce nom évocateur sont regroupés cinq groupes d’îles et îlots (Europa, Bassas da India, Juan de Nova, les Glorieuses, Tromelin) sous souveraineté française, disséminées dans le sud-ouest de l’océan Indien. Cet ensemble éclaté, qui constitue l’un des districts de la Préfecture des Terres australes et Antarctiques françaises (TAAF), ne représente que quelque 40km2 de terres émergées. Pourtant, il est au carrefour d’importants enjeux économiques, stratégiques et scientifiques. Un ambitieux programme de rechercheFermerIl regroupait le CNRS, l’IRD, l’Agence des Aires Marines Protégées et la préfecture des TAAF interdisciplinaire a donc été lancé en 2011 afin de mieux connaître ces îles et mieux protéger leurs extraordinaires écosystèmes.
Quels sont ces enjeux ?
M.T.: Il faut savoir qu’à ces 40km2 de terre émergées correspond une Zone Economique ExclusiveFermerIl s'agit d'un espace maritime sur lequel un État exerce des droits d'exploration et d'usage des ressources de près de 640 000 km2. Il y a donc des enjeux actuels importants relatifs à la pêche, la pêche au thon notamment. En termes stratégiques, quatre des îles Éparses se trouvent dans le canal du Mozambique, qui est une importante route maritime, et dont la partie nord est parfois sujette à la piraterie. Enfin, des études exploratoires ont montré que le sous-sol océanique de cette région est riche en gaz, en hydrocarbures et en ressources minérales qui pourraient être exploitées.
Du point de vue scientifique, pourquoi mobiliser tant d’effort pour mieux les connaître ?
M.T.: Ce sont des îles où l’influence humaine locale est très faible, voire nulle. De ce fait, elles constituent des écosystèmes de référence, une sorte de point zéro extrêmement rare dans le monde. Par ailleurs, les Éparses sont des sentinelles climatiques uniques. Les récifs coralliens qui forment ces îles ont enregistré l’évolution du niveau de l’océan au cours du temps. Elles permettent aussi de mieux comprendre la tectonique et la sismicité de cette zone particulièrement active géologiquement.
Ces îles constituent également des écosystèmes intéressants...
M.T.: Ce sont en effet d’extraordinaires réservoirs de biodiversité, notamment marine. Pour les chercheurs, leurs récifs coralliens sont un terrain unique. Contrairement à la plupart des récifs dans le monde, il est possible d’y étudier l’impact du réchauffement global en dehors de tout facteur local. La biodiversité terrestre, bien que moins riche, est très intéressante. Les Éparses jouent ainsi un rôle essentiel pour les oiseaux marins : 40 à 50% des oiseaux marins de l’Ouest de l’Océan Indien nichent sur ces îles. Le programme a également permis d’étudier des dynamiques qui dépassent le cadre de ces îles. Par exemple, des travaux ont été menés sur les capacités qu’ont les espèces (poissons, insectes) à se déplacer d’un endroit à l’autre de l’Océan, à travers de longues distances, ou encore, sur les capacités de dissémination de maladies à travers les parasites des oiseaux marins.
Comment les recherches permettront-elles de mieux conserver cette biodiversité ?
M.T.: D’abord, on ne peut protéger que ce que l’on connaît. Un des objectifs du programme était d’apporter des connaissances pour protéger ces territoires. Au delà des nécessaires inventaires de la diversité terrestre et aquatique, il a été possible de mesurer l’impact de l’éradication d’espèces introduites accidentellement par l’homme. En réduisant drastiquement les populations de chats ou de rats sur deux des îles, leurs proies, comme les populations d’oiseaux et de végétaux, ont vu augmenter de façon significative leur abondance.
Quelles sont les menaces qui pèsent sur ces îles?
M.T.: Elles sont nombreuses. Il y a par exemple les activités de pêche illégales qui connaissent une ampleur accrue. Le canal du Mozambique étant aussi une route maritime importante, les îles Eparses ne sont pas à l’abri d’une pollution chimique ou par les hydrocarbures. L’exploitation profonde des ressources fossiles pourrait aussi devenir un danger. Mais ce sont les changements climatiques qui constituent la menace la plus drastique pour ces systèmes insulaires. Leur très faible altitude, les rend très vulnérables à la montée du niveau de l’océan. Un observatoire enregistrant l’évolution du niveau de la mer a été mis en place dans le cadre du programme pour évaluer ce risque.
- 1. Directeur de recherches CNRS au laboratoire Écologie des systèmes marins côtiers.