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Le blob, nouvelle star du zoo de Paris
Vous êtes la spécialiste mondiale du blob, que le grand public va bientôt pouvoir découvrir au Parc zoologique de Paris. En quoi cette entrée au zoo est-elle importante ?
Audrey Dussutour1 : C’est la première fois qu’un organisme unicellulaire entre dans un parc zoologique ! Il sera installé dans un vivarium et le public pourra regarder des vidéos où il résout des problèmes. On verra par exemple comment il choisit la nourriture qui lui est la plus profitable. Il y aura des petits films qui montrent comment il grandit, se déplace. Je trouve que c’est une bonne façon d’éveiller les gens à la biodiversité. On parle souvent de la protéger mais on reste très centré sur les animaux et les plantes, et un peu les champignons. On se focalise sur trois règnes alors qu’il y en a davantage dans le monde vivant ! On a tendance à oublier les micro-organismes.
Justement, on le définit souvent en procédant par élimination : ce n’est « ni une plante, ni un animal, ni un champignon ». Mais qui est Physarum polycephalum, surnommé le blob ?
A. D. : Au départ, on a pensé que le blob faisait partie des champignons parce qu’il produisait des spores. En réalité, depuis les années 1990, grâce aux analyses génétiques, on sait qu’il appartient au règne des amibozoaires, qui regroupe toutes les amibesFermerOrganisme unicellulaire qui vit sur les plantes aquatiques, dans le sol humide ou parasite les animaux.. On estime qu’il a entre 500 millions et un milliard d’années. Il a en tout cas traversé beaucoup d’environnements différents.
Plus précisément, le blob appartient à la classe des myxomycètes, ce qui signifie « champignons gluants ». On pensait donc que les myxomycètes faisaient partie des champignons, puis on les a déplacés dans le bon règne. Comme pour les insectes, il reste beaucoup d’espèces à découvrir parmi ces myxomycètes. On en connaît environ mille et on estime qu’il y en aurait dix-mille. Or, il peut y avoir autant de différences entre deux espèces de myxomycètes qu’entre un rongeur et une baleine chez les mammifères.
Qu’est-ce qui rapproche et distingue le blob d’une amibe ?
A. D. : D’abord, c’est un organisme unicellulaire. Mais cela ne suffit pas. Comme les amibes, il se déplace en formant des petites excroissances, des pseudopodes, et il mange par phagocytose, en engouffrant sa nourriture, en la prenant littéralement dans sa membrane, ce qui n’est pas le cas des champignons et des plantes qui absorbent leur nourriture.
Ce qui le différencie des amibes, c’est que les myxomycètes peuvent atteindre de grandes tailles, alors que l’amibe est généralement petite. Et le blob produit des spores.
Comment se comporte cet organisme ? Il se déplace, il mange, et il grandit très vite…
A. D. : Au début de sa vie, il mesure 50 micromètres. Dans de bonnes conditions, sa taille double tous les jours. Des chercheurs se sont même amusés à obtenir un blob de 10 mètres carrés, enregistré au livre des records. C’est lié à son mode de reproduction : ce n’est pas la cellule qui se divise, mais uniquement le noyau. Au départ la cellule a un noyau unique, ensuite après division, on obtiendra une cellule à deux noyaux, puis à quatre noyaux, etc., jusqu’à atteindre une cellule avec plusieurs milliards de noyaux… et atteindre ainsi des tailles records.
Si on regarde cette cellule de plus près, on voit qu’elle comprend un réseau veineux dans lequel le cytoplasme circule. La veine est entourée de fibres musculaires qui se contractent et poussent le cytoplasme, un peu comme dans nos intestins. La membrane se déforme, ce qui lui permet de se déplacer de 0,5 centimètre par heure. Mais il peut accélérer jusqu’à des pointes de 4 centimètres par heure.
Il perçoit la présence de nourriture grâce à des récepteurs sur sa membrane. Selon la façon dont les molécules se diffusent dans son environnement, il doit se trouver plus ou moins près de celles-ci pour les détecter : pour les sucres, à peu près 4 centimètres ; pour les flocons d’avoine, dont il raffole, il faut presque qu’il ait le nez dessus. Dans la nature, Le blob se nourrit de bactéries, de champignons, de levures, d’autres spores. Comme tous les myxomycètes, c’est un recycleur très utile, qui rejettent des micro-éléments ensuite capturés par les plantes.
Comment se reproduit-il ?
A. D. : Il est diploïde : ses chromosomes vont par paires. Puis, quand il forme des spores, chacune est haploïde : une cellule ne contient qu’un exemplaire de chaque chromosome. Jusqu’ici, tout se passe comme pour nous. Ensuite, au gré du vent, si elles se trouvent dans de bonnes conditions, ces spores « germent » et il en sort une toute petite amibe. Dans un milieu liquide, cette amibe s’équipe de deux flagelles pour se déplacer et part en nageant à la recherche d’une amibe de sexe opposé pour reformer une cellule diploïde par fusion. Là ce n’est plus du tout comme pour nous ! Il n’y a pas un mâle ou une femelle, mais plus de 720 types sexuels chez le blob. Il a donc de grandes chances de pouvoir trouver chaussure à son pied.
Vous l’avez surnommé « le blob », comme le titre du film d’horreur où Steve McQueen se bat contre un extraterrestre géant et gluant qui grossit à chaque fois qu’il avale quelqu’un. On dirait qu’il peut grandir à l’infini, qu’il est indestructible…
A. D. : Il y a une référence à son aspect, oui ! Mais notre blob est destructible quand il est sous forme de plasmode, de masse molle… La lumière peut le tuer, dénaturer son ADN. Et il vieillit si on le garde longtemps sous cette forme ; il grandit moins vite, il devient plus fragile, comme beaucoup d’organismes. En revanche, il est capable d’entrer en dormance si les conditions sont défavorables, s’il est privé d’eau ou de nourriture. Il passe alors sous forme de sclérote, une structure rigide, très sèche. Il ressemble alors un peu à du lichen. Pendant cette dormance, il se régénère. Donc, si on s’en occupe bien, si on l’endort régulièrement, on peut le garder toute sa vie. Il suffit de le réveiller en versant un peu d’eau dessus.
Il n’y a pas que le physique qui compte ! Vous vous intéressez aussi à son intelligence, bien qu’il n’ait pas de cerveau…
A. D. : Cela dépend de la façon dont on définit l’intelligence. Si cela signifie résoudre des problèmes dans son environnement, c’est vrai, le blob sait prendre les bonnes décisions. Il est capable de sélectionner la meilleure nourriture pour sa croissance, et d’ignorer les choses qu’il n’aime pas. Il sait même transférer ce qu’il a appris à ses congénères.
Comment avez-vous testé ces étonnantes capacités ?
A. D. : Nous avons observé qu’il pouvait apprendre à ignorer des aversions innées en plaçant une substance qu’il déteste sur un pont le reliant à sa nourriture. Au bout de quelques jours, il franchit le pont sans réticence. C’est un procédé d’apprentissage appelé habituation, qui n’avait jamais été observé auparavant chez un organisme unicellulaire.
Mais surtout, il se souvient de ses expériences. S’il est mis en dormance et qu’on le réveille plusieurs mois après, il traverse aussi vite. Nous avons fait la même chose avec une paire formée d’un blob « expérimenté » et d’un blob « débutant ». Cette paire ignore la substance et rejoint aussi rapidement la nourriture. L’information circule. Un blob est donc capable de transmettre ce qu’il a appris à d’autres blobs.
Vous avez aussi remarqué des comportements différents selon son origine géographique. Le blob aurait-il des habitudes culturelles ?
A. D. : Oui, on a testé des blobs en provenance du Japon, d’Australie, et des États-Unis sur un compromis bien connu en biologie, celui qu’il faut faire entre vitesse et précision pour prendre une décision. En d’autres termes, soit on va très vite et on a de grandes chances de se tromper, soit on prend le temps de réfléchir mais on court le risque que quelqu’un vous vole votre nourriture. Alors que le blob australien prend du temps avant de décider, le blob japonais fonce et se trompe une fois sur deux. S’il se trompe, il bifurque très vite.
On pense que cela est lié à la pression de la compétition dans leurs environnements originels. En Australie, la nourriture est assez abondante et la compétition limitée, on peut donc s’autoriser à prendre du temps avant de décider. Au Japon, dans les forêts humides, il y a au contraire beaucoup de myxomycètes, alors mieux vaut foncer !
Et le blob américain ?
A. D. : Il sacrifie un peu de vitesse et gagne beaucoup en précision. Mais il n’apprend pas bien, contrairement au blob australien qui est le plus performant dans ce domaine. Les blobs ne présentent pas les mêmes stratégies et les mêmes performances en termes de résolution de problème, alors qu’on croyait qu’étant unicellulaires et relativement simples, tous les blobs se ressemblaient.
Et ce n’est pas terminé ! Nous allons maintenant soumettre soixante problèmes à beaucoup plus de blobs d’origines différentes pour mieux comprendre cette variabilité. Nous allons également nous intéresser à leur capacité d’apprentissage : sont-ils capables par exemple d’apprendre plusieurs choses en même temps ? Nous essayons aussi de comprendre de quelles façons ils interagissent avec leurs congénères.
À l’origine, vous avez étudié les fourmis. Quel rapport avec le blob ?
A. D. : Je n’ai pas abandonné les fourmis, jamais ! C’est mon cœur de métier. Et il y a des points communs. Chez le blob, comme chez les colonies de fourmis, la résolution de problème repose sur un système distribué, elle est non centralisée. Chez les fourmis on appelle cela l’intelligence collective, ou intelligence en essaim.
La résolution de problème repose sur l’interaction de nombreuses fourmis, la solution n’est pas codée au niveau de l’individu mais émerge du collectif. On pense que chez le blob c’est un peu la même chose, le comportement du blob repose sur la coordination de sous-entités au sein de la cellule.
Le blob change-t-il notre vision du vivant ? Remet-il en cause certaines notions ?
A. D. : Les gens ont cette impression parce qu’à l’école, on simplifie beaucoup et on focalise sur les trois grands règnes : champignons, plantes, animaux. On apprend qu’une cellule contient un seul noyau… C’est forcément étonnant, un organisme unicellulaire que l’on peut voir à l’œil nu, avec plus de 700 types sexuels et qui peut se régénérer. Mais pour le scientifique, cela ne remet pas grand-chose en question, à part cette capacité d’apprentissage qu’on croyait réservée aux organismes dotés de systèmes nerveux. Ce point précis est quand même un bouleversement.
Le blob existe depuis longtemps, pourquoi s’y intéresser maintenant ?
A. D. : Il a toujours été étudié. Au Japon notamment. En France aussi, depuis les années 1960. Le blob a ensuite été délaissé pour des modèles cellulaires plus proches de l’homme. Dans le milieu scientifique, il est relativement connu. C’est parce que j’ai écrit un livre2 dans un langage accessible que le grand public s’y est intéressé. Une sorte d’autobiographie croisée entre le blob, cet organisme bizarre, et le métier du chercheur, bizarre aussi. Le blob m’a servi d’excuse pour parler d’un métier méconnu.
Une excuse et aussi un plaidoyer pour la recherche fondamentale ?
A. D. : Le blob intéresse les biologistes évidemment ! Mais aussi les physiciens, qui se passionnent pour son réseau veineux, les éthologistes qui observent son comportement, et qui décryptent ses stratégies, des mathématiciens, qui modélisent son comportement. Je crois en effet qu’il faut encourager ces regards croisés et les chercheurs qui travaillent sur des organismes peu étudiés comme le blob. La recherche appliquée se nourrit de la recherche fondamentale, elles ne sont pas en opposition. L’une ne peut pas se faire sans l’autre. La recherche fondamentale est axée sur le progrès des connaissances. Connaissances qui à leur tour vont alimenter la recherche appliquée. Délaisser la recherche fondamentale pour se concentrer uniquement sur la recherche appliquée serait une erreur, cela reviendrait à couper la source de courant dans une centrale !
Avec le blob, il y a un petit côté magique…
A. D. : Je vais souvent dans les écoles. Le blob fait briller les yeux des enfants. Il n’est pas très interactif, c’est sûr, mais avec lui, on peut faire des expériences et voir le résultat tout de suite. Avec les allergies, on a enlevé tous les animaux des classes. Pourquoi pas prendre un blob à la place ? En plus, personne ne sera obligé de l’emmener chez lui pendant les vacances. Il suffit juste de l’endormir !
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Evénement
C'est à partir du 19 octobre que les visiteurs du Parc zoologique de Paris pourront admirer le blob. Une conférence d'Audrey Dussutour est prévue ce jour-là à 14h30.
Projection
Le film Le blob, un génie sans cerveau, dont CNRS Images est coproducteur, sera diffusé en avant-première au festival Pariscience le samedi 26 octobre à 20h30 (réservation en ligne).
Cette projection sera suivie d'un débat en présence de Jacques Mitsch, coauteur et réalisateur, Laurent Mizrahi, coauteur et Audrey Dussutour.
À voir sur CNRS Le journal
Le zoo des scientifiques, notre reportage réalisé en 2014 à la réouverture du Parc zoologique de Paris.
- 1. Chargée de recherche CNRS au Centre de recherches sur la cognition animale (CNRS/Université Toulouse III Paul-Sabatier).
- 2. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blob sans jamais oser le demander, Éditions des Équateurs, 2017, 179 p., 17 €. Un film, dont la sortie est programmée cet hiver, a été réalisé à partir de ce livre.
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Auteur
De formation littéraire, Muriel Florin s'intéresse en particulier aux sujets liés à l'éducation, l'environnement et aux sciences. Elle est l'auteure de plusieurs livres dont Questions de sciences (CNRS Editions, 2019).
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Riviere le 14 Mars 2020 à 09h36Fabuleux.
0jpast@gmail.com le 3 Juin 2020 à 18h30Connectez-vous, rejoignez la communauté
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