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Comment mémorise-t-on le temps qui s’écoule ?
Dans la cognition humaine, la mémoire épisodique est la mémoire consciente qui permet de se rappeler d'évènements passés, ce qu’on appelle « les souvenirs ». Elle répond aux questions quoi ? avec qui ? où ? mais aussi quand ? et inscrit ainsi nos souvenirs dans une temporalité. C’est aux bases neurobiologiques de cette mémoire épisodique que s’est intéressée l’équipe du Centre de recherche cerveau et cognition1 (Cerco), en collaboration avec l’Institut néerlandais des neurosciences. Les chercheurs se sont notamment posé la question suivante : le cerveau humain possède-t-il des neurones traitant les informations liées au temps, comme il en existe dans l’hippocampe des rongeurs ?
L’hippocampe décrypté
L’hippocampe est une aire cérébrale appartenant au système limbique, la structure qui gère la plupart des comportements et des émotions humaines. Il est également impliqué dans la formation de la mémoire à long terme ainsi que de la mémoire spatiale utilisée pour l’orientation. C’est d’ailleurs l'une des premières structures atteintes lors de la maladie d'Alzheimer, ce qui explique les problèmes de mémoire et de désorientation dont souffrent les patients.
Le premier lien entre l’hippocampe et la mémoire a été établi au milieu du XXe siècle, lorsqu’un neurochirurgien et une professeure en neurologie ont pratiqué une ablation de l’hippocampe chez un patient souffrant d’épilepsie sévère. À l’issue de l’opération, celui-ci s’est néanmoins retrouvé affecté d’un nouveau mal : une amnésie sélective. Il n’arrivait plus à forger de nouveaux souvenirs et avait perdu les plus récents.
Des études neurobiologiques menées chez le rongeur ont par la suite montré que certains neurones de l’hippocampe traitent spécifiquement les informations liées au temps, en particulier les changements de situations au cours du temps. Ces neurones fonctionnent tout au long d’une action donnée, encodant ainsi sa durée. D’autres travaux ont en outre établi que les rongeurs présentant des lésions au niveau de l’hippocampe sont incapables de réussir les tâches dans lesquelles ils doivent se souvenir de l'ordre dans lequel ils ont senti des odeurs.
Mémoriser des événements passés nécessite de relier temporellement des actions distinctes d’une expérience. Le cerveau doit ainsi représenter avec justesse l’ordre des événements en fonction du temps écoulé. Les neurones analysant le temps dans l'hippocampe joueraient ainsi un rôle essentiel dans cette organisation temporelle de la mémoire humaine.
Comprendre la mémoire temporelle humaine
Afin de mieux comprendre l’implication de l’hippocampe humain dans la mémorisation temporelle, la neurobiologiste Leila Reddy et ses collègues du Cerco ont réalisé deux expériences au sein du Centre médical universitaire d'Amsterdam. Ils ont pour cela fait appel à des patients souffrant d’une épilepsie sévère, dans le cerveau desquels des médecins avaient implanté des électrodes en vue d’une opération de neurochirurgie. « Pour mener à bien les expériences, nous devions enregistrer les données de neurones isolés du cerveau humain, ce qui nécessite que des électrodes soient implantées dans le cerveau pour enregistrer l'activité neuronale, explique Leila Reddy. Il s'agit d'une procédure très invasive que, pour des raisons éthiques évidentes, nous n’aurions en aucun cas pu pratiquer chez l'homme juste pour notre étude. Les sujets que nous avons étudiés étaient donc des patients chez qui les électrodes avaient été préalablement implantées pour des raisons strictement médicales. »
Durant la première expérience, des patients regardaient un écran projetant une série d’images qu’ils devaient mémoriser puis restituer dans leur ordre d’apparition. Lors de la seconde expérience réalisée sur d’autres patients, le processus était identique à l’exception qu’entre deux séries d’images, l’équipe de recherche intercalait un écran noir durant une courte période. Ceci avait pour but de déterminer quels neurones s’activaient individuellement durant ces périodes dénuées d’informations temporelles. Les activités propres de 429 neurones de l’hippocampe ont ainsi été enregistrées lors de la première expérience, contre 96 neurones lors de la seconde.
Les résultats confirment la présence de neurones dits « temporels » dans l’hippocampe humain. Au cours des deux sessions expérimentales, l’activité d’environ 30 % des neurones de l’hippocampe était modulée par le temps durant la période d’apprentissage de la séquence (128 neurones sur 429 pour l’expérience 1 et 26 neurones sur 96 pour l’expérience 2). La deuxième expérience a également montré que ces neurones peuvent aussi coder le temps en l’absence d’information temporelle. Alors que 13 neurones temporels s’activaient exclusivement lors de la présentation d’image (phase d’apprentissage), 3 neurones continuaient d’être actifs quand l’écran noir était présenté au patient. Ainsi, le nombre et le type de neurones temporels mobilisés varient selon les exigences de la tâche.
Les neurones de l’hippocampe possèdent donc une grande flexibilité dans leur mode de fonctionnement. « On sait par ailleurs que certains de ces neurones ont la capacité de coder d’autres dimensions de nos actions telles que le lieu, le temps, etc. mais nous ne savons pas encore comment ils procèdent. Il s’agit là d’une question ouverte à laquelle on pourra répondre en étudiant un plus grand nombre de neurones, notamment dans un cerveau sain, note Leila Reddy. Il n’en demeure pas moins que la découverte de neurones temporels dans le cerveau humain constitue une avancée majeure dans notre compréhension de la perception du temps. » ♦
- 1. Unité CNRS/Université Toulouse Paul Sabatier.
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Auteur
Guillaume Marchand est journaliste scientifique freelance.