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Une carte pour visualiser l’énergie dans le cerveau

La publication aurait pu facilement passer sous les radars du commun des mortels. Mais elle se trouve être publiée dans la prestigieuse revue Nature1. La première cartographie des mitochondries du cerveau vient d’être dévoilée par une équipe de chercheurs franco-américaine. Et c’est un petit bouleversement.

Les mitochondries, mal connues du grand public, sont à la base de toute vie : ces minuscules bactéries, qui vivent en symbiose avec nos cellules, à l’intérieur de celles-ci, leur fournissent l’énergie dont elles ont besoin pour fonctionner. « L’oxygène que nous respirons leur sert à dégrader les nutriments que nous ingérons. Grâce à ce processus, appelé phosphorylation oxydative, elles fournissent leur carburant à tous nos tissus et organes, détaille Michel Thiebaut de Schotten, coauteur de l’article de Nature et neuroscientifique à l’Institut des maladies neurodégénératives2 de Bordeaux. Sans mitochondries, il n’y aurait pas de vie pluricellulaire. »
Les mitochondries des cellules cérébrales sont tout particulièrement scrutées par les scientifiques, et pour cause : les besoins énergétiques de notre cerveau sont absolument considérables. « On estime que le cerveau consomme 20 % de l’énergie totale produite par le corps. Pourtant, on n’avait aucune idée de la façon dont les mitochondries se répartissaient dans cet organe, et si cette distribution pouvait mieux éclairer son fonctionnement », raconte Michel Thiebaut de Schotten, spécialiste d’imagerie cérébrale.
Une méthode inédite
C’est sa rencontre avec Martin Picard et Eugene Mosharov, des confrères issus de la biologie cellulaire, spécialistes des mitochondries à l’université Columbia de New York, qui a fait naître leur projet un peu fou : allier leurs deux disciplines pour quantifier avec précision les mitochondries des cellules cérébrales dans chaque région du cerveau. Pour ce faire, ils ont mis au point une méthode inédite : mesurer avec précision la quantité de mitochondries présentes dans une tranche de cerveau humain (prélevée post mortem) et la recombiner avec l’image d’un cerveau standard obtenue par IRM fonctionnelle.
Concrètement, la tranche de cerveau a été découpée en petits cubes de 3 millimètres de côté, et la quantité et les spécificités des mitochondries ont été analysées pour chacun de ces cubes. Toutes ces données ont ensuite été représentées en 3D sur une image du cerveau. « Pour chaque petit cube, j’ai un cube correspondant d’imagerie cérébrale », explique Michel Thiebaut de Schotten, qui a pu construire un véritable modèle mathématique prédictif et extrapoler ces résultats à l’ensemble de l’encéphale.
« On a obtenu une carte à très haute résolution de la répartition des mitochondries dans le cerveau, se félicite le chercheur. Car, si les petits cubes initiaux faisaient chacun 3 millimètres de côté, l’imagerie cérébrale descend, elle, jusqu’à une résolution de 1 millimètre cube. »
Des disparités marquées entre régions du cerveau
Cette cartographie, jamais vue auparavant, est un choc pour les deux chercheurs. S’ils soupçonnaient des différences entre régions cérébrales, ils n’avaient pas anticipé une telle hétérogénéité. Première surprise : la matière grise, la partie centrale des neurones, concentre deux fois plus de mitochondries que la matière blanche, qui constitue toute la connectique entre les neurones.

« On ne s’attendait pas à une différence aussi marquée », commente Michel Thiebaut de Schotten. Pour autant, la matière blanche est tout sauf un ensemble de câbles passifs. « La densité en mitochondries y est tout de même étonnamment élevée, tient à souligner Martin Picard. Cela montre combien les connexions dans le cerveau suscitent de besoins énergétiques. »
Deuxième surprise de taille pour les scientifiques : à l’intérieur de la matière grise, des disparités marquées apparaissent entre les régions du cerveau. « Ce sont les régions du cerveau qui sont apparues le plus récemment sur l’arbre de notre évolution, notamment le lobe frontal et le lobe pariétal, très développés chez l’être humain, qui sont les plus riches en mitochondries. Les régions les plus anciennes, comme le système olfactif et l’hippocampe, que nous partageons avec les crocodiles, ont une demande moins importante en énergie, explique Michel Thiebaut de Schotten. Avec l’évolution et l’apparition de fonctions comme le langage, la spatialisation, ou encore la conscience, il semble que le cerveau a besoin de plus d’énergie pour fonctionner. »
Des pathologies liées à la détérioration de l’activité mitochondriale
Cette cartographie énergétique d’un cerveau en bonne santé n’est qu’une première étape pour les chercheurs. Ceux-ci veulent désormais se pencher sur les pathologies liées aux dysfonctionnements des mitochondries. À commencer par les maladies dites mitochondriales. « Diagnostiquées en clinique depuis une dizaine d’années, ces maladies génétiques rares aux symptômes variés sont liées à une mutation sur les gènes de la production d’énergie », explique Martin Picard.

Les chercheurs soupçonnent également une détérioration de l’activité mitochondriale d’avoir un lien avec les pathologies neurodégénératives telles que Parkinson, Alzheimer, mais aussi avec les accidents vasculaires cérébraux. « À terme, l’idée serait de disposer de cartographies type du cerveau pour toutes ces affections, et de pouvoir comparer cette “signature cérébrale” aux IRM réalisées chez les patients », annonce Michel Thiebaut de Schotten.
« C’est aussi un formidable outil pour réaliser des bilans énergétiques personnalisés, se projette Martin Picard. Chacun d’entre nous dispose d’un budget d’énergie donné, que le corps utilise au mieux, en priorisant les fonctions – digestive après un repas, musculaire pendant un effort physique… À terme, cette carte pourrait permettre de dire “Voici l’état de santé mitochondrial de ce patient”, et de trouver des moyens de l’améliorer. » Et de conclure : « On a beaucoup focalisé sur l’importance des gènes ces trente dernières années, mais, sans les mitochondries, rien ne pourrait fonctionner dans le corps. L’énergie, c’est la vie. » ♦
Consultez aussi :
Notre cerveau en super résolution (vidéo)
Des mini-cerveaux pour comprendre les troubles du développement (vidéo)
Les mystères du cerveau (dossier)
- 1. https://www.nature.com/articles/s41586-025-08740-6
- 2. Unité CNRS/Université de Bordeaux.
Voir aussi
Auteur
Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.