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Claude Lorius, le film de sa vie
Le documentaire est centré sur Claude Lorius, premier scientifique à mettre en évidence la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique en étudiant les glaces de l’Antarctique. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce projet du réalisateur Luc Jacquet ?
Jérôme Chappellaz1 : C’est avant tout sa démarche. Après l’énorme succès de la « Marche de l’empereur », il a su rester humble et déterminé quant à sa volonté de mettre son talent au service de grandes causes environnementales et de la transmission des connaissances scientifiques. Tout au long du projet, il m’a demandé de le conseiller sur les aspects scientifiques. Au moindre doute sur le scénario, nous en discutions. J’ai pu voir et retoucher, au mot près, tous les éléments pédagogiques qui accompagnent le film. On est vraiment dans un produit qui respecte la rigueur scientifique.
Vous êtes glaciologue, tout comme Claude Lorius qui a mené sa carrière au CNRS. Comment l’avez-vous connu ?
J.C. : Quand je suis arrivé au laboratoire de glaciologie à Grenoble pour faire ma thèse, Claude Lorius en était le directeur et les carottes de glace de la station soviétique de Vostok (Antarctique) venaient d’arriver. J’ai vécu de l’intérieur la publication des trois articles dans le magazine « Nature » en 1987 avec l’écho mondial que cette découverte a suscité. Pour la première fois, on mettait en évidence l’impact des activités humaines sur le réchauffement climatique. Par la suite, ma thèse m’a conduit à étudier la concentration d’un autre gaz à effet de serre, le méthane contenu dans la glace et nous avons publié un nouvel article dans « Nature » en 1990. Aujourd’hui, j’ai en quelque sorte la responsabilité de maintenir cette activité à Grenoble. Je lui fais part de l’avancée de nos recherches et il se réjouit de voir son œuvre se poursuivre.
Comment expliquez-vous qu’un si grand chercheur soit si peu connu du public ?
J.C. : A la fin des années 1970, et au début années 1980, il était présent dans des émissions comme « Les dossiers de l’écran » et était aussi connu que le commandant Cousteau, Haroun Tazieff, Paul-Emile Victor, grands aventuriers de la science. Par la suite, il s’est impliqué dans l’Académie des sciences, ce qui lui a valu beaucoup de déconvenues avec notamment les climato-sceptiques dont Claude Allègre. Il a fini par se retirer de la scène académique, puis publique, tout en poursuivant la publication de livres.
Est-il vrai que c’est en voyant des bulles d’air s’échapper de son glaçon dans un verre de whisky que Claude Lorius a eu l’intuition initiale qui a guidé ses travaux ?
J.C. : Oui, c’était en 1965, Claude Lorius était chef d’hivernage à la base française Dumont d’Urville. Un soir, au retour d’un forage, il a mis un bout de glaçon datant de 15 000 ans dans son verre et a constaté que des bulles d’air s’échappaient en pétillant à mesure que son bloc fondait. Il a eu alors l’intuition que ce gaz pouvait contenir des informations susceptibles de reconstituer l’atmosphère du passé. La scène est d’ailleurs reconstituée dans le documentaire.
Vingt ans de recherche ont donc été nécessaires pour démontrer qu’il ne s’était pas trompé…
J.C. : En effet, entre le moment où Claude Lorius a eu l’intuition en 1959 que la glace et la neige pouvaient contenir un signal climatique (grâce aux isotopes de l’eau), et les premières mesures des gaz à effet de serre dans les carottes de glace, en 1980, il s’est écoulé plus de 20 ans. C’est toute la beauté du travail de Claude de montrer que la recherche scientifique est un travail de longue haleine.
Le film a été tourné en Antarctique, mais on voyage aussi ailleurs dans le monde en compagnie du chercheur. Pourquoi un tel parti pris ?
J.C. : L’idée de Luc Jacquet était de s’appuyer sur des images d’archives pour raconter les 60 ans de la vie d’un homme qui, parti à l’aventure en terre d’Adélie à l’âge de 23 ans, est arrivé à une grande découverte scientifique. Le film montre un homme âgé de 83 ans qui retourne sur ses pas et constate l’impact du réchauffement climatique à travers la question de la montée du niveau des mers en Polynésie, la fonte des glaciers en Suisse, les incendies de forêts au Portugal…
Qu’espérez-vous que les spectateurs retiennent ?
J.C. : En suivant l’aventure individuelle de Claude Lorius de la première à la dernière minute du film, les spectateurs peuvent s’approprier son histoire et être touchés par son humanité hors-norme. Le cinéma permet de faire découvrir la science autrement. A travers ce scénario, les gens découvrent aussi la genèse d’une science et constatent que le réchauffement climatique est un problème qui nous concerne tous. Pour autant, ce n’est ni un film moralisateur, ni culpabilisateur. Il se termine sur une note d’espoir énoncée par Claude Lorius : face à l’adversité – comme celle qu’il a lui-même rencontré dans l’Antarctique –, l’homme peut se révéler. Il est capable de prendre les bonnes décisions et d’accomplir de grandes choses.
Le projet pédagogique qui accompagne le film est-il déjà accessible ?
J.C. : Le film sort sur les écrans le 21 octobre, mais de nombreux outils à destination des enseignants des classes du primaire et du secondaire sont en ligne depuis le début de l’année. Ils s’appuient sur l’histoire de Claude Lorius pour aborder les questions d’évolution du climat. Il y a énormément de supports, souvent ludiques : des story-boards, des dessins animés, des films, des interviews de chercheurs… La version anglaise vient de sortir, et c’est Marion Cotillard qui prête sa voix aux vidéos.
Programme Pédagogique 2014-2015 : La Glace et le Ciel from Wild-Touch on Vimeo.
À voir : « La glace et le ciel », dans les salles le 21 octobre.
À lire aussi : « Il fait parler la glace », notre portrait de Jérôme Chappellaz
- 1. Directeur de recherche CNRS au Laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement (unité CNRS/Univ. Joseph Fourier - Grenoble)
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Auteur
Journaliste et auteur, Carina Louart est spécialisée dans les domaines du développement durable, des questions sociales et des sciences de la vie. Elle est notamment l’auteur de La Franc-maçonnerie au féminin, paru chez Belfond, et de trois ouvrages parus chez Actes Sud Junior : Filles et garçons, la parité à petits pas ; La Planète en partage à petits pas ; C’...