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La Terre, un modèle unique dans l'Univers ?
Le documentaire explique comment notre planète a pu réunir toutes les conditions nécessaires à l’émergence, au développement et au maintien de la vie depuis près de 3,8 milliards d’années. L’une des premières conditions est d’être située dans la zone habitable de son étoile, une zone ni trop chaude ni trop froide pour maintenir de l’eau à l’état liquide. Mais dans le film, on apprend que la Terre a failli être balayée par Jupiter…
François Forget1 Pour comprendre ce qui rend notre planète unique, il faut reconstruire son histoire. Jupiter est une planète géante gazeuse, la plus massive de notre Système solaire. Mais en observant d’autres systèmes, on s’est rendu compte qu’elle n’était pas à une place habituelle : on trouve généralement les planètes géantes proches de leur étoile. En fait, Jupiter aurait dû prendre la place de la Terre. Que s’est-il passé ? Dans les jeunes années de notre Système solaire, Jupiter, déjà massive, agrège toute la matière sur son passage. Alors qu’elle entamait sa migration vers le Soleil, il semble que Saturne, par un complexe jeu gravitationnel, l’ait détournée de son trajet. Sauvant la Terre en formation au passage…
Les conditions propices à la vie sur Terre semblent s’être déterminées dès sa naissance, notamment grâce à la présence d’eau liquide.
F. F. La migration contrariée de Jupiter a justement permis que des corps célestes, en provenance des zones périphériques et froides du Système solaire, transportent de l’eau jusque sur Terre il y a plus de 4 milliards d’années, formant ainsi les premiers océans qui seront juste assez épais pour recouvrir toutes les latitudes, tout en permettant l’émergence de continents.
Le volcanisme a ensuite contribué au maintien de l’eau liquide sur notre planète en recrachant l’eau piégée dans les entrailles de la Terre par les fumées des volcans qui contiennent 95 % de vapeur d’eau. Mais il y a 4 milliards d’années, le jeune Soleil est 25 % moins puissant. Pour garder toute cette eau à l’état liquide, les volcans vont là encore jouer un rôle décisif. Dans leurs panaches, ils recrachent également du CO2 qui, s’accumulant dans l’atmosphère, va contribuer au processus d’effet de serre et même l’ajuster.
À plusieurs reprises, le climat de la Terre aurait pu s’emballer, anéantissant ainsi les prémisses de la vie. Comment expliquer qu’elle ait retrouvé, à chaque fois, un équilibre ?
F. F. La Terre est la seule dans le Système solaire qui soit soumise à la tectonique des plaques. La croûte terrestre est fragmentée. Cette dynamique entraîne un ballet du manteau permettant le recyclage des roches calcaires, formées par l’accumulation du CO2 dans les fonds marins. Lorsque les plaques bougent, la roche est chauffée à haute température et le CO2 s’échappe par la cheminée des volcans, en surface. Comme le piégeage du CO2 dans les roches calcaires dépend de l’intensité des pluies, ce mécanisme semble capable de réguler la concentration de gaz carbonique dans l’atmosphère afin d’assurer un effet de serre suffisamment stable pour maintenir l’eau à l’état liquide : c'est un véritable thermostat géophysique.
La Lune a pu, elle aussi, jouer un rôle dans le destin de la Terre : 100 millions d’années après la formation du Système solaire, une protoplanète de la taille de Mars est entrée en collision avec la jeune Terre. L’impact est de l’ordre de centaines de milliards de bombes H. Une portion de l’impacteur et du manteau terrestre a été éjectée en orbite autour de la Terre donnant naissance à la Lune, responsable d’une chaîne d’événements peut-être favorable à la vie. Le couple Terre-Lune est unique dans l’Univers. Notre satellite naturel a permis des effets de marées océaniques et la stabilisation de l’axe de rotation de la Terre. Et in fine, une stabilisation du climat.
Une atmosphère, de l’eau liquide, un climat stable. Une fois cet environnement propice à la vie en place, comment a-t-elle pu démarrer ?
F. F. Cela reste l’une des plus grandes énigmes scientifiques. Comment passe-t-on du chimique au biologique ? Quel est le chaînon manquant ? Le documentaire revient sur la mission Rosetta, cette sonde européenne qui, en 2014, s’est posée sur la comète Tchouri. Les astronomes suspectent les comètes d’avoir apporté sur notre planète les composés chimiques carbonés précurseurs du vivant. Mais même si l’on sait que la vie s’est développée à partir d’une vingtaine d’acides aminés, il ne suffit pas d’avoir tous les ingrédients pour trouver la recette. Peut-être que nous en apprendrons plus sur ce sujet en explorant les niches d’eau liquide dans le Système solaire dans les années à venir.
À ce sujet, Vénus est au cœur de l’actualité : le 14 septembre dernier, une équipe de l'université de Cardiff, au Pays de Galles, a annoncé la découverte de phosphine dans les nuages de Vénus. Qu’est-ce que cela signifie pour la recherche de vie extraterrestre ?
F. F. Qu’il puisse y avoir de la vie dans les gouttelettes des nuages de Vénus, ça n’est pas une idée nouvelle. Dans cette publication, les chercheurs affirment y avoir détecté de la phosphine, un possible sous-produit de biologie anaérobie (sans présence d’oxygène). En fait, il ne s’agit que d’une seule bande d'absorption de la phosphine quand il faudrait tout un « code-barres ». Il est possible que la vie, des extrêmophiles par exemple, se soit réfugiée dans l’atmosphère acide de Vénus. Mais cette annonce reste très spéculative : c’est une hypothèse que l’on doit encore confirmer ou infirmer, ce n’est pas une biosignature2. Je ne peux que citer l’astrophysicien américain Carl Sagan : « Des affirmations exceptionnelles nécessitent des preuves exceptionnelles ».
Un espoir pour Mars ?
F. F. Il y a plus de trois milliards d’années, la planète rouge était couverte de lacs et de rivières d’eau liquide. Suite à la série d’échecs des programmes Viking, dans les années 1970, il y a eu un changement d’approche : jusque-là, on cherchait les marques d’une vie actuelle, semblable à celle sur Terre. Désormais, on se concentre sur les traces de vie passée.
Depuis plus de huit ans, le robot géologue Curiosity tente de déterminer si des conditions propices à la vie ont pu exister en analysant des sédiments lacustres déposés il y a plus de trois milliards d’années. En orbite, plusieurs satellites cartographient en détail la géologie et la minéralogie des anciens lacs et rivières. Autre rover de la Nasa, Perseverance, lancé fin juillet. Il est actuellement en route pour Mars – arrivée prévue le 18 février 2021 – afin de sélectionner des échantillons de sédiments qui seront rapportés sur Terre d’ici une douzaine d’années.
Enfin, dans le cadre du programme Exomars, le rover Rosalind Franklin de l’Agence spatiale européenne doit être lancé en 2022. Il permettra d’explorer le sous-sol martien : en forant à près de deux mètres, on peut espérer mettre à jour des molécules qui ont pu être préservées des radiations et de la chimie de l’atmosphère très oxydante.
Le documentaire se focalise essentiellement sur notre Système solaire ; qu’en est-il de la recherche extrasolaire de « jumelles » de la Terre ?
F. F. Depuis vingt-cinq ans, on a découvert plus de quatre mille exoplanètes ; on a pu montrer, statistiquement, qu’il y aurait beaucoup de planètes de la taille de la Terre dans notre voisinage. Il existe aussi des exosystèmes prometteurs, tels Trappist-1 ou Proxima b. Les observatoires géants actuellement en construction et le télescope spatial JWST (James Webb) qui doit succéder à Hubble permettront d’aller encore plus loin dans l’exploration de l’atmosphère des planètes extrasolaires. Il est possible que seule la Terre, par une combinaison de hasards et de contraintes environnementales, remplisse toutes les conditions nécessaires pour la vie telle qu’on la connaît, quoiqu’il puisse y avoir ailleurs. Il y a des milliards de milliards de planètes dans l’Univers. Mais il est probable que cela ne soit pas suffisant pour qu’un seul cas puisse revenir à l’identique. Peut-être que la Terre est unique, peut-être que la vie a pu démarrer ailleurs, sous d’autres conditions, sous d’autres formes. Dans tous les cas, nous menons l’enquête. ♦
À voir
« Et si la Terre était unique ? », documentaire de 86 minutes réalisé par Laurent Lichtenstein, diffusé sur France 5 le 24 septembre 2020 dans le cadre de l'émission Science grand format animée par Mathieu Vidard. (Disponible en replay jusqu'au 1er octobre.)
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- 1. Laboratoire de météorologie dynamique (Unité CNRS/ENS Paris/Ecole polytechnique/Sorbonne Université).
- 2. La sonde BepiColombo, actuellement en transit vers Mercure, pourrait tenter de détecter la phosphine dans les nuages de Vénus lors de deux survols, le premier le 15 octobre 2020 et un second le 10 août 2021.
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Auteur
Anne-Sophie Boutaud est journaliste à CNRS Le journal.