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Nouvelles révélations sur la complexité des cités mayas

Dossier
Paru le 03.06.2022
L’archéologie dans tous ses états

Nouvelles révélations sur la complexité des cités mayas

28.09.2018, par
Image de l’épicentre monumental de Naachtun.
En début d’année, les résultats d’une campagne de cartographie "lidar" au Guatemala ont fait sensation, révélant 60 000 vestiges mayas, en majorité inconnus et enfouis sous une épaisse jungle. Sept équipes internationales ont ensuite exploité cette incroyable mine d’informations, livrant un nouveau regard sur les Mayas. Les explications de Philippe Nondédéo, coauteur de l’étude.

Avec la découverte de 60 000 structures archéologiques, la publication des premiers résultats lidar Fermer Si le sonar utilise le son et le radar les ondes radio, le lidar permet une mesure à distance grâce à des lasers avait fait grand bruit au mois de janvier. Comment s’est déroulée cette campagne ?
Philippe Nondédéo1 : Avec mon collègue Cyril Castanet du LGP2, nous travaillons depuis 2010 sur le site de Naachtun, au cœur d’une réserve naturelle de biosphère dans le nord du Guatémala. Comme plusieurs autres sites de la région, le projet Naachtun est en partie financé3 par la fondation Pacunam (Patrimonio Cultural y Natural Maya). Cet organisme privé a lancé, il y a deux ans, un vaste programme de couvertures lidar sur une dizaine de zones au sein de cette biosphère, pour un total de 2100 km². Neuf sites archéologiques sont inclus, ainsi que deux étendues-tests sans vestige connu et entièrement recouvertes de végétation. Lors de la divulgation initiale de ces travaux en février dernier, la réalité a souvent été mal rapportée : nous ne sommes pas en présence d’un seul et immense site, mais d’un ensemble de sites différents. Les 60 000 structures archéologiques recensées sont réparties sur des zones discontinues et espacées parfois de plusieurs dizaines de kilomètres.
 
Pourriez-vous nous parler des nouveaux résultats que vous venez de publier dans la revue Science4?
P.N. : Les fouilles archéologiques en zone maya se focalisent souvent sur les centres-villes, les cœurs économiques et politiques des cités où l’on trouve les pyramides et les principaux monuments. Or ce serait comme étudier l’hypercentre des grandes villes françaises sans considérer les banlieues et les campagnes environnantes. La prise de recul et l'étendue du territoire couvert par le lidar offrent une vision très différente de la civilisation maya. Alors que les modèles traditionnels stipulaient que la population se concentrait dans ces épicentres et les zones résidentielles attenantes, on observe aussi une importante densité de population en périphérie lointaine, dans des zones jusque-là considérées comme rurales. Alors qu’on les pensait dédiées à l’agriculture, elles sont en réalité elles aussi très peuplées.

On observe une importante densité de population en périphérie lointaine, dans des zones jusque-là considérées comme rurales.

Avec autant de gens partout, cette découverte pose la question de savoir comment les Mayas subvenaient à leurs besoins en eau et en nourriture. Alors que la jungle recouvre aujourd’hui tout le secteur, cette étude souligne que le paysage était complètement exploité à l’époque maya. Tous les espaces étaient extrêmement anthropisés, avec des cultures en terrasses sur les collines et un système complexe de canaux et de parcellaires agricoles dans les zones basses inondables. Les terrasses permettaient de retenir humidité et sédiments tandis que les canaux drainaient ou irriguaient, suivant les saisons, le cœur des marécages en partie cultivé. Cela montre l’impressionnante capacité des Mayas à s’adapter à un environnement aussi hostile que la jungle et prouve leur grande maîtrise dans la gestion des ressources du milieu.

 

Carte de tout le nord du Petén au Guatemala indiquant les 11 zones couvertes par l’imagerie Lidar.
Carte de tout le nord du Petén au Guatemala indiquant les 11 zones couvertes par l’imagerie Lidar.

Que révèlent ces travaux de l’organisation politique des Mayas ?
P.N. : Les images lidar ont dévoilé une connectivité surprenante entre les cités, avec un réseau de chaussées surélevées s’étendant sur des dizaines de kilomètres. Or nous n’avions rien remarqué en prospectant au sol, c’était complètement inconnu. Même aujourd’hui, en sachant que ces chaussées existent, les apercevoir reste très difficile en contexte de forêt tropicale et demande de déboiser tout un secteur pour commencer à s’en rendre compte. Nous n’aurions rien vu sans le lidar alors que, rien que pour Naachtun, le réseau viaire totalise une cinquantaine de kilomètres de routes et chemins aménagés.

Tous les espaces étaient extrêmement anthropisés, avec des cultures en terrasses sur les collines et un système complexe de canaux et de parcellaires agricoles dans les zones basses inondables.

Nous avons ainsi constaté que des cités vassales pouvaient être directement reliées à leur capitale suzeraine, telle que Naachtun. Le déchiffrement de l’écriture maya dans les années 90 nous avait déjà renseignés sur leur système politique, de nombreuses stèles commémorant en effet des conquêtes, des batailles et des alliances matrimoniales. Les rois les plus puissants mariaient leurs filles et leurs sœurs à leurs vassaux, tissant ainsi des réseaux complexes par les liens du sang. Le tracé des chaussées offre, dans une certaine mesure, une matérialisation concrète de ces relations de domination. Les images ont également montré que certains sites étaient pourvus d’ouvrages défensifs : murets, palissades, fossés… Ces systèmes concernent surtout des établissements occupés à la période préclassique (600 av. J.-C. à 150 apr. J.-C.) et sont absents des sites qui, comme Naachtun, datent de la période classique (150 à 950 apr. J.-C.).

Le lidar a une nouvelle fois prouvé son utilité en archéologie. Comment s’intègre-t-il à la discipline ?

P.N. : Pour donner un ordre de grandeur, seules 5 à 10 % des 60 000 structures révélées étaient déjà connues. À Naachtun, nous sommes passés de 900 édifices répertoriés à près de 12 000. Dans un contexte de jungle tropicale aussi dense, nous sommes obligés de nous focaliser sur les centres des sites. Le travail et les temps de déplacement en forêt sont trop difficiles et chronophages pour explorer les périphéries lointaines avec la même intensité que pour les épicentres monumentaux. Du coup, elles sont moins étudiées. Le lidar a été perfectionné dans les années 80 et s’est ajouté à la palette de l’archéologue à partir des années 2000. Il s’est d’ailleurs illustré grâce à un autre site maya : les ruines de Caracol au Bélize à partir de 2005. Là encore, la méthode avait révélé une exploitation du milieu assez structurée avec de nombreux systèmes de terrasses. Bien qu’il reste onéreux, l’abaissement progressif du coût du lidar permet, à présent, une meilleure diffusion de cette technique auprès des missions archéologiques.

Aménagements hydrauliques des marais à des fins d’agriculture intensive à proximité du centre de Naachtun. Le réseau blanc correspond à un système de canaux alternant avec des champs cultivés tandis que les aplats bleus correspondent à des réservoirs d’eau
Aménagements hydrauliques des marais à des fins d’agriculture intensive à proximité du centre de Naachtun. Le réseau blanc correspond à un système de canaux alternant avec des champs cultivés tandis que les aplats bleus correspondent à des réservoirs d’eau

Quelle suite allez-vous donner à ces travaux ?
P.N. : Nous avons prévu de retourner sur le terrain en 2020, pour une période de quatre ans, afin de vérifier les découvertes sur place et de répondre aux nouvelles problématiques qu’elles soulèvent. Nous nous intéressons de plus en plus à la gestion des ressources en eau et en sol des Mayas. Les prochains travaux permettront sans doute de tester véritablement, voire de battre en brèche, certaines hypothèses sur l’effondrement de la civilisation maya classique, parfois accusée d’avoir surexploité le milieu. Certes, les données révèlent une très forte emprise des Mayas sur leur environnement, mais elles suggèrent également une gestion prudente et habile de leur part. Rien que pour Naachtun, nous avons recensé plus de 18 000 terrasses agricoles, environ 5400 canaux et plus de 70 grands réservoirs d’eau potable. Au sein du projet Naachtun, nous développons une approche pluridisciplinaire de la recherche et avons intégré très tôt, en plus des archéologues, des chercheurs travaillant sur la reconstitution des paléoenvironnements et des interactions sociétés-milieux : des géographes, des géoarchéologues, des sédimentologues, des archéobotanistes… Plusieurs laboratoires du CNRS (Archam, LGP, CEPAM5) sont impliqués afin de comprendre comment la cité s’est développée et comment les paysages de son territoire ont évolué au gré de l’intervention humaine et dans des conditions climatiques fluctuantes.
Cette recherche pluridisciplinaire s’est donc aussi appliquée à l’analyse lidar du territoire de Naachtun selon deux approches complémentaires qui ont été menées conjointement : les archéologues enregistrant tous les vestiges matériels (édifices, monticules, carrières, chaussées…) tandis que les environnementalistes repéraient les aménagements du paysage tels que les réservoirs, les digues, les canaux, les fossés, les champs surélevés…

 

Notes
  • 1. Chargé de recherche à l’Archam (Archéologie des Amériques, Unité CNRS/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), et responsable du Projet Naachtun
  • 2. Laboratoire de Géographie Physique : Environnements Quaternaires et Actuels (Unité CNRS/Université Panthéon Sorbonne/Université Paris Est Créteil Val-de-Marne).
  • 3. Aux côtés du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, de la compagnie Perenco, du CNRS, de l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et du LabEx Dynamite.
  • 4. Ancient Lowland Maya Complexity as Revealed by Airborne Laser Scanning of Northern Guatemala Marcello A. Canuto, Francisco Estrada-Belli, Thomas G. Garrison, Stephen D. Houston, Mary Jane Acuña, Milan Kováč, Damien Marken, Philippe Nondédéo, Luke Auld-Thomas, Cyril Castanet, David Chatelain, Carlos R. Chiriboga, Tomáš Drápela, Tibor Lieskovský, Alexandre Tokovinine, Antolín Velasquez, Juan C. Fernández-Díaz and Ramesh Shrestha.
  • 5. Cultures et Environnements - Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge (CNRS/Université Sophia Antipolis).
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Auteur

Martin Koppe

Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.

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