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Au Pérou, la découverte d’un site funéraire unique
Dans la sépulture creusée à même le sable, on a déposé près du petit corps un sifflet en forme d’oiseau. Près de 600 ans plus tard, il fonctionne encore. Plus loin, une autre tombe où le corps d’un enfant d’à peine 3 ans a été inhumé près d’un jeune camélidé. Au total, sur le site de Huaca Amarilla, l’équipe de chercheurs franco-péruvienne a découvert près de 40 tombes et les restes d’au moins 74 individus – 2 adultes et 72 enfants dont 41 fœtus, âgés entre 5 mois et demi et 10 mois.
Les vestiges humains étaient disposés minutieusement et accompagnés de restes de lamas, d’alpagas, de chiens ou de tourterelles, ou encore de petits vases et objets en céramique, d’artefacts en bois, et parfois ornés de parure en coquillage ou en pierre. Un « cimetière » – et un témoignage – unique et inattendu pour ces sociétés préhispaniques sans écriture. De ce fait, les seules sources disponibles pour restituer leur histoire sont les données archéologiques, environnementales et, pour les périodes précédant la Conquête, les textes ethnohistoriques.
Un cimetière d’enfants
C’est à l’extrême nord du Pérou, sur la côte désertique, que cet étonnant site funéraire a été exhumé. Sur ces terres du désert de Sechura, soumises aux aléas climatiques, Nicolas Goepfert, chercheur au laboratoire Archéologie des Amériques (Archam)1, ses collègues Belkys Gutiérrez et Segundo Vásquez ainsi que leurs équipes mènent des fouilles depuis 20122. « L’objectif initial de ces fouilles était de recueillir des données pour étudier les modalités d’adaptation humaine et animale à la côte septentrionale péruvienne, explique Nicolas Goepfert. Aridité, milieu désertique, phénomène El Niño : comment utiliser les ressources naturelles sur ces terres inhospitalières ? Comment les hommes ont-ils fait face, au cours des siècles, à ce stress environnemental majeur ? »
Après trois ans de fouilles, les chercheurs ont mis au jour un cimetière d’enfants et de fœtus. « Dans une région comme la côte nord du Pérou, qui regorge de sites archéologiques préhispaniques, et parmi les milliers de tombes qui ont déjà été exhumées, la découverte de ce secteur funéraire particulier est un événement rare. On ne s’y attendait pas du tout », poursuit-il. Ces sépultures sont datées entre le Xe et le XVe siècle, soit quelques décennies avant la conquête par les Espagnols du Pérou, en 1532. Sur cette large période, deux cultures se sont installées dans la région, celles des Lambayeque et des Chimús, renommés pour leur poterie en céramique et leur travail raffiné des métaux, avant que ces derniers ne soient conquis par les Incas.
Une région façonnée par les aléas climatiques
Si les premiers travaux dans cette région commencent dans les années 1970-1980, le site tombe rapidement dans l’oubli. C’est que le désert de Sechura, qui s’étend sur près de 20 000 km2, est un désert polymorphe, constitué de champs de dunes, de dépressions situées sous le niveau de la mer, de salines, de quebradas (oueds), où se forment épisodiquement des lacs en lien notamment avec le phénomène El Niño.
« En 2017, El Niño a été particulièrement violent et atypique, raconte Nicolas Goepfert. Les routes ont été dévastées et nous avons dû nous rendre sur le site de fouilles en bateau. Sur place, le paysage s’en est trouvé transformé : habituellement désertique, il s’est recouvert de végétation. Cela n’arrive qu’une fois tous les 20 ans ! » Le site a quant à lui été préservé. À l’époque, les populations préhispaniques avaient bien observé ces phénomènes climatiques et s’installaient sur les plateaux plutôt qu’au débouché des oueds qui se remplissaient d’eau.
Mille ans d’histoire locale
Le site archéologique de Huaca Amarilla compte pour l’instant deux structures en pierre, datées de la période Lambayeque (800-1350). Les fouilles ont montré que s’établissaient, d’un côté, la résidence de l’élite locale, de l’autre une aire de production de biens et de stockage. Le secteur funéraire, quant à lui, se trouvait en bordure d'un dépotoir. Pour Nicolas Goepfert, cette découverte ouvre de nouvelles perspectives sur les activités rituelles des habitants du désert de Sechura, mais également sur la place et le statut des enfants dans les sociétés préhispaniques. « Les trous laissés par les pilleurs de tombes nous permettent parfois d’entrapercevoir l’architecture et la stratigraphie du site, commente-t-il. De ce fait, nous pensions fouiller de l’habitat. Et nous avons découvert une structure rectangulaire, peut-être un autel, entouré de sépultures d’enfants et périnatales. Comment tout cela s’agençait-il ? À quoi cela pouvait-il servir ? Nous continuons d’explorer le site pour trouver des éléments de réponse. »
Ces dépôts permettent ainsi d’étudier le contexte archéologique du site – espaces domestique, cérémoniel ou funéraire. Les chercheurs commencent tout juste à effectuer des analyses ADN sur les fœtus afin de déterminer leur sexe et les liens de parenté avec les deux seuls adultes retrouvés et, peut-être, parvenir à identifier la cause de leur mort prématurée. Pour ce faire, archéobotaniste, archéozoologue, anthropologue funéraire, céramologue ou géomorphologue se croisent sur le champ de fouilles. L’objectif est de décrypter l’histoire de la région, sur près de mille ans, à partir des indices qu’ont laissés ces sociétés sans écriture. Le climat désertique et particulièrement aride le long de la côte péruvienne et la géologie du terrain ont favorisé l’exceptionnelle conservation des céramiques et des ornements (colliers, bracelets), ainsi que des textiles.
Tandis que les chercheurs poursuivent l’exploration du site, un drone balaie le champ de fouilles et survole les innombrables trous de pilleurs qui parsèment la région. Cette technologie permet d’immortaliser et de préserver ces vestiges du passé. Car le pillage illicite des sites archéologiques au Pérou est aujourd’hui estimé à près de 80 % de son patrimoine préhispanique. ♦
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Auteur
Anne-Sophie Boutaud est journaliste à CNRS Le journal.