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Le massif de Lovo, un trésor d'art rupestre à préserver

Dossier
Paru le 16.03.2022
Le tour du patrimoine en 80 recherches

Le massif de Lovo, un trésor d'art rupestre à préserver

08.04.2021, par
Théranthropes, êtres mythiques mi-humains mi-animaux, figurés avec de la peinture rouge sur le site de Ndimbankondo (massif de Lovo).
Au nord de l'ancien royaume africain de Kongo, le massif de Lovo abrite de nombreux sites rupestres dont l'histoire s'étend sur plusieurs siècles. La mission franco-congolaise « Lovo » les étudie et en dresse l’inventaire afin d'en apprendre davantage sur l'art rupestre d'Afrique centrale, et sauvegarder ce patrimoine méconnu.

Les vues aériennes sont impressionnantes. Un paysage d’énormes promontoires calcaires au relief ruiniforme s’étend à l’infini. Mais c’est en plongeant dans les anfractuosités de cette nature riche et abondante que l’on découvre les trésors rupestres du massif du Lovo, à l’extrême ouest de la République démocratique du Congo (RDC) : plus d’une centaine de grottes et de parois ornées de figures géométriques – croix, cercles, quadrillages –, décorées de lézards et d’antilopes, ou encore de personnages armés de flèches, de fusils ou d’êtres mythiques aux origines encore mystérieuses.

Paysage karstique typique du massif de Lovo.
Paysage karstique typique du massif de Lovo.

Voilà plus de dix ans que Geoffroy Heimlich, archéologue et historien, chercheur affilié à l’Institut des mondes africains1 et Clément Mambu Nsangathi, conservateur en chef adjoint à l’Institut des musées nationaux du Congo (IMNC), cherchent à percer les secrets de cet univers pariétal. Contrariée à ses débuts par les affres d’un pays en guerre et par les difficultés inhérentes au terrain africain, la mission archéologique franco-congolaise « Lovo », conduite par Geoffroy Heimlich, se déploie désormais à grande échelle et s’emploie à éclairer toutes les zones d’ombre.

Des datations sur plusieurs siècles

La première concerne la datation précise de ces dessins. Le chercheur a établi, grâce à l’apport du Centre de recherche et de restauration des musées de France, que sept dessins montrent des datations directes entre 1480 et 1800, apportant ainsi la preuve que ces représentations sont contemporaines du royaume de Kongo. Ce royaume, qui s’étendait jusque dans l’Angola actuel, a connu son apogée entre les XVe et XVIIe siècles. Une autre datation réalisée sur le même massif révèle un art plus ancien, entre les VIIe et IXe siècles.

Cette poterie, découverte dans la grotte de Tovo, est datée entre le XVe et le XVIIe siècle, ce qui permet de corréler une partie des dessins de Tovo aux céramiques à motifs semblables.
Cette poterie, découverte dans la grotte de Tovo, est datée entre le XVe et le XVIIe siècle, ce qui permet de corréler une partie des dessins de Tovo aux céramiques à motifs semblables.

Ces données seront complétées par les travaux conjoints de deux chercheuses du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement2, la géophysicienne Edwige Pons-Branchu et Hélène Valladas, connue notamment pour ses recherches sur l’art pariétal du Paléolithique. Objectif : analyser des échantillons de voile de calcite recouvrant les peintures rouges grâce aux méthodes de datation par l’uranium-thorium d’une part, et le carbone 14 d’autre part. Récente, puisqu’elle est apparue il y a une dizaine d’années en archéologie, la méthode uranium-thorium est un transfuge de la climatologie qui l’utilise pour dater stalagmites ou coraux. « Plus les échantillons sont anciens, plus la datation est aisée car l’uranium qui se désintègre en thorium laisse davantage de traces dans la roche », explique Edwige Pons-Branchu. L’opération, réalisée avec un spectromètre de masse à source plasma, relève d’une grande technicité.

117 sites déjà répertoriés

Deuxième inconnue, le nombre de ces sites, éparpillés sur un territoire immense, très peu peuplé. Les sept missions réalisées entre 2007 et 2019 ont permis d’en dénombrer 117, dont plus de la moitié ont été mis au jour par l’équipe franco-congolaise. Pour y parvenir, la complicité de la population s’avère indispensable. Peintures et gravures se cachent dans le lit de rivières, au pied de falaises ou dans des profondeurs rocheuses difficiles d’accès. « Il faut parfois une demi-journée pour se frayer un chemin, déblayer des herbes à hauteur d’homme avant d’atteindre une grotte ou un site », raconte Geoffroy Heimlich.

Alcôve ornée dans la grotte ornée de Nkamba.
Alcôve ornée dans la grotte ornée de Nkamba.

Le jeune scientifique veut établir un inventaire exhaustif des sites et des grottes et pour cela, il faut avoir recours aux grands moyens. Après celle de 2019, une seconde mission de relevés photogrammétriques par avion, en 2021 (à l’automne, espère l’équipe), complétera le puzzle en couvrant la totalité du massif, soit 430 km2. L’analyse de ces images doit permettre de « comprendre comment ces sites rupestres s’articulent avec les autres sites archéologiques inventoriés (anciens villages, sites métallurgiques, etc.) », écrit le chercheur dans un ouvrage paru en février dernier et consacré au Lovo. L’interprétation de ces relevés donnera à l’équipe un accès à des sites archéologiques encore non identifiés. Les plus prometteurs feront l’objet de prospections pédestres, de sondages archéologiques, voire de fouilles extensives.

Des lieux en partie dédiés aux cérémonies religieuses

Troisième mystère à élucider, l’usage de ces lieux. L’archéologue peut affirmer aujourd’hui avec certitude que cet art rupestre « fait partie des rituels du royaume de Kongo, aux origines préchrétiennes. » L’exemple de la croix, symbole fréquent sur les parois, est à cet égard très éloquent. « Au confluent des pensées religieuses kongo et chrétienne, la croix était (…) un symbole d’égale importance dans les deux mondes », écrit encore Geoffroy Heimlich qui juge « très vraisemblable » qu’une partie au moins de l’art rupestre du massif de Lovo fut liée à des cérémonies rituelles, telles que celle du kimpasi. Initiation religieuse, le kimpasi était pratiqué « quand la communauté éprouvait le besoin de remédier aux maux qui l’accablaient ». Le rite principal consistait en une cérémonie d’initiation où les initiés étaient désignés pour subir la mort et, possédés par les esprits nkita, ressusciter à la vie dans l’enceinte sacrée.

Vin de palme, noix de kola, des graines luzibu (Allanblackia floribunda) et champignons médicinaux tondo sont offerts rituellement aux ancêtres nkulu et aux simbi, des esprits locaux, avant d’accéder aux sites.
Vin de palme, noix de kola, des graines luzibu (Allanblackia floribunda) et champignons médicinaux tondo sont offerts rituellement aux ancêtres nkulu et aux simbi, des esprits locaux, avant d’accéder aux sites.

Dans cette quête à tiroirs, l’archéologue, dont un des talents est d’associer de nouvelles disciplines, veut aller plus loin en procédant à des enquêtes orales auprès de chefs coutumiers « afin de comprendre le lien et la résonnance entre les images, les mythes et la vie des Kongo aujourd’hui »Le tableau est encore en pointillé mais ces données mises bout à bout complètent et même enrichissent la réalité connue jusque-là de cette partie du monde, démontrant que l’art rupestre d’Afrique centrale, qui avait totalement disparu des radars de la recherche depuis quarante ans, contribue à écrire l’histoire du continent.

Un patrimoine à sauver de l'oubli et de la destruction

L’art rupestre, une nouvelle source pour les historiens de l’Afrique ? Telle est exactement la ligne que veut suivre Geoffroy Heimlich, fidèle en cela à l’un de ses mentors, Jean-Loïc Le Quellec, directeur de recherche émérite au CNRS. Dans un continent où l’art rupestre a trop été négligé, un tel travail est précieux parce qu’il peut « au même titre que les sources historiques ou les traditions orales, apporter aux historiens une documentation de premier plan », estime Jean-Loïc Le Quellec. Ce patrimoine à découvrir est aussi un savoir à transmettre. Quand on sait que la RDC dans son entier compte un seul archéologue de métier, la tâche est immense.

Lacertiforme gravé sur le site de Fwakumbi. Le lézard est l’animal le plus fréquemment figuré dans l’art rupestre du massif de Lovo.
Lacertiforme gravé sur le site de Fwakumbi. Le lézard est l’animal le plus fréquemment figuré dans l’art rupestre du massif de Lovo.

La première opération de terrain soutenue par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, en 2016, a permis à Geoffroy Heimlich de former trois jeunes chercheurs congolais de l’IMNC et de l’université de Kinshasa, dans le cadre de leur cursus universitaire, le massif de Lovo se transformant ainsi en chantier-école. Avec l’aide du ministère de la Culture, il a en parallèle conçu un module de e-formation, accessible et vivant. Une exposition itinérante – accessible en ligne – de photographies puisées parmi les 5 700 images rupestres et réalisées au fil des missions devrait être inaugurée en septembre prochain au musée national de la RDC, à Kinshasa.

Rien de tout cela n’aurait de sens sans une protection rigoureuse des lieux. Or, c’est tout le contraire qui se profile, les richesses propres au sous-sol de la région attisant l’appétit des cimentiers. Et l’entreprise de destruction a même déjà commencé. « Nous sommes fort inquiets. La grotte de Mbafu au village de Kiangu, par exemple, a été complètement détruite par une société. Si nous ne faisons pas attention, beaucoup de grottes, sinon toutes, risquent d’être détruites à la longue », explique le professeur Paul Bakua-Lufu Badibanga, directeur général de l’IMNC, dont l’institution est totalement impliquée dans la mission franco-congolaise.

Paroi ornée de peintures rouges sur l’un des sites de Miangu.
Paroi ornée de peintures rouges sur l’un des sites de Miangu.

La RDC mise aujourd’hui sur la protection de l’Unesco pour préserver ce patrimoine inestimable. Le dossier est en cours avec l’aide très active de la mission franco-congolaise. Un classement au Patrimoine mondial permettrait du même coup de corriger un déséquilibre. Car si au premier regard, les sites classés semblent assez bien répartis sur l’ensemble du continent africain, un examen plus approfondi « fait apparaître une opposition surprenante », relève Jean-Loïc Le Quellec qui a pris le temps de répartir les sites protégés par l’Unesco : les sites du patrimoine naturel sont particulièrement concentrés dans la région centre-orientale du continent, ceux du patrimoine culturel se trouvent essentiellement au Maghreb. Les recherches de grande envergure telles que celles de Geoffroy Heimlich aideront à rééquilibrer la balance. ♦

À lire
Art rupestre et patrimoine mondial en Afrique subsaharienne, Geoffroy Heimlich (coord.), Ed. Hémisphères/Maisonneuve & Larose, coll. "Patrimoines africains", février 2021, 322 p.

À voir
Exposition itinérante Lovo 
 

Notes
  • 1. Unité CNRS/IRD/EHESS/EPHE/Univ Paris 1 Panthéon Sorbonne/Aix-Marseille Université. Geoffroy Heimlich est également chercheur associé à l’UMR Patrimoines locaux, environnement et globalisation (Paloc – unité IRD/MNHN) et au Rock Art Research Institute de l’université de Witwatersrand à Johannesburg.
  • 2. Unité CNRS/CEA/Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines/Institut Simon Laplace.

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